Censure

Air Mano, Présidentielle 2010, Constitution guinéenne : Les vérités de Saran Daraba

Après avoir passé six ans à la tête de la Mano River Union, Hadja Saan Daraba, a quitté récemment  ses fonctions. Dans cet entretien accordé à notre reporter, elle  fait le bilan de son passage à la tête de cette institution sous régionale, et revient aussi sur sa candidature à l’élection présidentielle de 2010, la légalité de la Constitution et bien d’autres sujets. Entretien.

Bonjour Mme. Pouvez-vous nous dire c’est  quoi la Mano River Union?

Hadja Saran Daraba : L’Union du fleuve Mano est une organisation intergouvernementale créée le 3 juin 1973 à Malema, au sud-est de la Sierra-Leone, pas très loin de la frontière avec le Liberia. C’est là  où le président libérien Tolber et le président Siaka Stevens se sont rencontrés pour mettre en place les fondements de l’Union du Fleuve Mano. L’objectif premier de l’union a été de créer une union douanière pour faciliter le commerce entre les deux pays anglophones insérés parmi les pays francophones. Donc de 1973 jusqu’en 1980, ce sont ces deux pays qui étaient membres de l’union du fleuve Mano. En octobre 1980, la République de Guinée adhère à l’Union du fleuve Mano faisant de l’espace une union de trois Etats membres. En mai 2008, soit 28 ans plus tard, la Côte d’Ivoire a aussi rejoint les trois pays et est devenue membre à part entière après avoir fait une période d’observation.

Je dois dire en passant qu’il y a 3 pays voisins qui ont été observateurs depuis un peu plus de 10 ans. Ce sont la Guinée Bissau, le Mali et la  Côte d’Ivoire qui étaient tous des observateurs de l’Union du fleuve Mano. Mais c’est la Côte d’Ivoire qui a sauté le pas en devenant membre à part entière de l’Union.

Donc depuis le mois de mai 2008, l’Union du fleuve Mano est composée de 4 pays. La Guinée, le Liberia la  Sierra Leone et la Côte d’Ivoire.  C’est un espace qui couvre 750 mille km² et qui a environ 54 millions d’habitants presque 55 millions qui sont caractérisés par une richesse exceptionnelle, des ressources naturelles  de très hautes valeurs, des forêts. On a 25% de ressources forestières du monde. C’est le 3ème massif forestier mondial à part l’Amazonie au Brésil et le bassin du Congo. Nous sommes le 3èmecouvert forestier dans le monde. On a les plus grandes réserves mondiales de bauxite, de fer, de l’or, de diamant et de pétrole. Mais nous avons aussi 2 mille km de côte maritime. Les 4 Etats membres de la Mano River sont tous côtiers. De Boké au nord pratiquement, à la frontière de la Côte d’Ivoire avec le Ghana, nous avons plus de 2000 mille km de côte maritime sur l’océan atlantique.

L’UFM a aussi des montagnes dont la plus haute de la sous-région est aujourd’hui classée au patrimoine mondial par rapport à la diversité écologique exceptionnelle qui prévaut là-bas. Donc des plantes mais aussi des animaux notamment les fameuses grenouilles et les chimpanzés. Cette union est une diversité à la fois culturelle, sociologique, politique qui est unique en Afrique. Nous avons cet espace de quatre régimes juridiques différents. La Côte d’Ivoire a son système juridique hérité de la France, donc le fameux code napoléon. Le Liberia a hérité du droit américain. Vous savez que l’Etat libérien a été créé ex-nilo par les USA pour donner une terre d’asile aux anciens esclaves libérés aux USA qui sont venus créer l’Etat libérien en 1847.

La Sierra Leone a hérité du régime juridique britannique et la Guinée a un self-made hybride qui était français au départ, mais à cause des circonstances dans lesquelles la Guinée est devenue indépendante et le rejet  que son indépendance a occasionné vis-à-vis de la France, elle a été obligée de façonner son propre système juridique qui est vraiment différent quelque peu de français pur. Donc, ce sont ces quatre systèmes juridiques différents qui constituent la Mano River. Mais les quatre pays sont tous voisins. Cela aussi n’est pas souvent  très évident que vous le trouviez dans les organisations.

