Censure

02 Octobre 1958 : Dans quelles conditions avions- nous réellement accédé à l’indépendance ? (Par Ndiaye mamady)

61 ans après, nous pourrions être tentés de dresser un bilan critique de notre parcours depuis la souveraineté, beaucoup d’auteurs et de spécialistes s’en chargent d’ailleurs, mais il serait également assez pertinent de faire une petite étude rétrospective du cadre géopolitique et économique de cette époque. Descendre en profondeur c’est mettre en évidence des informations qui ne sont pas spécialement connues des jeunes générations.  

        Fin septembre 1958 la Guinée, à la surprise générale, la Guinée est la seule à voter NON au referendum proposé par René Coty et le General Charles De gaulle et proclame son indépendance dès le 02 octobre. Cette séparation pour le moins brutale d’avec l’ex-colonisateur, pourtant grandement saluée par le monde « progressiste » en ces temps, est aujourd’hui source de biens de controverses dans l’opinion publique guinéenne. Oui, force est de reconnaitre qu’un nombre considérable de guinéens estime que ce refus d’adhérer à la communauté française a été un handicap sérieux au développement socioéconomique de notre pays. Oui, nous avons tous entendu une ou deux fois au cours de quelques échanges dans les « café-bar » ou dans  les bus des camarades qui proclament haut et fort : que sans l’aide des « fotés » nous autres africains seront indéfiniment  incapables d’assurer notre propre essor économique. D’aucuns pensent que si nous avions dit OUI à la  « communauté » au moins nous n’aurions pas tant de problèmes que ça aujourd’hui.  Et bien qu’il y ai un groupe de gens un petit peu imprégnés de sentiments  nationalistes qui voient d’un œil assez positive notre audace au moment de la prise de décision finale face à la puissance coloniale, les arguments manque pourtant pour dire en quoi le NON initié par feu le président Ahmed Sekou Touré a été bénéfique pour l’évolution du pays car il est effectivement aisé de croire qu’avec « la communauté » nous aurions pu bénéficier des programmes d’aide au développement promis par les occidentaux. A ce niveau on devrait logiquement se demander quels étaient donc les véritables termes de ce « contrat » que la France voulait voir ses colonies signer ? A quels types de conditions spécifiques devions-nous nous engager pour profiter du soutien promis par les anciens colons ? Pour mieux répondre à toutes ces questions, il est essentiel de dresser un panorama historique des évènements qui se sont enchevêtré jusqu’à aboutir à l’autonomisation des colonies.

                « Avant tout il faut savoir comment est née la colonisation »

     A la fin du 19e siècle les nombreuses révoltes et les pressions faites par les esclaves pour la liberté ayant entrainé l’abolition de l’esclavage, et avec l’avènement de la révolution industrielle, les européens ne se sentirent plus obligé de dépenser de l’argent pour continuer à utiliser des esclaves comme moyens de production. L’idée nouvelle était de s’installer en Afrique même et planifier l’exploitation des ressources minières et humaines du  continent, par ce qu’il faut savoir que la « prédation » était déjà un système économique à son apogée, ont peut dire aujourd’hui sans crainte que trois quart de la fortune de la France, par exemple, est issu de l’exploitation de ses colonies, colonies qui, jusqu’aujourd’hui elle continue d’entretenir de ses « bonnes grâces », des manœuvres purement à but lucratif drapé sous le voile de « la grande mission civilisatrice » qu’incombe un devoir « moral » à une France pétrie de valeurs humanitaires. Malgré les farouches résistances des populations locales un peu partout sur le continent, les européens ont quand même  usé de tous les moyens à leur disposition pour réaliser leur objectif, ça pris le temps qu’il a fallut mais ils y sont arrivés au final. On peut voir clairement que ce n’est pas par gentillesse ou par humanisme que les colons ont déboursé tant d’énergie pour soit disant « civiliser » ou aider tout simplement des peuples qui n’avaient nulle envie d’être « coachés« . L’équation est simple : l’Afrique disposant de plus de la moitié des ressources de la planète, tout le monde est attiré là par l’appât du gain que cela suscite.

