Censure

‘‘Quand l’impunité s’installe dans un pays, la dérive est beaucoup plus importante’’, dixit Mamady Kaba, président de l’INIDH

Lors de son intervention dans l’émission ‘’le quotidien’’ chez nos confrères de Djigui Fm le mardi 10 janvier 2017, le président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme -INIDH- a dénoncé les tares de la justice guinéenne. Pour le dossier du 28 septembre, contrairement au ministre de la Justice, Mamady Kaba ne croit pas à la tenue d’un procès équitable en 2017. Il met en cause le fonctionnement de la justice. Voici sa réaction sur les différents sujets.
De la Crise à l’INIDH, Mamady Kaba répond sans détour: « Je ne veux pas entrer dans ces détails. C’est trop bas pour le fonctionnement d’une institution. Dans la loi L013, les choses sont très claires. Il y a des prérogatives qui reviennent à l’assemblée générale, c’est très bien clarifié. Notamment l’adoption des rapports annuels et l’adoption du budget de l’institution, la saisine de la Cour constitutionnelle, la saisine des tribunaux, voilà des prérogatives qui reviennent à l’assemblée générale au bureau exécutif.
Chaque membre a des prérogatives bien définies dans le règlement intérieur. La loi L013 a seulement énoncé les membres qui composent le bureau exécutif et a donné des prérogatives au bureau exécutif.

Dans ces prérogatives-là, il y a par exemple l’élaboration du règlement intérieur, l’élaboration de l’ordre du jour des plénières ordinaires, la nomination des membres du secrétariat exécutif parce que le secrétariat exécutif est placé sous l’autorité du secrétaire général. Et c’est le président de la République qui nomme le secrétaire général.
Donc, quand il n’y a pas de secrétaire général, il ne peut avoir d’administration du secrétariat administratif et c’est le bureau exécutif qui nomme les membres du secrétariat exécutif et le président nomme à tous les emplois de l’institution après consultation du bureau exécutif. Voilà aussi, les prérogatives du bureau exécutif.

Mais dans le règlement intérieur pour chaque membre du bureau exécutif, il y a des missions précises pour ne pas être exhaustif, le vice-président chargé de l’administration par exemple s’occupe de l’animation des commissions permanentes de travail, leurs améliorations, le fonctionnement des commissions de travail etc.
Le vice-président chargé des relations avec les institutions est chargé de gérer les relations entre l’INIDH et les ONG, les institutions nationales et internationales qui interviennent dans les domaines des droits de l’homme.

Donc c’est pour dire que les tâches sont bien définies. Mais il est dit clairement dans la loi que le président de l’institution représente l’institution. Toutes les prises de positions du président même en privé engagent l’institution. Ce qui est important, c’est que je respecte la loi qui a créé l’institution. Si quelqu’un trouve un inconvenant, qu’il trouve la justification dans la loi et vienne me voir pour dire Monsieur le président voilà ce que vous avez violé comme loi. »

En ce qui concerne le dossier du 28 septembre

« Les réactions du ministre de la Justice sont disproportionnées. Avant lui, d’autres avaient donné les mêmes assurances. Je parle d’un dossier qui traine depuis 7 ans et le ministre est en place depuis 3 ans. Je ne sais pas en quoi il peut se sentir personnellement visé. Je parle de l’institution judiciaire de mon pays et je pense que j’en ai le droit. Ça, c’est quelque chose de très important. Normalement, ça ne devait offusquer personne, ça devait susciter une réflexion nationale sur ce que nous faisons si déjà après tout ce que je sais du dossier parce que je ne suis pas sûr. Il y a beaucoup de personnes qui connaissent mieux le dossier que moi. Du début jusqu’à l’heure où nous sommes, j’ai suivi le dossier de très près, j’ai été impliqué à tous les niveaux avant même l’arrivée de Cheick Sako. »

L’arrestation de Toumba à Dakar

« Ce n’est pas contre ma déclaration. C’est une activité régulière de l’Etat. L’Etat devait le faire parce que, si un jugement doit avoir lieu, ceux qui sont accusés d’être impliqués dans le dossier doivent être entendus. Donc, c’est une très bonne chose que M. Toumba ait été arrêté et qu’une procédure d’extradition ait été engagée. Si c’est une réponse, je m’en félicite. Ça veut dire que ma réaction a été positive, si elle a permis d’accélérer les actions de l’Etat en ce sens.

Nous laissons le ministère de la Justice, le gouvernement faire leur travail. Si nous pouvons faire quelque chose pour aider ou faciliter nous le ferons. Si Toumba est extradé ? Je vais m’intéresser au dossier, je vais entrer en contact avec le ministère de la Justice pour comprendre davantage sur le dossier, et probablement s’il y a quelque chose à faire, on le fait. »

Du niveau d’avancement du dossier

« L’arrestation de Toumba est très insuffisante pour évaluer cette position. De toute façon, c’est un pas en avant. Je souhaite que ça soit le début de quelque chose, pas la fin de quelque chose. Juste une réaction pour faire taire les rumeurs et les pressions. Mais que ce soit le début d’un processus qui va nous mener au procès du 28 septembre. J’ai dit et répété que je souhaite avoir tort. Parce que si j’ai tort, la Guinée mènera un procès juste, équitable dont les conclusions seront appréciées de tout le monde. Je souhaite sincèrement avoir tort et je suis prêt à œuvrer pour que j’aie tort. Je le ferai puisqu’il est humainement possible pour aider l’Etat à me donner tort, mais jusqu’à présent je reste convaincu et persuader que la Guinée a l’état actuel des choses n’a pas les capacités institutionnelles pour mener ce jugement. Et, je suis convaincu pour avoir un jugement digne du nom et dans les meilleurs délais, il faut bien une juridiction supranationale et de cela je suis convaincu. »

Qu’en est-il de la faiblesse de la justice?

