Les forces sociales se sont fendues dâun communiquĂ© courrier hier adressĂ© Ă la cour pĂ©nale internationale, pour dit-on, lâinformer des crimes les plus abominables quâauraient commis le prĂ©sident Alpha CondĂ© ce dimanche 24 mars au siĂšge de son parti. Je ne sais pas sâil faut en rire ou applaudir cette dĂ©cision.
Ce courrier aura cas mĂȘme eu le mĂ©rite de montrer que ce regroupement dâorganisations de la sociĂ©tĂ© civile nâest composĂ© que de plaisantins limitĂ©s dans la rĂ©flexion et dans la stratĂ©gie de lutte civilo-politique. Deux remarques sont Ă faire sur ce courrier.
Dâabord, le message que le militant Alpha CondĂ© Ă©tait venu passer nâa pas Ă©tĂ© compris par nos trĂšs chers activistes, et ensuite, ils se sont complĂštement plantĂ©s sur les prĂ©rogatives de la CPI en se rabaissant au passage.
Un message politique dĂ©coulant dâune stratĂ©gie bien assumĂ©e
Câest un secret de polichinelle que le prĂ©sident Alpha CondĂ© aspire Ă rester au pouvoir au-delĂ de 2020, limite fixĂ©e par la constitution actuelle. Son discours au siĂšge de son parti a quelque chose de particulier. Alpha CondĂ© dĂ©voile un peu plus dans cette sortie, ses intentions et tout ce quâil est prĂȘt Ă consentir pour y arriver. En dĂ©clarant, je le cite « Sâils sont sĂ»rs dâeux, on nâa quâĂ aller devant le peuple. Il va trancher, câest lui qui dira ce quâil veut », Ici, il nây plus de place Ă lâambigĂŒitĂ© quant aux intentions du prĂ©sident de la rĂ©publique.
Au lieu de sâinterroger et de rĂ©flĂ©chir sur le contenu de ce discours, en se prĂ©parant aux actions Ă mettre en Ćuvre pour contrer les vellĂ©itĂ©s du prĂ©sident, nos forces sociales nâont rien trouvĂ© de mieux que dâamuser la galerie en ne prenant que la partie du discours qui les intĂ©resse et sur laquelle, ils peuvent fourvoyer. Une organisation sĂ©rieuse, Ă leur place, aurait dĂ©jĂ engagĂ© les rĂ©flexions pour alerter lâopinion publique, et dire que les intentions du prĂ©sident ne sont plus cachĂ©es en rĂ©alitĂ©. Mais hĂ©las ! Nos forces sociales sâintĂ©ressant au contenant que le contenu (le discoureur plutĂŽt que le discours), nâont rien trouvĂ© de mieux quâun communiquĂ© ridicule adressĂ© Ă une juridiction qui cherche encore ses repĂšres et qui nâest quâun instrument de la gĂ©opolitique internationale dont lâaccusĂ© est un des acteurs aujourdâhui.
En tout Ă©tat de cause, le prĂ©sident Alpha CondĂ© peut savourer, et se dire quâil a atteint son objectif. Entre son discours Ă Sonfonia devant les Ă©tudiants et celui tenu Ă Gbessia, sa stratĂ©gie de communication et de diversion fonctionne Ă merveille, montrant au passage quâaucun acteur de la vie nationale ne peut lire et comprendre ses manĆuvres. Câest dire du rĂ©sultat auquel sâattendre venant dâune telle structure.
La saisine de la CPI, une stratégie ridiculisante et irréfléchie
La Guinée a procédé à la signature du statut de Rome le 8 septembre 2000 et a déposé son instrument de ratification du statut de Rome le 14 juillet 2003.
La cour pĂ©nale internationale est une juridiction pĂ©nale permanente chargĂ©e de juger les personnes accusĂ©es de gĂ©nocide, de crime contre lâhumanitĂ©, de crime d’agression et de crime de guerre. Le statut qui lâinstitut entre en vigueur le 1er juillet 2002 aprĂšs sa ratification par 60 Ătats membres.
Sâagissant de la compĂ©tence de la Cour (fixĂ©e Ă lâarticle 5), elle est limitĂ©e aux « crimes les plus graves touchant lâensemble de la communautĂ© internationale » Ă savoir : les crimes de gĂ©nocide ; les crimes contre lâhumanité ; les crimes de guerre.
Peut-on dire que les propos dâAlpha CondĂ© du dimanche sont constitutifs dâun des crimes visĂ©s Ă lâarticle 5 de la CPI ? Il faut interroger nos trĂšs chers activistes des forces sociales pour le savoir. Saisir, une juridiction internationale sur un propos dans un pays oĂč les propos incendiaires sont monnaie courante, est une insulte Ă lâendroit du peuple de GuinĂ©e qui est le dĂ©tenteur de la souverainetĂ©, Ă travers laquelle, il a mis en place des institutions pour le gouverner. Cette saisine est aussi un grand aveu dâĂ©chec envoyĂ© par les forces sociales. Et câest bien ça qui inquiĂšte. Le message envoyĂ© est quâils ne peuvent se battre tous seuls pour la cause du peuple, lequel ils disent dĂ©fendre, sans faire appel Ă une organisation internationale, de surcroit judiciaire. Câest assez symptomatique de lâĂ©tat du pays, pour marcher sur les plates bandes dâun certain Sidya TourĂ©.
Et quâen est-il du mode de saisine de la CPIÂ ?
Trois modes de saisine de la cour pénale internationale sont prévus par le statut de Rome aux article 14, 15 et 16 :
– tout Ătat partie peut dĂ©fĂ©rer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compĂ©tence de la Cour paraissent avoir Ă©tĂ© commis ;
– le Procureur peut ouvrir une enquĂȘte de sa propre initiative au vu des renseignements concernant des crimes relevant de la compĂ©tence de la Cour ; dans ce cas il doit obtenir une autorisation de la Chambre prĂ©liminaire pour ouvrir une enquĂȘte
– enfin, le Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies peut Ă©galement dĂ©fĂ©rer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir Ă©tĂ© commis.

Au vu de ce qui vient dâĂȘtre dit, je ne vois pas comment les FSG ont pu engendrer une telle lettre. Deux explications possibles : soit ils nâont pas de conseiller sur les questions juridiques et de communication, soit ils nâont aucune stratĂ©gie de lutte dans leur combat quâils disent mener au nom du peuple, ne recherchant alors que le buzz mĂ©diatique. Lâune dans lâautre, les forces sociales apparaissent comme une organisation banale, amatrice et ingĂ©nue. Ă croire quâils ont des anciens ministres parmi eux…
Si le salut des guinĂ©ens est alors dans les mains de ces activistes de la sociĂ©tĂ© civile pour Ă©viter un 3e mandat au pays, le combat est perdu dâavance et les promoteurs du troisiĂšme mandat peuvent dĂ©jĂ jubiler.
Par Alexandre Naïny BERETE, étudiant en master à la faculté de Nantes.