Censure

‘‘Des discours sectaires, populistes, ça ne rassure pas’’, dixit Aliou Bah du BL

Dans cet entretien qu’il a accordé à notre reporter, le directeur de communication du Bloc libéral ne va pas de main morte pour dépeindre la mauvaise gouvernance du régime Condé. Aliou Bah dénonce également les différents voyages du chef de l’Etat, lesquels selon lui n’apporteraient rien comme profit au pays.

Nous sommes toujours dans la période post-Ebola. Aujourd’hui quelle lecture faites-vous, de la gouvernance socio-économique actuelle du pays?

Aliou Bah : Après Ebola, il y a eu des nouveaux objectifs qui ont été fixés dans le cadre du budget. 2105 a été une année de récession économique, ça veut dire qu’on n’a pas créé de la richesse, et 2016 était consacré comme étant une année de relance. Les partenaires ont beaucoup accompagné. Et l’Etat guinéen particulièrement n’a agi que sur 2 volets, quasiment, le zèle des investissements publics et l’augmentation des taxes et impôts sur plusieurs produits de haute consommation. Il se trouve que de façon inaperçue, que l’Etat mobilise des recettes, mais le paradoxe est que la population continue de s’appauvrir parce qu’il n’y a pas d’investissement. Et quand il n’y a pas d’investissement, il n’y a pas de revenu et quand il n’y a pas de revenu, ça veut dire qu’il n’y a pas de création d’emploi. A la fois, l’effet direct d’investissement ne se fait pas et l’effet indirect non plus, qui représente, les effets indus qui se créent autour des investissements ne se fait pas non plus. Alors la population continue de s’appauvrir et les indicateurs du programme des Nations Unies pour le développement à travers l’IDH (indice de développement humain), on se rend compte que 57% de nos compatriotes vivent avec moins de 2$ par jour, ça veut dire que ceux-ci sont considérés comme des gens pauvres au regard des indices du système des Nations Unies. Il ne sert à rien de se vanter de performance économique relative, si le niveau de pauvreté ne fait qu’augmenter. Donc, c’est le paradoxe guinéen.

Bientôt nous aurons une nouvelle loi de finance pour l’année 2018. Quelle analyse faites-vous de la loi de finance en cours?

On ne peut évaluer la loi de finance en cours terme, parce que nous ne sommes qu’au milieu de l’année. L’évaluation, ne peut se faire de façon claire et précise qu’au terme de l’exécution budgétaire. Il faudrait attendre à l’occasion de la session budgétaire qui va s’ouvrir en octobre pour faire une évaluation dans le cadre de ce qu’on appelle la loi de règlement qui permettra de savoir comment le budget a été exécuté. Les objectifs budgétaires, s’ils sont atteints ou pas. Donc une évaluation va se faire et une loi sera prise en conséquence par l’Assemblée nationale. Maintenant, si on analyse les tendances, on peut se dire est-ce que la Guinée se porte mieux déjà au courant de l’année avant même qu’on atteigne le terme de l’exercice budgétaire, je dirais que la crise multidimensionnelle n’aide pas la situation économique. Ça  veut dire qu’il n’y a pas de grands investissements, ni venant de l’extérieur, ni des investissements sur le plan local, il n’y a pas un dynamisme économique interne. La Guinée n’inspire pas confiance. C’est déjà une situation qui a des conséquences sur l’ensemble de l’économie, c’est un paramètre psychologique. C’est sur ce paramètre, toute l’économie se construit. S’il n’y a pas de confiance, forcement l’économie n’existe pas. Alors après Ebola, nous avons eu une situation de blocage politique. Nous n’avons pas de visibilité sur le calendrier électoral. La loi n’est pas bien respectée, les discours du président ne sont pas responsables. Quand on a des discours sectaires, populistes, ça ne rassure pas les acteurs de l’économie. Il faut ajouter à ça, la question de la justice, des infrastructures, de la sécurité. Vous vous rendrez compte, que la Guinée ne mobilise pas les conditions nécessaires pour être un pays attractif pour les investissements étrangers et pour créer le dynamisme économique interne. Donc, la population est en train de végéter dans la pauvreté. Les perspectives ne sont pas rassurantes.