« L’issue de la seconde guerre mondiale a constitué un facteur important dans l’émancipation ou une certaine prise de conscience des peuples africains«   

    Alors si on prend en compte que la prédation et la cupidité étaient déjà une mode raisonnement politique à son apogée, nous pouvons mieux cerner le comportement de l’Allemagne qui, en déclenchant ces deux guerres au cours de la première moitié du siècle dernier, manifestait clairement qu’elle n’était point satisfaite de sa part du « gâteau« .  Quoi qu’il en fut, l’essentiel pour nous les « tropicaux »  est que l’issu de la seconde guerre mondiale a constitué un facteur important dans l’émancipation ou une certaine prise de conscience des peuples africains qui va amener aux luttes pour l’indépendance avec la pression mise également par les Etats-Unis, grand « héro«  de la guerre contre les nazis, qui appuyait alors cette nouvelle vision du respect du droit humain, du respect la vie elle-même née des cendres de deux horribles guerres aux quelles eux-mêmes ont failli ne pas en réchapper.

   Les anciens empires coloniaux sont ainsi obligés de souffrir de se séparer enfin de leurs diverses colonies qu’ils affectionnent tant.

   Intéressons-nous maintenant plus particulièrement au cas de la Guinée qui, à l’époque faisait parti de l’AOF (Afrique occidental française).

    Sur ce nouvel échiquier politique international, la France était confrontée à un problème crucial : comment accorder l’indépendance aux  colonies, tout en conservant les profits colossaux en termes d’économie, en termes de puissance géopolitique, qu’elle tirait du « business« .

    Sous la présidence de René Coty et du gouvernement  dirigé par le General Charles de gaulle, la France va proposer à ses colonies le dit referendum pour l’avènement de la cinquième république qui stipule officiellement de bâtir une grande famille dans la quelle en bon « papa«  bien intentionné la France continuera de soutenir le développement de ses « petits » sauf que l’on n’aborde très rarement la question de savoir en échanges de quoi les africains pouvaient bénéficier du soutien promis.

En ce référant aux documents, le deal proposé par de gaulle aux africains peut être schématisé comme suit :

Vous aurez l’indépendance mais en échange vous devez :

  •  Nous fournir les matières premières stratégiques et les ressources minières, végétales etc. dont nous avons besoin pour notre industrie et faire la plupart de vos échanges commerciaux avec nous (le colon comme partenaire privilégié dans les affaires commerciales). C’est le volet commercial des accords.
  • Garder comme monnaie le franc CFA qui signifie le franc des colonies françaises d’Afrique. C’est le volet économique des accords
  • Maintenir la langue française comme langue officielle de vos états, avec des systèmes comme la francophonie, les centres culturels français, les programmes  d’études en français … C’est le volet culturel des accords
  • En échange de quoi votre ancien colon vous « protégera » et vous « défendra », en un mot assurera votre sécurité en cas d’attaques venant d’autres pays. C’est le volet militaire des  accords avec les accords de défense, les bases militaires en Afrique, etc. ce sont ces accords qui entrainent parfois des interventions militaires françaises en Afrique.
  • En échange votre ancien colon vous «aidera» aussi à vous développer, vous «aidera» économiquement dans le cadre des prêts économiques (d’où le système de la dette), ou les «aides au développement» , etc.

C’est tout ceci que l’on appelle encore aujourd’hui les « accords de coopération » ou de « Co-développement » entre les états africains et leur ancien colon.

  Si tous les autres  pays africains concernés ont cru à ce deal et ont adhéré pleinement à la « communauté », tel ne fut pas le cas de la Guinée ou sur 1 408 500 électeurs inscrits, 1 136 324 ont voté NON aux élections du 28 septembre 1958. Oui nous avons préféré, sous la direction de Sekou Touré l’indépendance totale, la résolution de nos problèmes par nous même. Il faut souligner que c’est peu de dire que l’hexagone fut très mécontent de cette tournure des évènements en Guinée qui remettait entièrement en cause l’autorité qu’il avait exercé jusqu’alors sur son « empire ».