Tous les pays se touchent plus ou moyen dans la Mano,  et sur le plan sociologique mais aussi culturel. On a 9 groupes ethniques en commun dans la Mano. Ça veut dire que ces groupes ethniques sont à cheval sur la Mano, sur les quatre Etats membres de la Mano. Vous pouvez parler l’une de ces neuf langues, c’est sûr que vous avez une communauté parente plus ou moins de l’autre côté de la frontière. Ça rend les choses difficiles mais ça facilite aussi un certain nombre de choses. Quand vous arrivez dans une zone comme Pamelape dans Forécariah, c’est le pays soussou, c’est le Moria qui continue et qui arrive à Gbalamouya en Sierra Leone qui continue jusqu’à Kambia et  Sefadougou. Et n’oubliez pas qu’historiquement que la Sierra Leone s’appelait avant la Guinée anglaise parce que quand vous prenez la carte de l’Union du fleuve Mano, la Sierra Leone est taillée dans le ventre de la Guinée.

Quand on parle aujourd’hui d’intégration économique, l’intégration monétaire n’est pas en reste, est-ce que cette question a été posée au sein de la Mano?

Je pense que j’ai oublié peut-être un détail important. Les quatre pays membres de l’Union sont tous membres de la CEDEAO. Nous sommes le noyau en fait de la CEDEAO. Or, vous savez qu’au sein de la CEDEAO, cette réflexion est vieille de plus de 30 ans. Comment faire l’intégration monétaire?  Parce qu’il y a une monnaie à la zone CFA qui est liée à 12 Etats membres. Il y a une certaine intégration économique. Il y a le géant qui est le Nigéria qui est aujourd’hui la plus grosse économie du continent et qui a sa monnaie. Il y a d’autres monnaies, c’est le cas du Ghana qui a sa monnaie, la Gambie aussi qui a sa monnaie. C’est pourquoi, on a créé une agence qui a son siège à Freetown, c’est ce qu’on appelle en français AMAO (agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest) dont le secrétaire général était à un moment donné le guinéen Aboubacar Keita. Actuellement, c’est Abdoulaye Kaba qui travaille là-bas. La question de l’intégration monétaire est au cœur des discussions depuis plus de 30 ans. C’est une chose de parler d’intégration monétaire mais c’est une autre chose de la réaliser. N’oublions pas que l’Europe a une monnaie commune, mais c’est une partie de l’Europe, ce n’est pas toute l’Europe. Cette partie de l’Europe a eu cette monnaie en commun après plus de 50 ans de débats.

Pour ce qui est du  cas de la ZMAO, qu’en est-il aujourd’hui ?                                            

Mais la Guinée est au cœur de la création de cette zone monétaire. La ZMAO c’est la zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest. L’objectif de la ZMAO est de faire en sorte qu’on parvienne à créer de la convergence. On est sur les critères de convergence des différentes économies des différentes monnaies pour qu’on puisse créer une monnaie. On ne décide pas du jour au lendemain de créer une monnaie. Il y a tout un processus. Il y a des critères qu’il faut remplir avant de créer une monnaie. Donc, le débat existe depuis plus de 30 ans, mais les Etats avec leurs histoires politiques, leurs priorités de développement ne sont pas encore  parvenus à trouver des critères d’intégration, à remplir les critères de convergence pour permettre la création d’une monnaie commune.

Ce n’est pas fait pour le moment. Cela ne veut pas dire qu’on n’y pense pas ou qu’on ne travaille pas.  Au contraire. On paye des fonctionnaires de la ZMAO actuellement pour qu’ils travaillent sur les questions de convergence afin de créer cette monnaie. Parce qu’une fois qu’on l’a créée, il ne faut pas qu’on revienne en arrière. Donc il faut  d’abord créer le soubassement. On ne construit pas une maison sans soubassement. Donc le soubassement c’est toutes ces questions techniques, juridiques qui doivent être réglées avant  de créer la monnaie.

En tenant compte des objectifs de la CEDEAO, est-ce qu’il n’est pas envisageable aujourd’hui de réorienter la Mano River Union pour que son encrage soit autre chose que l’économie,  par exemple la diversité culturelle pour le renforcement de la paix et de l’intégration ?

Je voudrais attirer votre attention qu’il ne sera pas facile de réorienter l’union du fleuve Mano River sur d’autres axes.  Pourquoi ? Parce que l’économie est à la base de tout. Nous avons des pays qui sont classés parmi les plus pauvres au monde. Il est impératif aujourd’hui pour les gouvernements des Etats membres du fleuve Mano  ou de la CEDEAO arrivent à baisser le tôt de pauvreté dans leurs Etats respectifs. On est peut être dépositaire de tant de ressources naturelles. Dieu, nous a dotés de beaucoup de richesses. Ce n’est pas acceptable que nos populations restent pauvres. Il faut absolument qu’on mette un accent particulier sur le développement économique de nos Etats.  Parce que si on n’augmente pas le revenu des citoyen, si on n’a pas une majorité de citoyens qui sort de la pauvreté, on ne pourra pas parler de développement culturel, de développement social, ou encore de développement politique.

