Censure

La CENI et les « accords politiques » / La gouvernance en question (Par Bah Oury)

Encore une nouvelle fois au lendemain de la publication définitive des résultats des élections communales le vendredi 23 février par la CENI, des partis dits de « l’opposition républicaine » lancent une série  de manifestations politiques pour disent –ils « réclamer la publication des vrais résultats ». Une opération ville morte  est déclarée le lundi 26 au moment où les écoles du pays sont paralysées par une grève conduite par M.Aboubacar Soumah du SLECG. Deux morts et plusieurs blessés furent dénombrés pour cette seule journée. Le lendemain, un communiqué laconique indique qu’un accord a été signé entre cette opposition et les représentants du gouvernement. Cet accord stipule que la CENI réexaminera les résultats contestés et procédera aux décomptes des voix s’il y a lieu.

Cette démarche est devenue un rituel après chaque crise politique dans le pays et mérite un examen critique, car elle sape les fondements de l’autorité de la loi et des principes cardinaux de l’Etat de droit.

La question de la gouvernance

Le code électoral prévoit (article 114) que le contentieux électoral pour les communales est examiné par le Tribunal de Première Instance de ressort de la circonscription, qui statue. Son jugement n’est susceptible d’aucun recours, précise également le code. C’est à l’issue de cette cascade de procédures que la CENI proclame les résultats définitifs. En dépit de la clarté de la loi en la matière, « l’accord politique opposition républicaine- gouvernement » ouvre une nouvelle fois des brèches dans le dispositif légal du pays.

  • La CENI, constitutionnellement indépendante ne peut en aucune manière recevoir des instructions provenant de l’extérieur de l’institution. Passer outre cette disposition reviendra à porter atteinte à son indépendance de jure, à sa crédibilité et à sa neutralité. Toutefois celle-ci peut à sa guise s’entretenir et échanger avec n’importe lequel des acteurs du processus électoral.
  • Le second aspect relatif à la « révision » des résultats définitifs de la CENI est du point de vue légal, impossible. L ‘envisager pourrait amener la CENI à être en porte-à-faux avec la loi.

Les « accord-politiques » en lieu et place de la loi

Ces cinq dernières années nous avons observé maintes fois que chaque crise politique est instrumentalisée pour détricoter les principes républicains et les lois du pays. La mise en place des délégations spéciales deux années durant est issue des arrangements d’août 2015. L’élaboration du code électoral actuel avec la nomination des chefs de quartiers et de présidents de districts et la suppression de leur personnalité juridique est le fait de l’accord dit politique d’octobre 2016.  Les conséquences de ces choix se manifesteront certainement plus tard. La suppression de fait des listes indépendantes avait même été votée par les députés de l’assemblée nationale en février 2017. Il a fallu que le Conseil Constitutionnel amende ces dispositions liberticides et anti-démocratiques pour sauver le processus démocratique guinéen. Il s’avère que ces « arrangements politiques » qui sont de vrais coups de butoir contre l’Etat de droit ont pour motivation la satisfaction de clientèles politiques, partisanes et claniques. Dans ce contexte, la République s’en trouve fragilisée et l’Etat vampirisé. A termes, l’impunité est accordée aux tenants et les démunis se retrouvent privés de leurs droits. Sous le prétexte d’un esprit de consensus en lieu et place de l’application stricte des lois et des règlements, la gouvernance dérive  vers la constitution de féodalités hermétiques et violentes.

C’est quoi « l’opposition démocratique constructive » 

A l’aune de l’expérience et de la durée, il est admis que l’a stabilité et la solidité des institutions d’un pays dépendent de l’existence de contre-pouvoirs efficaces. Le principal d’entre eux est l’opposition politique nationale, ensuite les organisations classiques de la société civile..

La mission fondamentale de l’opposition est d’avoir une vue critique, responsable et constructive des actions de la majorité au pouvoir. Son efficacité se mesure à sa capacité d’infléchir la position des autorités en situation de responsabilité pour une meilleure gouvernance politique, économique et sociale du pays tout entier.

Cette dialectique est déterminée par la qualité des personnes qui animent aussi bien la mouvance de l’exécutif que l’opposition. Bien entendu ceux qui gouvernent ont un rôle prépondérant. Mais dans la durée, une opposition critique, constructive, démocratique pourra assurer la transformation qualitative des institutions du pays. Ce processus novateur sera accéléré si l’exécutif est aussi orienté à peser dans le même sens.

Dans notre contexte actuel, notre démarche est à la fois de faire émerger des contre-pouvoirs efficaces et de préparer aussi des cadres aptes à concevoir des projets nationaux et d’apporter des solutions efficientes aux grands défis dont est confronté notre pays. Cela nécessite un regard neuf, ouvert, constructif et honnête. Saluer les réalisations gouvernementales qui confortent les intérêts nationaux et critiquer les actions qui s’en éloignent tout en proposant dés fois des démarches alternatives. C’est ainsi que des équipes se préparent à gouverner demain. Mais une opposition qui accompagne le pouvoir dans ses dérives ou qui ramène son combat à la satisfaction de quelques intérêts et privilèges individuels ne saurait être une opposition vertueuse, constructive et démocratique. La ligne de démarcation doit désormais être nette. Notre tragédie collective, est à rechercher de ce côté là.

Une opposition sérieuse et responsable fonde sa stratégie politique sur une base juridique solide à savoir le respect de la constitution, des textes réglementaires qui régissent le fonctionnement de l’Etat, et des principes internationaux que notre pays a ratifié. Ce sont les enseignements que Feu BA Mamadou, Président d’Honneur de l’UFDG nous a laissés. Il aimait faire des propositions sous forme d’articles sur les sujets d’intérêt national. Certaines personnes lui demandaient, « pourquoi donner des idées au gouvernement que tu combats ? » Sa réponse était empreinte d’une grande lucidité et d’un sens élevé de responsabilité. Il leur répondait : « Si le gouvernement agit mal, l’héritage sera encore beaucoup plus catastrophique, si par contre il travaille bien, alors c’est le pays qui gagnera »  Il poursuivait ainsi «  j’ai intérêt donc, que le gouvernement travaille bien, pour avoir moins à faire lorsque j’aurai  la responsabilité de ce pays». Voilà comment nous devons agir pour construire, pierre par pierre le socle de la démocratie et de la culture de bonne gouvernance en Guinée.

Agir différemment, en multipliant les manifestations de rue à chaque instant pour assouvir des intérêts égoïstes avec les carnages qui en découlent sape les fondements de l’Etat de droit. Poursuivre dans cette direction malgré tout, pourra être assimiler à une conspiration à ciel ouvert pour détruire le pays et le plonger dans une in- gouvernabilité rampante.

La CENI face à son avenir 

Si la CENI ,abdique en agissant dans le sens opposé au code électoral ,alors une jurisprudence sera établie qui ruinera irrémédiablement les capacités de celle-ci à être une institution indépendante, neutre et apte à organiser dans un environnement de paix les prochaines consultations nationales . L’exemple tragique de la CENI de Côte-d’Ivoire en 2010 est encore frais dans nos mémoires. Sachons tirer les bonnes leçons des malheurs des autres pour éviter les répétitions des fautes qui détruisent des vies et des pays.

BAH Oury

Ancien Ministre de la Réconciliation Nationale

Animateur national du « Le Renouveau »

1er Vice-Président de l’UFDG

 

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