Censure

Monsieur le Président, un « opposant » vous parle (lettre ouverte)

Une précision d’abord. Je suis un « opposant » d’un tout autre genre. Opposant au discours panégyrique de la Majorité qui ne regarde la situation du pays qu’à l’aune de ses désirs et rêves éveillés mais également à la critique « orientée » d’une opposition dite Républicaine qui s’oppose à la personne du Président Alpha Condé, non à un programme ou à un système.

Je ne suis donc ni de droite ni de gauche. A peine, si je me considère du «centre», représenté de facto par Mr Faya MILLIMONO qui, malgré l’inconfort de sa position, cherche à apaiser une situation qui reste fortement tributaire de la Bipolarité politique qui, depuis CONTE, régente les rapports entre la Majorité et l’Opposition.

Monsieur le Président,

J’ai une fois, dans l’un de mes nombreux écrits, posé cette question : Le président Condé, peut-il gouverner avec des Slogans creux « Guinea is back! » C’était au tout début de votre pouvoir, quand vous avez laissé croire que tous les maux dont souffrait le peuple de Guinée allaient être réglés immédiatement; notamment la corruption et l’insécurité. Pour dire vrai, il s’agissait d’un bon début. De la belle époque, de « l’âge d’or » du changement constructif. Votre majorité était alors composée, essentiellement, du Peuple qui vous a soutenu, quand vous avez été emprisonné par le feu Président CONTE pour des raisons que vous connaissez, et non de ces officiers caméléons et hommes politiques qui l’entouraient – et vous entourent – aujourd’hui.

Monsieur le Président,

Ceux qui jugent votre action depuis votre arrivée au pouvoir s’opposent sur plusieurs points. D’abord, par où commencer ? La culture de la division ethnique, les assassinats ciblés, l’emprisonnement arbitraire de quelques officiers supérieurs de l’Armée guinéenne, récemment libérés, Dieu merci, les présidentielles de 2010 et de 2015 avec leur zone d’ombre etc., etc.

Evidemment, que la prise en compte de l’un de ces repères, au détriment des quatre autres, détermine le jugement que l’on a sur vous. Et, oui, il ne s’agit que de jugements, pas de la Vérité. Des jugements qui n’engagent que ceux qui les portent et qui, s’ils sont compris comme tels, éviteraient bien des incompréhensions aujourd’hui.

Monsieur le Président,

J’avoue que vous avez bien accompli quelque chose. J’aime bien cette expression « quelque chose », qui permet de ne pas donner un contenu à vos réalisations et de départager ceux qui vous soutiennent d’avec ceux qui vous critiquent. Ce sera à l’aune de leur allégeance ou de leur opposition, de leurs sentiments et ressentiments.

Un ministre, par exemple, dira que la « Guinée Nouvelle » est devenue un paradis terrestre, cet Eden mythique tant chanté par les poètes. Cela tiendra à l’intensité de sa volonté de ne pas perdre son poste et de jouir, le plus longtemps possible, des privilèges qu’il confère. On ne peut lui en vouloir. Après tout, c’est son sentiment, son intime conviction. Et son intérêt aussi.

Un chef de parti de l’opposition parlera de géhenne sous votre règne, du plus mauvais des régimes que la Guinée ait connu de l’indépendance à nos jours. Il joue, à fond, son rôle d’opposant à un pouvoir qui ne peut lui demander de l’applaudir. Mais, peut-être bien, qu’il devait, pour donner plus de crédit à la critique, accepter que le bilan du Président Condé n’est pas tout à fait conforme à la descente aux enfers que décrivent aujourd’hui ceux qui ne pardonnent pas à l’ancien opposant historique de leur avoir volé leur victoire. Il y a là du ressentiment d’avoir été de la majorité, sans jouir pleinement des « avantages » qu’elle offre, ou d’avoir fait de mauvais calculs, à un moment donné du processus qui a conduit de la chute de Dadis Camara à votre Sacre, en passant par le jeu d’alliances et de contre-alliances durant le passage de Sékouba Konaté au pouvoir.

Monsieur le Président,

Pour éviter le piège des « réalisations », disons que vous avez fait « quelque chose ». Je m’en vais donc donner un contenu à ce que j’estime être votre bilan. Positif puis négatif.

La plupart des Guinéens s’accordent à vous donner tout le mérite d’avoir mis fin au problème d’électricité en Guinée. 52 ans de régimes dictatoriaux qui, malgré quelques « éclaircies » étaient une véritable catastrophe, notamment sur le plan économique et social.

Durant cette période charnière, les opportunités offertes à ces différents régimes de par les institutions de Bretton Woods et les fonds de financements arabes pouvaient permettre à la Guinée de rattraper « le temps perdu ». Malheureusement, les milliards de dollars US offerts par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de prêts, de dons ou de quasi-dons, n’ont servi qu’à creuser le fossé entre riches et pauvres. Mais la pire des catastrophes a sans doute été les exactions commises durant votre campagne électorale de 2010 et dont les conséquences continuent, encore aujourd’hui, à empêcher la cohésion nationale, malgré tous les gestes de bonne volonté que vous êtes en train de faire montre au jour d’aujourd’hui.