Quand les gens sont pauvres, ils sont manipulables et c’est pourquoi c’est important que le socle économique soit bien solide, et c’est ce que nous sommes en train de faire. En tout cas,  le temps que j’ai passé à la Mano, nous avons multiplié les rencontres parce que dans toute chose il faut d’abord se rencontrer pour se connaître.  Au moment où j’arrivais, c’était la période poste conflit immédiat. Sierra Léonais, Libériens et Guinéens, on ne se regardait pas bien. La Guinée principalement a été victime d’une guerre civile qu’elle n’a pas créée.  On a abrité plus d’un million de réfugiés pendant 15 ans. Le coût que la Guinée a  payé  pour les guerres des pays voisins est un coût élevé en termes humain, écologique, social, éducationnel et financier.  Parce qu’on a financé  des troupes pour aller rétablir la paix dans ces pays. Mais nous avons perdu une partie de notre forêt, des espèces végétales et animales dans les zones frontalières. Nous avons reçu les réfugiés sur notre sol pendant des années. Les dégâts qui ont été commis, les destructions massives, on a perdu des vies humaines. Des Guinéens sont morts pour rétablir la paix dans les pays voisins. Cela, c’est notre responsabilité en tant que pays voisin.

Mais aujourd’hui,  immédiatement après la fin de la guerre, on n’était pas à l’aise avec nos voisins. Tout comme eux, ils n’étaient pas à l’aise avec nous.  Moi, je connais des refugiés  qui sont aigris contre la Guinée. Ce n’est pas un petit groupe qui dit qu’on les a pas bien traités. Mais il y a des Guinéens également qui ne veulent pas entendre parler de nos voisins. Donc, il a fallu qu’on rétablisse le dialogue pour faire comprendre à tout le monde qu’est-ce qui s’est passé. Mais il faut créer les conditions pour que cela ne se répète plus. Les services de sécurité travaillent beaucoup ensemble, les forces armées, l’administration du territoire, la  justice mais aussi les finances.  Vous avez vu qu’on a eu récemment des réunions sous régionales en Guinée avec l’OHADA.

A présent, parlez-nous Mme de votre gestion à la tête de la Mano River Union pendant votre mandature.

Sur le plan politique comme je l’ai dit, on a multiplié les rencontres.  Plus d’une dizaine de rencontres au niveau des experts, des ministres, des Chefs d’Etats.  En six ans, on a fait 5 ou 6 sommets de Chefs d’Etat dans la Mano River Union.

Quand vous veniez, le constat c’était quoi politiquement ? Est-ce que les Etats membres de la Mano River Union étaient prêts au plan politique pour former une entité ou bien il y avait des clivages au niveau politique?

A mon avis, peut-être, c’est une chance que j’ai personnellement eu. Aujourd’hui, les Chefs d’Etat de la Mano River  se téléphonent. Ils sont à ‘’tu et à toi’’ les uns avec les autres. Malgré la barrière d’investigation, ils se parlent, ils se rencontrent  et même s’ils vont aux réunions de la CEDEAO, ou de l’Union africaine, ils se rencontrent entre eux en tant que Mano River Union, même au sein des Nations Unies parfois quand un des Etats membres a une position sur une question, il consulte les autres. Cela est une garantie obtenue au cours des 5 ou 6 dernières années. Les Chefs d’Etats des quatre pays parlent régulièrement, les ministres se parlent, ils se fréquentent, ils vont  les uns chez les autres.

Vraiment, on a décrispé l’atmosphère sur le plan politique et cela se répercute même sur le terrain. Vous voyez aujourd’hui dans le domaine sécuritaire par exemple, nous avons mis 33 unités conjointes sur les frontières terrestres, parce que sur chaque frontière où nous pensons qu’il y a des problèmes, on a mis des unités conjointes recommandées par le 15ème protocole de la Mano River Union qui a été signé à Conakry le 8 mai 2000 au Palais du Peuple. Ce protocole-là était un protocole qui dérivait de  la  situation sécuritaire qui avait prévalu dans la Mano. Et pour cela, il y a une série de mesures qui ont été prises. L’une des décisions prises au cours de la réunion de Conakry, c’est de mettre en place des unités conjointes. Parfois dans un couple, vous trouverez que le mari est là, l’une de ses épouses se trouve de l’autre côté de la frontière.  En tenant compte du caractère très artificiel de nos frontières, au sein de  la Mano, on a fait une unité conjointe.

