Censure

Le faux combat des politiciens guinéens pour la démocratie (Par Ibrahima Sanoh)

Ibrahima Sanoh

 

« Le Président de la République est le chef de l’Etat. Il est le chef des armées. Tout citoyen   éligible   et âgé d’au  moins   trente cinq ans   peut être   élu Président de la République. »  Voilà  ce que stipulait l’article  10 de la constitution  guinéenne  du 10 Novembre 1958. En substance, les lois guinéennes n’ont jamais refusé le multipartisme dès lors qu’elles  reconnaissaient à chaque  Guinéen le droit de se présenter à une échéance électorale  sans distinction   de sexe, de race et de religion. L’un des  malheurs de la  Guinée n’est pas   la faiblesse  pure et simple du cadre législatif, mais la non-application de la loi  . La charte constitutive du 10 Novembre 1958 fut violée et ses dispositions  furent foulées du pied. L’exécutif s’était donc fait jucher sur les épaules et avait écrasé les autres pouvoirs au point de   marcher sur leurs pieds.

Pendant 26 ans et voir plus,   les dirigeants guinéens avaient  refusé le multipartisme. La réinstauration   du multipartisme en 1990   a été la montagne qui a accouchée  d’une souris : l’anarchie. L’absence de traditions démocratiques, de débats d’idées, de confrontations des écoles de pensée  a conduit   à  ethniciser   la politique   et à  faire émerger  des partis politiques   construits sur les formats ethniques.

Aujourd’hui, la faillite des intermédiaires, partis politiques,   donne lieu à des conséquences néfastes.  Sur tous les toits, les politiciens guinéens, de la mouvance  tout comme de l’opposition, crient   leur engagement pour  faire de la Guinée une démocratie.   Certains  appellent à la rue, d’autres à la désobéissance civile. Pour  d’autres, la Guinée   est plus qu’une dictature, mais une « kleptocratie »  à  la main accaparante.  Pourtant    , en voyant bien   , ceux – là   qui rêvent de démocratie à l’échelle nationale, ne  sont pas des démocrates. Aucune formation politique   guinéenne  ne dispose d’un programme d’éducation  politique de ses membres et de surcroît de sa jeunesse, et pis encore, d’un programme politique national digne de nom.  Pourtant, la charte des partis politiques de 1990, dans ses articles 3 et 4  assignent aux partis politiques guinéens  l’éducation politique des masses.

A l’heure où les tensions politiques s’exacerbent, certaines formations politiques   déclarent le Président   guinéen   illégitime. Pour ma part, je trouve la totalité des soi-disant leaders politiques guinéens illégitimes et illégaux.  Ils ne sont pas investis sur des bases démocratiques  au sein même de leur parti.   Ce qu’ils aiment appeler « congrès du parti  »,  n’est pas un primaire électoral devant conduire au choix interne du meilleur du parti, mais une vulgaire et sempiternelle forme d’allégeance. Cette une façon d’exprimer son  allégeance à un homme, président à vie du parti et candidat à vie à toutes les élections.

Les partis politiques guinéens  manquent de démocratie interne   , refusent le débat d’idées  et les diverges d’idées internes, ce qui sont leur soi-disant leaders politiques ou même présidents  sont nommés  par des groupies ou s’arrogent les titres de présidents  du fait d’avoir fondé   le parti qui est le leur. La démocratie, c’est la débat d’idées,  c’est aussi l’alternance, mais eux sont immuables[1].  Pis encore, ils incitent au culte de la personne, la leur. Ils véhiculent aux plus jeunes, à la jeunesse, le message du sous-passement de soi, selon lequel sans eux, point de prospérité pour la Guinée.  Voilà, comment la jeunesse est conduite à croire qu’elle est incapable. Elle a fini par intérioriser ce message et aussi sans convictions, une  partie d’elle  est déguisé la chaire à canons.