     « Les programmes d’aide au développement promis par la France ont-ils donné des résultats positifs ? « 

  A ce niveau nous pouvons nous attaquer maintenant à notre problématique qui de savoir si l’adhésion à la cinquième république était la meilleure solution pour la Guinée à ce moment de son histoire ? Les programmes d’aide au développement promis aux autres pays ont-ils donné des résultats positifs ? Pour ce qu’on en sait, la France a apporté son soutien à plusieurs régimes en Afrique au moment même ou les populations de ces pays étaient au seuil de la pauvreté critique, Moubutu au Congo est une illustration du passé, Sassou Nguessou au Congo Brazzaville, Idriss Debi au Tchad, Paul Biya au Cameroun sont des exemples actuels. Par ailleurs nous avons vus des rebellions, des troubles politiques éclatés dans des pays dont les dirigeants étaient un peu « trop » renforcés de sentiments nationalistes, avec des coups -d’état au style des gangsters et compagnie, ce fut le cas la Côte-D’ivoire avec Gbagbo, au Congo avec Lumumba, au Burkina avec Thomas Sankara, etc. Nous savons aussi sans aucun doute que la France a mené plusieurs opérations pour boycotter le « projet » guinéen : Maurice Robert, chef du secteur Afrique au service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) de 1958 à 1968, explique que : « Nous devions déstabiliser Sekou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition. (…) Une opération de cette envergure comporte plusieurs phases : le recueil et l’analyse des renseignements, l’élaboration d’un plan d’action à partir de ces renseignements, l’étude et la mise en place des moyens logistiques, l’adoption de mesures pour la réalisation du plan. (…) Avec l’aide d’exilés guinéens réfugiés au Sénégal, nous avons aussi organisé des maquis d’opposition dans le Fouta-Djalon. L’encadrement était assuré par des experts français en opérations clandestines. Nous avons armé et entraîné ces opposants guinéens pour qu’ils développent un climat d’insécurité en Guinée et, si possible, qu’ils renversent Sékou Touré. (…) Parmi ces actions de déstabilisation, je peux citer l’opération « Persil », par exemple, qui a consisté à introduire dans le pays une grande quantité de faux billets de banque guinéens dans le but de déséquilibrer l’économie ». Toutes ces manœuvres de freinage économiques perpétrées par la France ont très certainement été à l’ origine de la sombre période de répression interne au quelle les  dirigeants guinéens de l’époque ont surement été contraint pour se protéger des menaces extérieurs toujours biaisés de l’intérieur, fameuse période tant décriée par les médias de ceux là même qui organisaient la poursuite des buts impérialistes.

     Et malgré tout ça, on ne peut en aucun cas sous-estimer l’héritage moral, idéologique et matériel qui nous a été légué par nos « pères fondateurs » car ni l’isolement ni les pressions extérieurs ne les ont empêchés de créer des structures solides, de mettre en place des institutions et d’exécuter un plan de développement collectif. Il faut aussi souligner qu’ils avaient réussies un avancé considérable dans le domaine de l’industrie avec la création d’usines de transformation agroalimentaire et autres, tout en cultivant un sentiment de patriotisme et de cohésion dont tout peuple a besoin comme « ciment » pour coexister et évoluer.

   Comme le précise bien l’historien et chercheur guadeloupéen Jean Philipe Omotunde « pour prendre position quelque part, pour un peuple, il est indispensable de connaitre ses origines, (…) marquer ses repères, prendre du recul pour mieux bondir en avant. » partant de cela les guinéens peuvent tirer un grand intérêt à renouer avec leur passé, surmonter les phases douloureuses et accepter de construire ensemble un avenir meilleur, comme le dit le vieux dicton « mieux vaut tard que jamais ».

Référence :

  • « Ces Messieurs Afrique » de Stephen Smith et Antoine Glaser
  • « qu’es ce que la françafrique » lisapo yakama.com
  • Wikipédia
  • Persee.fr
  • Rfi.com
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