C’est-à-dire on a mis un groupe de 30  personnes. 15 de chaque côté. Et parmi les 15, on a les représentants de nos populations locales. On a les femmes, les jeunes, les forces armées, les paramilitaires, les responsables élus, le sous-préfet ou le président de la CRD, les chefs traditionnels, les chefs religieux chrétiens et musulmans mais aussi animistes. Mais, ils ont une autorité morale. On a voulu que ces personnes soient dans ces comités  conjoints. Il y a 30 personnes qui se réunissent une fois par an. Quand elles se réunissent, ils discutent des problèmes qui sont les leurs, c’est-à-dire, les problèmes qui affectent leur vie quotidienne parce qu’il s’agit de stabiliser les frontières, éviter les incidents entre les Etat et rétablir une sécurité pour les citoyens. On a mis aussi en place un programme d’interconnexion routière pour faciliter le mouvement des personnes et des biens entre les Etats membres. On a fait un réseau routier d’interconnexion sur lequel la BAD s’est engagée. J’espère qu’après mon départ, d’autres bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale et l’Union européenne vont s’engager. On a aujourd’hui un financement ferme de 750 millions  de dollars.  Aujourd’hui, sur un total d’un milliard 800 millions de dollars, il nous reste encore un milliard 100 millions qu’il faut mobiliser pour que le réseau routier que nous avons identifié soit construit.  La BAD a financé 750 millions de dollars. En 2010, 300 millions.  Pour ce qui concerne la Guinée, c’est la route Lola-Danané. Lola en Guinée et Danané en Côte-d’Ivoire. Cet axe commercial est majeur. Il y a la route Coyah-Pamelap. Il y aura en 2018, Kankan-Mandiana à la frontière ivoirienne. Il y aura Guekedou- Kenema. Il y a des routes externes, bien qu’elles ne relèvent  pas des pays membres de la  Mano, mais qui sont importantes pour les pays de la Mano. C’est le cas de la route Boké-Ngabou. Foulamory-Pitch sur la route de Guinée Bissau. Il y a la route Koundara-Tambacounda. Ce  sont des routes qui nous lient aux pays qui ne sont pas membres de la Mano, mais qui sont frontaliers immédiat de la Mano. C’est la route Mandiana-Gnantanina, Sikasso, Beyla-Man. Il y a un autre projet sur lequel vraiment on a pris une avance rapide.  C’est le programme de sécurité alimentaire. La Guinée plus les trois pays voisins notamment la Sierra Leone, le Liberia, et la Côte-d’Ivoire dépensaient jusqu’en 2014-2015, 800 millions de dollars  par an pour acheter le riz à l’extérieur. Ce qui était une honte avec tous les potentiels qu’on a.

Donc j’ai trouvé un programme qui s’appelait programme de productivité agricole en Afrique  de l’Ouest (PPEAO). Ce programme est un programme financé par la Banque Mondiale et le gouvernement du Japon. La composante Mano River, comme je vous l’ai dit, est le noyau de la CEDEAO.  On a dit que, nous la priorité, c’est la production de riz parce qu’il y a d’autres pays en Afrique de l’Ouest pour lesquels le riz n’est pas l’aliment de base. Si vous prenez un pays comme le Ghana l’aliment de base ce n’est pas le riz, c’est l’igname, le manioc, les tubercules. Le Bénin la même chose, le Nigeria aussi.  Nous, on a dit dans notre espace Mano River que  nous voulons que ce soit le riz, le maïs, le manioc et plus tard on a ajouté l’igname et la banane plantain. Cette composante Mano River de ce programme a été un succès. Aujourd’hui, on a vraiment multiplié presque par deux  la production du riz. Ce programme a trouvé des variétés de riz adaptés au sol de la Guinée. Nous n’avons pas besoin d’importer de semence du riz. Si nous importons des semences du riz,  cela doit être des semences particulières. On a la capacité de  nous auto-suffire.

