Censure

La Guinée malade de l’opposition laminée par le pouvoir d’Alpha Condé (Par Alpha Ousmane Barry)

Plusieurs mois se sont déjà écoulés depuis que mon aîné, Thierno Monenembo, a dénoncé vigoureusement la faiblesse de l’opposition en Guinée. Pour proposer tardivement peut-être, mais jamais trop tard, une observation allant dans le même sens,  je voudrais vous soumettre ici les résultats d’un exercice fastidieux et solitaire qui consiste à construire une catégorisation des membres de cette opposition guinéenne. En effet, ce qui capte l’attention d’un regard extérieur sur le mode de vie et les habitudes au sein de notre société est le pragmatisme des Guinéens. Or appréhender ce pragmatisme revient à admettre que, dans une large mesure, être opposant consiste à intégrer un petit groupe de pression dont on peut déserter les rangs dès que le pouvoir propose un poste de responsabilité prometteur. On distingue ainsi : des opposants collabos, comprenant des anciens ministres déchus par exemple, des opposants dominés par la couardise, des députés-prix-de-sauce, des opposants fratricides, que sais-je? Toutefois ces dénominations rébarbatives méritent d’être mieux explicitées pour être comprises de tous.

  • Les opposants collabos – comme Mamadou Bah Badiko, Sidiya Touré, par exemple – sont tous ceux qui, ne disposant plus d’un espace politique, décident de retourner leur veste pour rallier le pouvoir contre lequel ils ont pourtant déversé à gorge déployée les axiologies les plus inimaginables. Ces opposants-là signent leur mort politique, précédant ainsi celle naturelle en cours.
  • Les opposants anciens ministres de leur état, ont eux aussi retourné la veste après leur éviction du pouvoir. Revanchards, ils ne sont opposants que pour la forme. On pourrait les appeler les opposants poids-plume parce qu’ils ne pèsent pas lourd. Ils sont de ceux qui grossissent les rangs de l’opposition, mais qui n’y apportent pas grand-chose. Dans ce groupe, on peut ranger Papa Koly Kourouma, Jean-Marc Telliano, etc. Dans le sens inverse on peut les comparer aux chefs de partis sans militants – tel que Kassory Fofana – des groupes de pression – qui rejoignent le pouvoir pour faire écran. On se souvient qu’aux présidentielles de 2010, notre Professeur national bien aimé, alors candidat, en a fait une stratégie « trompe-l’œil » pour montrer à la face du monde qu’il fédère la majeure partie des forces politiques en Guinée.
  • Les opposants politiques fratricides sont ceux qui ont décidé de ne pas s’entendre et donc de s’affronter en vue d’assurer la consécration politique de leur adversaire. Il s’agit dans ce cas de l’auto-neutralisation en cours avec ses feuilletons entre deux frères d’armes : Cellou Dalen Diallo et Bah Oury. Cette histoire est digne d’intérêt et riche en enseignements pour son apport dans la « redynamisation de la démocratie » en Guinée puisqu’elle a le mérite de renforcer considérablement l’opposition. Des ruines de ce combat épique naîtra, j’en suis sûr, un Parti bien soudé et très puissant, capable de gagner toutes les élections en Guinée. Dorénavant deux groupes bien constitués s’affrontent ; manches retroussés dans chaque camp, on se livre à toutes sortes de calomnies mensongères, relayées par des sites internet qui apportent leur soutien à l’un ou à l’autre protagoniste du duel d’honneur. Avant le feuilleton en cours on se souviendra qu’un conflit a opposé Cellou et Saliou Bella, puis Bah Ousmane. Chacun d’eux a donc croisé le fer avec les responsables de l’UFDG avant de rejoindre l’équipe au pouvoir.
  • Les opposants dépités par la politique, on peut citer en exemple Lansana Kouyaté dont on a siphonné l’électorat au nom du vote utile pour le compte de la communauté mandingue rassemblée derrière le guide suprême du RPG. Victime d’un trafic d’influence au cours des dernières présidentielles, tout se passe comme si Monsieur Kouyaté se demandait depuis cette date à quel saint se vouer et quoi faire maintenant.
  • Les opposants représentants de partis délabrés, parce que délaissés par les militants. Dans cette catégorie figurent en bonne place certains responsables du PUP qui tiennent encore l’étendard, comme en temps de guerre, lorsqu’une armée est en déroute. Hier ils exerçaient le pouvoir, géraient les finances publiques qu’ils distribuaient à profusion. Aujourd’hui ils ne détiennent plus le pouvoir et n’attirent, de ce fait, plus personne.
  • Les opposants silencieux et suivistes, dépassés par les événements, ils font un suivisme béat, à la botte des autres parce qu’ils forment les petits partis sans électorat majeur. On peut les comparer à des filles de joie, compagnes des plus offrant. Versatiles, ils peuvent rejoindre la mouvance présidentielle ou l’opposition selon les circonstances et l’humeur de l’actualité politique.
  • Les députés-prix-de-sauce de l’opposition, ceux-là ne se sont fait élire que pour consolider leurs revenus et non pas pour défendre les citoyens dont ils sont pourtant les représentants légitimes. La voiture de fonction et le salaire sont attractifs et tant pis pour le reste. Dans la terminologie de Pierre Bourdieu (1982), cela s’appelle « la délégation et le fétichisme politique ».
  • Il y a enfin les opposants «perroquets » pour ne pas dire gueulards. On peut citer dans cette catégorie : Docteur Faya Milimono et les deux troublions de l’UFDG (Ousmane Gaoual Diallo et Fodé Oussou). Ils occupent la scène politique guinéenne, parlent de tout et de tort à travers. C’est pourquoi il ne serait pas exagéré de considérer que leurs prises de positions publiques sont parfois fracassantes. On peut citer dans le même sillage un certain Docteur Makanéra. Le problème qui se à Faya Milimono est comment va-t-il fédérer la Forêt ? Cette question est assez délicate dans un pays où les questions politiques se discutent encore au sein des tribus. Or Dieu seul sait qu’il y en a une multitude dans la forêt guinéenne.
  • Comme vous pouvez le constater, cette catégorisation que je viens d’esquisser est certainement non exhaustive, mais elle a le mérite de donner une vue d’ensemble sur la composition des cavaliers de notre jeune démocratie : ceux qui nous représentent, qui nous protègent du pouvoir et sur qui on peut absolument compter pour leur dévouement à défendre notre cause. C’est cette opposition-là qui s’est organisée aussitôt après les présidentielles de 2010. Elle a juré par tous les Saints et au nom de tous les Dieux qu’elle remporterait les législatives que Alpha Condé devait organiser dans la foulée de son accession au pouvoir suprême. Mais en grand démocratique, respectant les institutions guinéennes et les citoyens qu’il aime beaucoup, le nouveau président ne les a organisées finalement qu’à la moitié de son mandat ; rien de plus original d’ailleurs en matière de démocratie guinéenne ! C’est la preuve, on ne peut plus clairement, que notre Professeur national en Sciences politiques a su d’une manière géniale se mettre efficacement au service de sa patrie bien aimée l’expérience accumulée en France pendant plusieurs décennies.