Il y a aussi que, dans votre lutte contre la gabegie, deux aspects importants retiennent l’attention : la peur bleue des responsables de toucher désormais à l’argent public, ce qui était du temps de Conté, le sport national n°1, et la restructuration de certains services. A ce sujet, il m’arrive souvent, monsieur le Président, de citer l’exemple de l’Armée dont les éléments passaient tout le temps dans les rues de la capitale, armés jusqu’aux dents pour intimider et rançonner les paisibles citoyens.

Plus besoin aujourd’hui d’avoir un parent ou ami haut placé pour bénéficier de ce qui était, de manière théorique, un droit pour les fonctionnaires et agents de l’Etat mais un privilège (en pratique) réservé seulement à ceux qui connaissant les coins et recoins d’une administration pourrie.

Monsieur le Président,

Vous avez failli dans d’autres domaines. D’abord, vous n’avez pas tenu longtemps dans votre volonté de changer le style et les moyens de la gouvernance politique et administrative. Le Système n’a pas tardé à avoir raison – aussi – de vous. Exactement comme vous le reprochiez au Régime de la transition! Dans votre entourage, il y a beaucoup de ces hommes et femmes qui étaient ministres, sous un pouvoir que les Guinéens vouent aujourd’hui aux gémonies. Comment expliquer cela ? Une capitulation de votre part ? La volonté d’utiliser les mêmes moyens (tribus, argent, élites) pour arriver aux mêmes fins (durer au pouvoir) ?

Pour sauver la situation (on dit sauver ce qui peut encore l’être), revenez rapidement à votre projet de renouvellement de la classe politique. Je suis entièrement d’accord que pour changer la situation du pays, il faut du sang neuf. Il y a un temps pour la retraite. Même en politique.

Il faut aussi privilégier la bonne recette de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Ne pas trop compter sur ces dosages entre tribus, régions et communautés. Si les choix sont justes et si la démocratie est vraie, personne ne trouvera à dire si les Mandendjallon que vous avez sciemment inventé  ou les Donzos ont plus de profits (au niveau du gouvernement). Pour cela, il faut d’abord que l’on arrive au stade où l’on comprenne, tous, qu’il n’y a qu’une Guinée. Il y a, reconnaissons-le, de bons signes qui font penser que vous êtes sur la bonne voie. Gracier Bah Oury et consort, libérer les officiers militaires arbitrairement arrêtés est déjà un bon signe de ce que ces gens ont vécu comme injustices.

Monsieur le Président,

C’est au niveau de l’administration que beaucoup de choses restent à faire. Ah, si vous savez ! Je suis sûr qu’on ne vous dit pas tout sur le « profil » des hommes et femmes qu’on vous présente, chaque jour, au Conseil des ministres, pour des nominations. Ce n’est pas de la dénonciation, mais le mal est si profond qu’il faut une mesure urgente pour stopper cette injustice qui fait des personnes comme moi des « opposants » au Système. Aussi, je dis bien aussi, l’exclusion et les assassinats pendant les années de braise de l’histoire de notre pays et celle de la perpétuation de la pratique de haine inter-ethnique au sein de l’ensemble des composantes nationales continuent de mettre à mal la cohésion nationale. L’Etat de droit a certes connu des progrès dans le pays à travers la reconnaissance par l’Etat de ces tares et par l’engagement de celui-ci à les combattre mais des insuffisances notoires persistent quant aux questions de la justice sociale et de la bonne gouvernance. Or, la lutte contre le sous-développement endémique dans lequel se débat le pays ne peut être véritablement efficiente qu’à la condition d’un vivre ensemble harmonieux et apaisé entre les différentes composantes de la population. La question de la justice sociale est donc primordiale pour amorcer la lutte pour le développement.
Monsieur le Président,

Méfiez-vous des « faux amis » politiques. Et là, j’en reviens à la problématique de la Majorité. Question d’intérêt et de principe. Il y a ceux qui vous soutiennent pour le premier, rarement pour l’autre.

Au niveau du RPG, tout le monde sait que les soutiens se monnayent. Ils fluctuent à la bourse des intérêts de la tribu, de la région et du groupe social. On retrouve là le principe des vases communicants avec, pour le moment, un préjugé favorable à la Majorité. Mais jusqu’à quand ?

Pour l’instant, le peuple de Guinée n’a pas encore véritablement apprécié ce nouveau Gouvernement qui semble inerte face aux problèmes socio-économiques. Entre l’ancien et le nouveau Gouvernement, c’est Bonnet Blanc et Blanc Bonnet. Une façon de placer dans le même panier ces deux Gouvernements qui me paraissent comme étant les deux faces d’une même monnaie. De toute façon, et comme l’a si bien prédit, un de nos meilleurs journalistes, en 2020 c’est le départ définitif de la vieille classe politique et toute la racaille. En 2020, c’est la jeunesse, c’est le sang neuf.

Amadou Nouhou Diallo

 

 

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