Dans le domaine de l’intégration des services de santé, la crise Ebola n’a pas été qu’un mal. Ça nous a permis de prendre conscience de nos insuffisances. Aujourd’hui il y a une grande coopération entre les pays membres par rapport à l’échange d’informations, à la création de services qui permettent d’éviter ce qui est arrivé lors de la crise Ebola. Nous venons de terminer une étude dont vous pouvez vous approprier. Elle se trouve sur le site de la Mano. On a exactement la cartographie des infrastructures sanitaires sur des milliers de km terrestres dans l’espace Mano. On sait exactement combien de centres de santé, de postes de santé, d’hôpitaux existent le long de la  frontière. L’étude a été faite et je suis heureuse que cela soit disponible et mis à la disposition des gouvernements pour une prise de décisions par rapport à l’investissement. Il est impératif que les secteurs privés s’impliquent dans le développement  du pays. Les gouvernements seuls ne pourront pas. Nulle part au monde, les gouvernements n’ont réussi à développer des pays. Le système libéral repose sur le secteur privé. On a un projet important de 75 millions de dollars pour soutenir, structurer et organiser le secteur privé. Parce qu’il faut que le secteur privé guinéen s’organise et qu’il se structure, qu’il soit fonctionnel et  opérationnel.

En venant à cette institution, vous aviez eu à cœur de relancer la compagnie Air Mano où on en est-on aujourd’hui?

En fait,  je ne suis pas venue à la Mano avec l’idée de relancer Air Mano. Je vais vous dire ce qui a fait relancer Air Mano.  En 2013, on a tenu un sommet à Monrovia. La question qui devait faire l’objet de débats, c’était justement la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace Mano et la rapide circulation. Il y avait deux facteurs.  Les routes, il fallait les faire et c’est ce qui nous a amenés à résoudre les réseaux routiers dont je vous ai parlés. Et la deuxième chose, c’était comment joindre les capitales entre elles. En 2013,  il y avait Air Côte-d’Ivoire qui faisait Conakry-Abidjan. Sur les quatre capitales, il n’y avait que deux qui étaient connectées. Il n’y avait aucun vol qui quittait Abidjan pour Monrovia de façon directe. Il n’y avait aucun vol entre Abidjan-Freetown. Aucun vol Conakry-Freetown, Conakry-Monrovia. Donc, à ce sommet, des ministres guinéens ont mis 12 heures pour joindre Monrovia. Même ceux qui sont partis par la route sont arrivés plutôt parce que l’avion les a pris à Conakry, il  les a amenés à Abidjan. D’Abidjan à Lomé, à Accra et enfin à Monrovia. Alors quand ils sont venus, ils étaient épuisés. Alors, j’ai fait la route parce que  je devais rendre compte au Chef d’Etat, de l’état de la route Freetown-Monrovia. J’ai fait la route, j’ai filmé et enregistré. Moi j’arrive, la présidente Hélène me demande où sont les ministres ? Je dis, ils sont en train d’arriver. La Guinée même était obligée après eux d’envoyer un avion spécial avec Koutoubou Sano à l’époque pour participer au Conseil des ministres. Alors la présidente Madame Helene Johnson Sirleaf qui était en exercice au Sommet des Chefs d’Etat à l’époque m’a dit tu me remets Air Mano en place immédiatement parce que je ne veux plus que mes ministres passent des journées à se promener sur la côtière avant de joindre. Quand on m’a instruit, c’est en ce moment-là, qu’on a commencé de relancer Air Mano. Nous avons recruté la compagnie qui a fait l’étude de faisabilité, Asky. Ils ont fait une étude de faisabilité qui a été discutée par un comité d’experts. Mais c’est ce qui a été validé par le conseil des ministres. Ils ont fait un business plan, c’est-à-dire un  plan pour la mise en place effective et la personnalisation. Alors, entre temps, il y a eu Ebola. Il a fallu mettre tous les projets d’abord en stand-by pour pouvoir s’occuper de ça. On n’a fini Ebola qu’en fin 2015. En 2016, on a commencé à parler de post Ebola, la reconstruction, la relance du post Ebola et c’est comme ça que le projet comme Air Mano a  commencé son étape. Mais il y a eu des mesures qui ont été prises  par les Etats. Les Chefs d’Etat ont demandé Air Côte d’ivoire de combler ce déficit en attendant qu’on mette en place Air Mano. Aujourd’hui, vous pouvez aller d’Abidjan à Monrovia directement ; vous avez des vols directs Abidjan-Freetown, Monrovia-Freetown, mais vous n’avez pas des vols encore Conakry-Freetown, Conakry-Monrovia. Donc, c’est un peu la situation aujourd’hui d’Air Mano. L’étude faisabilité est disponible, le business planning est disponible. C’est ce que j’ai fait avant de quitter le secrétariat général. C’est de demander à ce qu’on laisse le secteur privé de prendre ce projet, aller chercher le financement pour mettre en œuvre. Le président Alpha Condé en tant que président en exercice du sommet des Chefs d’Etat de la Mano avait personnellement écrit au président de la BAD pour que nous ayons le soutien de cette institution, afin de mettre en place la compagnie. Et la BAD a mis à notre disposition une équipe de juristes, des techniciens en matière d’aéronautique. Donc c’est là où  nous sommes aujourd’hui, nous attendons et j’espère que ma remplaçante qui est arrivée, va pouvoir prendre une décision avec les Chefs d’Etat pour qu’on remette à des privés. Et nous ne manquerons pas de consulter afin de lancer Air Mano. Par ce que c’est une compagnie. Même l’UA a recommandé qu’on ait des liaisons aériennes dans le continent. Il n’y en a pas assez. Le continent est trop grand et puis on n’arrive pas à circuler rapidement. La deuxième question est le bilinguisme. C’est vrai qu’en juin 2012, la décision a été prise pour enseigner l’anglais dans les écoles primaires. Ma dernière mission, c’était pour régler ce problème. Vous savez cette question est facile à prendre mais difficile à appliquer, à la mettre en œuvre.