Aujourd’hui on remarque que les Chinois sont beaucoup plus présents dans le secteur minier guinéen. Quel est votre point de vue?

Les Chinois sont présents partout en Afrique. Il faut savoir, qu’est-ce qu’il faut en faire. La Chine est devenue un partenaire incontournable pour les Etats qui veulent se développer. Ça peut être à la fois un atout, un handicap, ça dépend des natures des contrats qu’ils vont signer avec les Chinois. Maintenant pour le cas de Boké, il y a une dizaine d’entreprises minières qui interviennent dans le domaine de l’exploitation et de l’exportation des produits miniers. Malheureusement, nous ne faisons pas de la transformation, on continue d’exporter de la terre rouge en quantité, ça ne nous garantira pas le développement parce qu’il n’y a aucune valeur ajoutée, tant que le processus de transformation ne se met pas sur place au niveau local. Les emplois qui se créent sont minimes par rapport au potentiel et nous perdons beaucoup d’opportunités, le fait qu’on ne dispose pas d’industries qui peuvent transformer notre bauxite en produit semi-finis pour que ça soit ces produits-là, que nous exportons. Alors, l’intervention des Chinois en Guinée, je n’ai rien contre les Chinois, mais je dirai qu’on pouvait travailler en meilleur intelligence avec la coopération chinoise, mais si on se rend compte de ce qui se passe sur le terrain, on voit effectivement, c’est plutôt un clan qui profite de tous ces avantages-là.

Quelle analyse faites-vous de la loi anti-corruption qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale ?

J’avoue que je n’ai pas lu cette loi. A priori c’est toujours une bonne chose de légiférer sur la corruption parce que la corruption coûte des milliards de dollars de perte par le circuit économie et l’argent de la corruption est toujours utilisé à des fins souvent néfastes. Aujourd’hui le législateur pense à créer une loi contre la corruption pour renforcer l’arsenal juridique sur la corruption. Mais à ce stade-là, je ne peux pas analyser la loi elle-même parce que je n’ai pas connaissance de cette loi.

Est-ce que selon vous les différents voyages du président de la République ont apporté un plus ou  augurent-ils des lendemains meilleurs pour le pays?

Non ! Il annonce chaque fois qu’il y aura des grands investissements, on ne les voit pas. Vous n’avez pas besoin de trop voyager pour mobiliser aujourd’hui des partenaires. Il suffit d’être un pays attractif. A travers un clic sur internet, on peut déjà savoir c’est quoi la Guinée. Il y a une certaine instantanéité de la diffusion des informations à travers les nouvelles technologies d’information et de la communication. Donc, le fait d’organiser des ateliers, des colloques à l’international ou en Guinée, ça ne garantit pas véritablement la destination Guinée pour les investissements, parce qu’il y a toutes une lourdeur administratives. Il y a un système éducatif qui ne forme pas les cadres qui soient opérationnels et de bon marché, les cadres techniques et professionnels. Il n’y a pas une adéquation de la formation et du besoin du marché de l’emploi. Il y a beaucoup de réformes à faire pour que nous soyons un pays attractif au-delà des discours, des voyages du président, ça ne se résume pas qu’à une question d’un déplacement, simple pour attirer des investisseurs. Je crois que ce n’est pas sérieux du tout. Sinon, on les aurait eus. A ce stade-là, si vous voyez la réalité du terrain, vous vous rendez compte, qu’il n’y a aucun homme sérieux dans ce monde qui investit encore en Guinée.

Que pensez-vous du système éducatif guinéen, surtout avec les différentes réformes annoncées par le ministre Kalil Konaté ?