« C’est une affaire de tout le peuple de Guinée. C’est tout le monde qui doit s’y mettre. Quand l’impunité s’installe dans un pays, la dérive est beaucoup plus importante que les risques qu’on prend pour la justice quand vous ne donnez pas la justice à votre peuple. Le peuple se donne justice à lui-même, et quand le peuple s’approprie le droit de se donner la justice, c’est un désaveu de l’État.

Il y a une coupure entre l’Etat et les populations. Quand il n’y a pas l’autorité de l’Etat sur les populations, le pays cesse d’être un pays normal. Et si vous n’avez pas une justice qui fonctionne bien, tout ce que vous faites, c’est un château de cartes. Ça peut s’écrouler à tout moment. Je vous rappelle au Mali, on avait eu la démocratie pendant plus d’une vingtaine d’années. Pourquoi la démocratie s’est écroulée au Mali d’un seul coup comme si elle n’avait jamais existé. C’est le fait que la démocratie malienne n’a été bâtie que sur le consensus, et les institutions qui devaient être le socle de cette démocratie-là, ces institutions étaient fragiles.

Et donc, si vous voulez une démocratie durable, un Etat solide et fort, vous devez bâtir une légitimité d’Etat basée sur la justice. La justice est le pilier du fonctionnement d’un Etat. Quand vous avez une justice qui fonctionne correctement, qui inspire confiance aux populations, vous avez réglé 60% des problèmes institutionnels du pays. Mais je vais vous rappeler avant la transition, en 2007, les populations guinéennes sont descendues dans la rue. Il y avait beaucoup de problèmes qu’on dénonçait, mais le déclencheur du mouvement, c’est quand le président Lansana Conté a affirmé sur les ondes des radios internationales, je cite ‘’la justice c’est moi’’. Alors le peuple lui a dit, M. le Président, la justice ce n’est nullement vous, la justice c’est l’institution judiciaire que dirige votre ministre de la Justice.

Les populations sont descendues, il y a eu beaucoup de morts en Guinée. Il y a eu beaucoup de blessés, des handicapés en vie. Il y a eu des femmes violées. Mesurons un peu le parcours. Quand la transition est arrivée, le capitaine Dadis Camara a voulu apporter une réponse à cela. Il a réfléchi, il a trouvé qu’il fallait contourner l’institution judiciaire, en créant un ministère chargé des conflits. Quand le ministère des Conflits a été créé, les populations allaient retirer ses dossiers à la justice pour aller obtenir la justice au ministère des conflits.

Ça c’est un désaveu du ministère de la Justice. Mais cela n’a pas continué. Et nous avons dit que la réforme du secteur de la sécurité, la réforme de la justice, la réconciliation nationale devaient être la base du nouveau régime. Le président Alpha Condé devait avoir les trois (3) éléments là comme priorité de son mandat.

Chaque fois qu’on nous parle de réforme de la justice, on nous parle des actes qui ont été posés

Alors puisque la réforme du secteur de la sécurité est en marche, la réforme de la justice a continué parce que je rappelle que la réforme de la justice n’a pas commencé au temps du président Alpha Condé. La réforme de la justice, le terrain a été préparé avant que le président Condé ne vienne tout comme la réforme du secteur de la sécurité. Le président Alpha est venu continuer ces reformes-là.

Alors la réforme de la justice depuis ces quelques années, nous pouvons mesurer ces résultats. Aujourd’hui, les populations vont sortir des gens détenus pour aller les lyncher, les tuer, les brûler vifs, et quand elles arrêtent quelqu’un au lieu de le mettre à la disposition de la sécurité, non, elles lui font subir la même chose. C’est une coupure entre la population et l’Etat en général, mais aussi entre la population et l’institution judiciaire.
Ça veut dire que la fracture qui existe entre la justice et les populations ne s’est pas améliorée. Mais, elle s’est approfondie avec tout ce que nous voyons aujourd’hui. Les populations ont de moins en moins confiance en la justice. Les relations ne se sont pas améliorées entre la justice et la population. Cette vérité-là, nous devons avoir le courage de le dire.

Chaque fois qu’on nous parle de réforme de la justice, on nous parle des actes qui ont été posés. Mais quels sont ceux qui ont été posés par le président de la République. Le président a, par exemple, mis en place le Conseil supérieur de la magistrature. Je veux qu’on nous parle de ce que la justice a eu à faire. Par exemple les lieux de détention, les conditions de détention, la nourriture des prisonniers, tout ça ce sont des éléments sur lesquels le ministère de la Justice devait s’appuyer pour défendre un bilan.
Il faut que les gens aient le courage de dire parce que le constat est très clair, la justice n’a pas atteint l’objectif qu’on attendait d’elle. Parce qu’aujourd’hui, la fracture qui existe entre la population et la justice est devenue plus grande. Aucun citoyen guinéen aujourd’hui ne souhaite avoir à faire avec la justice. »

Amadou Sadjo Diallo

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