Pourquoi cela prend-il du temps?

Parce qu’il faut mettre un processus qui permette l’enseignement systématique de  ces langues pendant au moyen 5 à 10 ans pour qu’on forme une génération de citoyens de quatre pays qui sont bilingues. Si on commence à l’école primaire avec des enfants de la première année jusqu’en terminale, ils apprennent les deux, ils sont bilingues, et pendant la même période ceux qui ne sont pas à l’école primaire, il faut les former aussi notamment les administrations. Donc, il y a un ensemble d’actions simultanées qui est à prendre et qui coûte de l’argent. Or, on sait que nos Etats ne sont pas en mesure de financer tout ça. Alors qu’est-ce que j’ai fait? On a demandé à la fédération mondiale de la langue française, je crois que le président actuel est unBelge. En tout cas, il y a une fédération mondiale à laquelle notre compatriote, Ahmed Tidjane Traoré qui a été secrétaire général de la Ligue islamique fait partie. Il est professeur de  littérature. Il fait partie de cette fédération avec laquelle j’ai pris contact. Mais il y a la Francophonie. Elle veut nous aider parce que nous avons suggéré à ce que la Francophonie sponsorise un groupe de volontaires guinéens qui vont aller en Sierra Leone, enseigner le français. J’ai été à Londres  pour discuter avec l’agence britannique de coopération internationale. Leur département a été sollicité pour faire la même chose ensemble de l’OMVS, c’est-à-dire que les Britanniques vont sponsoriser un groupe de volontaires Sierra léonais pour qu’ils viennent ici. Les Américains avec l’USAID vont envoyer le corps de la paix pour enseigner l’Anglais ou sponsoriser la Sierra Léone et le Libéria pour venir enseigner en Guinée.  On est en train de préparer techniquement et financièrement le lancement de ce processus dans toutes les écoles, parce que c’est assez lourd. Ce sont des millions d’enfants qui sont en cause par rapport à l’enseignement, donc il faut faire un plan pour la mise en œuvre de ces discussions politiques.

Qu’en est-il du désenclavement des zones de production ?

Les pistes rurales, ce sont des programmes nationaux. Ce qui est de la responsabilité de la Mano, c’est tout ce qui est de transnationale et c’est pourquoi nous avons fait les réseaux routiers. Parce que quand vous prenez l’axe Kenema-Gueckedou, chaque semaine ce sont des milliers de tonnes de café, de cacao, d’huile de palme, de cola, de patate douce, d’haricot qui sont échangés dans un cercle de diamètre de 7 km de Koindoue, Foyah et Nongoa. Entre ces trois, il y a 7 km de chaque côté.

Mais chaque semaine, il y a les trois rencontres là et ici cette zone qu’on appelle bec du perroquet, il y a 9 pays de l’Afrique de l’Ouest qui se rencontrent ici chaque semaine. Je voulais faire un pont sur le fleuve Makona à Nongoa. Quand j’ai soulevé la question, certains diplomates européens et américains ont dit mais pourquoi vous vous estimez à faire le pont-là, faites d’abord le pont sur la route nationale. Je dis ça aussi c’est plus important que nos routes nationales parce que moi j’ai été là-bas en janvier 2012. Mais avant janvier 2012, mon mari a enseigné à Gueckedou. J’ai été là-bas, je connais le marché de Koindou. Il est connu dans la région ouest africaine, de la Mauritanie au Nigeria, ça fait plus d’un siècle. Donc, c’est un petit pont qui n’atteint même pas 100 m. Si on le met sur le fleuve Makona, ça va faciliter la circulation dans cette zone.