André Gluksman  avait bien raison en disant : « c’est l’idée du despotisme  qui nous donne   l’idée de la démocratie. On n’a pas  besoin d’afficher la  démocratie, on doit la vivre. » Chacun se dit démocrate, mais peu le sont. La démocratie que promeuvent les politiciens guinéens  est une diversion.  Ils parlent d’élections, mais pour quel changement ?  Où sont leurs programmes ?  Les élections, c’est le débat d’idées, c’est la confrontation des projets d’intervention publique.  On désinforme   et  use de la mauvaise foi en disant que le bilan d’untel est globalement négatif, sans être capable de proposer mieux.  On évoque les symboles sans être capable   de donner leur signification et puis   de préciser    leur sens.

Le peuple de Guinée   serait le grand perdant  si demain  les anarchies organisées qui sont nos formations politiques de tout bord  arrivaient à faire brûler le pays. Le marché politique guinéen  est défaillant. Pour parler de démocratie, il faut des mécanismes de  vote  qui soient acceptables, on doit voter pour les idées  et non pour  celui qui porte le patronyme et qui vient de la même région que nous.  Le communautarisme et le communalisme conduiront  sans nul doute à la confrontation   de deux candidats  issus des grandes ethnies.  Cela va sans nul doute encourager le clientélisme politique.

Que les Guinéens le comprennent bien, le vote, c’est pour leur intérêt. Mais un vote qui conduirait  à des recensements  ethniques   qui légitimeraient les candidats issus de grandes ethnies, ne saurait faire leurs affaires.  Aussi longtemps, qu’il n’y aura pas d’alternance interne  dans nos formations politiques,  que les groupies choisiront leur président sur des bases antidémocratiques, prêcher la démocratie sera  une diversion à  nos maux et problèmes.

En Guinée, nous avons besoin des idées et pas du  culte de la personne. Nous avons besoin des compétences, même à l’extérieur des anarchies organisées qui sont nos partis. Nous avons besoin des Hommes ayant la conviction morale, un sens de l’Etat grand et le véritable engagement politique. Mais les partis politiques guinéens ne proposent rien pour la Guinée, je n’ai vu et lu aucune programme politique, et les élections sont pour quelques mois . Toute cette fausse lutte pour quoi ?  N’est –ce pas pour permettre à une autre catégorie de clients de manger et satisfaire leurs besoins personnels et de réaliser leurs rêves d’enfance : devenir président ou ministre.

La jeunesse doit bien comprendre ceci : elle est la richesse et la rareté de la Guinée.  Et son avenir ne devrait pas se négocier sur des bases précaires, se faire tuer pour des  gens à la quête de la réalisation de leurs rêves, serait un gâchis. On ne peut pas parler d’élections sans programmes politiques, sans connaissances de nos maux et sans solution à nos myriades de problèmes .Le quel des changements prêchent-ils sans idées ?  Sans nul doute  celui rétrograde.   On peut changer de classe dirigeante, mais sans  idées véritables et programmes politiques de qualité, on ne peut changer les problèmes de la Guinée et le quotidien monotone des Guinéens. Les Guinéens ont besoin de changer de conditions de vie et c’est leur droit.

La rue ne pourrait donner ce changement progressiste  escompté  des Guinéens. Ma conviction est que les idées ont plus de force que les  forces musculaires et les programmes politiques de qualité ont plus de force que la rue. Manquer de programmes politiques dignes d’admiration, c’est choisir le chaos : l’impasse.

                                                                                 Ibrahima Sanoh

                                                                                  Citoyen guinéen

                                                                                 alghini@yahoo.com

[1]  Van  de Walle  Nicholas , «  ‘’Meet   the New Boss   same as the old  Boss   ?  The  evolution of   political clientelism in Africa », in Patrons   and policies : Patterns  of Democratic   Accountancy and Political   Competition ,  Cambridge   University  , 2007 .

Mozaffar, Shanneen  and James   R. Scarrith , « The puzzle of African   Party Systems », party politics  , 2005 , pp. 399- 421 .

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