Elu pour préparer le deuxième mandat du président Alpha Condé, le parlement guinéen sera sans doute renouvelé à la moitié de son deuxième mandat en vue de projeter un troisième. Rien de plus logique d’ailleurs, parce qu’il suffit de faire le bilan de la situation politique guinéenne aujourd’hui, pour s’apercevoir qu’aucune opposition structurée et digne de ce nom ne se dresse contre le pouvoir qui a la main totalement libre pour faire ce que bon lui semble. En Basse Guinée et en Haute Guinée, par exemple, des opposants s’y trouvent, mais il n’y a pas d’opposition. En Forêt, constituer une opposition autour de Dadis ou pour défendre Dadis ne tient pas debout. Enfin, en Moyenne Guinée, tous les acteurs politiques ont décidé de s’opposer entre eux, au lieu de s’organiser pour faire face au pouvoir qui les lamine.

A mon avis, plusieurs attitudes de nos opposants méritent qu’on s’y attarde un peu.

  • Tout d’abord, on pourrait les accuser « fortuitement d’ailleurs » de se préoccuper plus de leur situation financière et des avantages que leur confère le statut enviable de député à l’Assemblée Nationale que de l’amélioration du climat sociopolitique en Guinée.
  • Ensuite, après deux ans et demi de manifestations publiques réprimées dans la violence, ils ont enjambé les tombeaux de leurs militants morts, fermé les yeux sur les blessés et les dégâts matériels (boutiques, voitures pillées et incendiées) pour siéger tout tranquillement sans se soucier des sacrifices consentis par les victimes.
  • Enfin, ils ne sont jamais arrivés à faire plier le gouvernement, ni à gagner les élections, mais ils ont accepté religieusement les quelques sièges qu’on leur a attribué à l’Assemblée Nationale. Pour tout cela, ils méritent qu’on leur adresse quotidiennement de vives félicitations de la part de tous les citoyens guinéens très satisfaits de leur dynamisme et de leur performance.

L’expérience a montré qu’en Afrique le pouvoir n’organise jamais des élections pour les perdre, mais pour gagner. Si telle est la règle, il me semble que la meilleure stratégie pour une opposition bien organisée comme se veut la nôtre d’ailleurs, en vue de peser sur les résultats d’un scrutin, consiste non pas à préparer les élections, mais l’après-élection. En prévenant les candidats à la députation-prix-de-sauce qu’en cas de défaite massive aux élections, personne ne siègerait à l’Assemblée nationale et que sur la base de cette entente commune acceptée de tous, tout le monde résiste collectivement devant la tentation de céder pour les avantages que confère le statut de député, ce serait un grand point marqué. Le second consisterait à résister aussi face à la pression du pouvoir en place et des institutions internationales. Ces deux paris gagnés, les députés de la majorité ne pourraient pas siéger seuls à l’Assemblée  Nationale. Ce qui aurait pour conséquence de contraindre le pouvoir à  négocier. Voilà la voie royale pour une opposition digne de ce nom. Mais il faut qu’elle soit unie et motivée pour y arriver. Or la nôtre n’est malheureusement rien d’autre qu’une opposition-gagne-pain et au service des intérêts individuels de ses membres. Ce canevas servira-t-il de guide à l’opposition guinéenne pour préparer les communales et municipales que Alpha Condé a déjà gagné par avance ?

Alpha Ousmane Barry, Professeur des Universités (France)

Spécialisé en Analyse du discours et Communication politique

Fondateur du Réseau Discours d’Afrique

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