Vous avez été succédée à la tête de l’institution. Vous avez  certainement laissé des dossiers ou des projets. Quels sont ceux qui vous tiennent à cœur?

Le projet sur lequel j’ai beaucoup insisté, c’est le projet de création de centres d’excellence. Le développement, c’est une question des ressources humaines de qualité. On a vu que chaque pays a ses atouts. La Guinée a les plus anciennes et plus grandes écoles des mines en Afrique  de l’Ouest. On a demandé à la Guinée de former tous les métiers des mines et de la Géologie pour l’ensemble des Etats membres. Donc, Tamakené va être érigé en centre d’excellence. La Sierra Leone a la meilleure école de télécommunications et de communication. Ils vont former tous les métiers de la communication, les technologies de communication pour l’ensemble des Etats membres. Le Libéria a la plus ancienne et la plus grande école de foresterie et des sciences environnementales, c’était le projet de Mano River Union, d’ailleurs. Donc, on a dit étant donné maintenant que les questions d’actualité relatives à la climatologie, la désertification et l’environnement, il est bien que cette école aujourd’hui forme tous les métiers relatifs à l’environnement et à la préservation de  nos ressources. La Côte d’Ivoire a la meilleure école d’ingénierie de la sous-région, dans les domaines travaux publics et de l’énergie. C’est l’école polytechnique de Félix Houphouët Boigny à Yamoussoukro. Donc on a demandé à la Côte d’Ivoire de former les cadres. Eux déjà,  l’école est construite et elle est équipée. Donc j’ai demandé à mon successeur de faire en sorte que les premiers étudiants dans ces quatre écoles  partent déjà pour l’année scolaire prochaine et personnellement quand je retourne dans mon pays, les Guinéens qui doivent aller en Sierra Leone, au Libéria, en Côte d’Ivoire puissent aller, qu’ils soient boursiers ou pas. Si l’Etat a des ressources ou alors leurs parents paient  pour les envoyer aux USA, la Côte d’Ivoire est à côté, la Sierra Leone c’est à côté. Quand ils seront formés, ils ne vont pas chômés. En plus, ils seront bilingues. Donc ce sont des choses que nous encouragerons et nous allons insister là-dessus.

J’ai insisté beaucoup avant de quitter à la Mano sur les participations des femmes. Durant les périodes où j’ai été à la Mano, le taux de participation des femmes dans les instances de prise des décisions a malheureusement diminué, notamment dans les élections, qu’elles soient locales ou parlementaires, le nombre a diminué.

Qu’est-ce qui explique cela? Cela s’explique peut-être par le fait que la sous-région notamment la Mano River union peut se vanter d’avoir fait élire la première femme Chef d’Etat en Afrique, n’est-ce pas?

OUI! Nous sommes restées sur nos lauriers. Nous n’avons pas compris qu’est-ce qui a pu permettre cela, à en tirer les conséquences pour mettre un véritable programme d’appui de promotion politique des femmes. Il faut absolument que cette dynamique soit maintenue et c’est pourquoi je crois qu’il est intérêt à faire en sorte que les femmes soient au niveau des instances. C’est un programme global aussi. Je fais toujours référence à la Charte de Kouroukanfouga en 1236. C’est écrit noire sur blanc ‘’qu’on doit associer les femmes à la gestion de la citée en plus de leur responsabilité domestique’’.

Nous avons pris nos fameuses démocraties dans le contexte historique, culturel qui sont naturellement différents des nôtres.

(…) Je vais continuer à travailler pour la promotion politique des femmes mais en commençant par la base. Il faut d’abord répertorier celles qui ont un vrai potentiel ou celles qui sont déjà sur la voie. Mais s’il leur manque la formation, l’information, il faut leur donner les ressources parce que le leadership aussi ça s’apprend.  C’est une question qui me tient beaucoup à cœur sur laquelle je vais beaucoup travailler et le développement culturel c’est le dernier volet… il n’y aura pas de développement sans un développement culturel. Quand vous prenez un pays comme le Japon qui a été vaincu en 1945, 50 ans après il fait partie des trois (3) grandes puissances financières du monde. Qu’est ce qui a fait cela ? C’est sa culture, ils mangent  japonais, ils pensent japonais et ils sont capables de prendre ce qui est bien chez toi pour aller manger avec la sauce japonaise. L’Allemagne a été occupée, non seulement vaincue mais jusqu’à présent, les forces de l’OTAN sont en Allemagne, c’est la plus grande puissance économique et financière de l’Europe.