Je suis du système parce que je suis enseignant. Le système éducatif guinéen est loin d’être celui qu’il faut pour une économie qui veut se constituer dans une compétitivité internationale à l’évidence. Donc, je ne vois pas des reformes  annoncées. Chacun vient faire du colmatage. Tout le monde vient agir sur les examens de fin d’année lorsqu’on ne se rend pas compte qu’il y a une phase préparatoire à ces examens. Un examen de fin de cycle sanctionne l’ensemble du cycle. Alors il faut savoir que les gens doivent se préparer à la base. L’accès à la documentation, il y a un problème. Il n’y a pas une politique publique du livre en Guinée, il n’y a pas aussi une certaine rigueur à la formation des formateurs. Donc, quand vous prenez les zones rurales, vous voyez beaucoup de nos enfants n’ont jusqu’à présent pas accès à un centre éducatif. Alors, s’il y a des reformes à faire, il faudrait les faire  au lieu d’en faire un problème de démagogie politique. Vous avez suivi la crise de l’éducation en février, elle illustre le malaise ou le manque de conscience de notre système éducatif. Jusqu’à présent, on peut être en situation de licence en Guinée sans savoir dans quel domaine vous pourrez demain intervenir. Donc, je crois que c’est une situation assez regrettable. La dernière grande réforme du système éducatif en date des années 1995, je crois c’était au moment où la ministre Aicha Bah était là. Il y a certains responsables qui sont encore là. Tous ceux qui viennent préfèrent faire du colmatage, des petits arrangements, mais ça n’aide pas le système éducatif. Le budget aussi qui est consacré à l’éducation ne reflète pas les ambitions d’un gouvernement qui veut aller de l’avant. On a moins de 15% du budget national consacré à l’ensemble des départements qui s’occupent du secteur de l’éducation, tandis que la recommandation internationale va au-delà, de 20%. Il y a certains pays de la sous-région qui consacrent près de 40% leurs budgets au système éducatif.

L’actualité aussi, c’est la crise qui mine la CENI. Quelle lecture faites-vous de cette crise ?

La question de la CENI n’est pas une question d’actualité parce que chacun sait que depuis 2010 nous avons des problèmes avec l’organe de gestion et de supervision des élections. Donc, on ne va pas faire comme si c’est un problème nouveau. Seulement il est toujours amplifié au gré des agendas du président de la République. En 2012 Lounceny Camara avait soi-disant démissionné, mais pour être récompensé dans un gouvernement, il est encore un ministre d’Alpha Condé et puis Bakary Fofana a suivi sa partition. On fait comme  si on satisfait des conditions, on donne l’impression de le mettre à l’écart pour amener quelqu’un d’autre, qui est pire que lui. Cette question de la CENI ne se résume pas à un problème d’Homme, c’est un problème de modèle. Vous avez suivi que c’est un système de cooptation par copinage. L’organe de gestion et de supervision ne répond pas non seulement au critère adéquat pour être un organe efficace, mais aussi ceux qui le composent n’ont pas le profil réaliste ou le profil qu’il faut pour que notre CENI soit performante, et qu’elle puisse nous organiser des bonnes élections. Jusqu’à présent en Guinée pour avoir une date d’une élection, c’est extrêmement compliqué, étant donné que le calendrier électoral est constitutionnel. C’est regrettable.

Que pensez-vous des manifestations projetées par l’opposition républicaine ?

Elles sont nécessaires, opportunes et justifiées. On ne peut plus continuer de discuter avec des gens de mauvaise foi. A chaque fois que nous en sommes sortis d’un dialogue, vous avez vu comment le gouvernement guinéen et la mouvance présidentielle travaillent pour torpiller le contenu du dialogue. Nous sommes au 5ème dialogue depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé, ça devait gêner nos responsables, étant donné que tout ce qu’on discute dans le cadre du dialogue politique est déjà prévu par les lois de la République. Le président de la République a prêté serment de respecter et de faire respecter la loi. Si toutefois, il travaillait à cela, nous aurions économisé notre temps et nos efforts à discuter de dialogue politique. Alors nous sommes arrivés à un niveau, où seul un contrepouvoir efficace peut permettre de fléchir le gouvernement guinéen sur des questions essentiellement régler par nos textes et lois. Donc, nous soutenons la tenue des manifestations de rue.

Entretien réalisé par Sadjo Diallo

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