Est-ce que vous avez pensé comment rendre pérennes ces connaissances une fois à la retraite comme écrire un livre, donner des cours à l’Université?

J’ai été déjà sollicitée par deux écoles. Une sur ma propre proposition. Enseigner dans une académie militaire sur mon expérience ces 20 dernières années sur les questions de conflits. Je pense que cela doit passer, parce que cela n’est ni dans les académies ni dans les écoles de police. Mais, je connais cela, j’ai vécu et j’ai appliqué sur le terrain. Les facultés de sciences politiques, je vais enseigner là-bas aussi. Je ne viens pas avec de la théorie mais ce que la pratique m’a enseignée autrement dit les expériences. Il y a une chose que j’aimerais également faire, c’est parler aux femmes qui sont jeunes et moins jeunes parce que, c’est une expérience et je suis un peu âgée, ce qui me permet de parler de cela.  Ma vie de famille, ma vie professionnelle et ma vie politique. Je les ai menées en parallèle.

Vous aviez été candidate à l’élection de 2010 dont le score ne fut pas honorable. Alors que 52% de la population sont des femmes. Dites-nous comment vous aviez accueilli ces résultats?

D’abord si vous-dites que le score n’est pas honorable, je ne suis pas d’accord. Il y avait 24 candidats. Mon score était le 15ème. Cela veut dire donc que je suis devant neuf (9) autres hommes, cela est une première remarque. La deuxième,  c’est le fait que ma candidature c’est à la dernière minute qu’elle a été annoncée, et c’est un reproche que les femmes m’ont fait après.

La troisième contrainte, les élections présidentielles coûtent chères. Rien que la caution de 2010 était de 400 millions GNF, presqu’un demi-milliard. C’était un facteur limitant. Quatrièmement, on sortait d’une période de transition militaire qui était un facteur bloquant parce que, pendant plus d’un an, il n’y a pas eu d’activités politiques. Les partis politiques étaient suspendus. Ce n’est qu’en mai 2010 après la promulgation de la constitution que les partis ont repris sur le terrain leurs activités. Aujourd’hui nous sommes en train de voir les limites du code électoral et même de la constitution. Si on discute concrètement autour de la constitution, nous allons savoir que la constitution n’est pas légitime,  parce que le peuple n’a pas été consulté, le CNT n’a pas été constitué sur une base légale, je suis désolée ! On a coopté des gens qui se trouvaient dans des organisations, des partis politiques, des syndicats et des ONG pour les mettre-là.  Je suis très contente du score que j’ai eu quand je le compare aux scores des candidats hommes qui ont eu beaucoup d’argent, plus riches et ont une audience plus large que moi et sont portés par des anciennes formations politiques.

Quel est votre plus beau souvenir de la Mano?

Mon plus beau souvenir, c’est le jour où j’ai vu des femmes que nous avons aidées, cela parait anodin, prenez la carte de la Sierra Leone vous allez voir Falada, c’est juste à la frontière guinéenne, la carte guinéenne Héremakono dans Faranah. Les deux préfectures ne sont pas distantes de plus de 28 Km. Pendant la crise Ebola, la Sierra Leone avait demandé qu’on ferme leur frontière est, c’est une zone rizicole. Les gens produisaient et n’arrivaient pas à écouler les productions. J’ai ordonné aux 4 officiers des unités de coordinations, des unités conjointes à autoriser les femmes de Falaba de se rendre à Héremakonon pour vendre leur riz contre la décision du gouvernement de la Sierra Leone. Cela a suscité un grand soulagement de cette communauté.

Alors vos regrets à la tête de la Mano?

C’est de n’avoir pas vu les étudiants des 4 pays rejoindre les écoles d’excellence avant mon départ de la Mano. J’aurais voulu accompagner un groupe d’étudiants à Abidjan parce que leur école est prête pour commencer leur année scolaire et universitaire, pour devenir des aides ingénieurs et des ingénieurs en travaux publics et en électricité, et de n’avoir pas vu voler Air Mano…

Entretien réalisé par Amadou Tidjane Diallo (Le Démocrate)

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