Pendant que les entreprises privées de travaux publics creusent des trous dans le budget (et parfois dans les routes sans jamais les reboucher), une institution inattendue entre en scène pour remettre le pays sur ses pieds -ou plutôt sur ses roues : l’armée guinéenne. Par le biais de son Bataillon du Génie militaire, elle affirme désormais un rôle stratégique dans la construction et la réhabilitation des infrastructures nationales. À Kouria, dans la préfecture de Coyah, deux centrales d’enrobage viennent d’être mises en service. Une autre infrastructure, tout aussi capitale, a vu le jour à Tabily, dans la région de Kindia : une centrale de concassage de granite, destinée à alimenter le pays en agrégats de qualité à moindre coût, dit-on.
Selon une communication officielle, ces nouvelles installations ne sont pas de simples symboles. Elles constituent, au contraire, une réponse directe et structurante aux défis majeurs qui minent depuis trop longtemps le secteur des travaux publics en Guinée : la dégradation accélérée du réseau routier et la surfacturation chronique des projets. La gangrène !
‘‘Désormais, le Génie militaire interviendra directement sur le terrain pour réaliser des ouvrages de qualité à des coûts maîtrisés’’, peut-on lire dans le compte rendu de la DIRPA, qui met en avant l’agilité des nouvelles centrales d’enrobage. De type continu, elles ont la particularité d’être mobiles et peuvent être redéployées sur l’ensemble du territoire national en fonction des besoins. Une avancée technologique et opérationnelle inédite dans l’histoire du pays, qui ouvre de nouvelles perspectives pour la production nationale de béton bitumineux. À pleine capacité, chaque centrale pourrait produire jusqu’à 180 tonnes de bitume par heure -une performance qui traduit la volonté d’industrialisation portée désormais par les forces armées.
Cette montée en puissance de l’armée dans un domaine historiquement dévolu au secteur privé soulève inévitablement une question : assiste-t-on à la fin de la tyrannie des privés et du gaspillage des ressources publiques dans les travaux publics ? La réponse, bien qu’encore prématurée, semble prendre forme dans un contexte où la confiance envers ces privés s’est fortement érodée. Ces derniers, à force de défaillances répétées et de chantiers inachevés, ont fini par susciter un profond scepticisme. Il aura même fallu, il y a quelques jours à peine, que le ministre secrétaire général de la présidence, le Général Amara Camara, exige que les représentants des sociétés de BTP titulaires de marchés publics prêtent serment sur le Coran pour s’engager à respecter les clauses contractuelles. Une scène inédite, presque surréaliste.
Alors se dit-on, dans ce théâtre, l’entrée en scène de l’armée apparaît presque comme une action de salubrité publique : pour que la moralisation des contrats de l’Etat ne passe pas par des invocations divines ! Il faut rappeler que l’exemplarité, la discipline et le patriotisme qui, normalement caractérisent l’institution militaire peuvent être aujourd’hui les garanties d’un sursaut tant attendu dans le secteur des infrastructures. S’il est trop tôt pour parler de solution définitive, force est de reconnaître que l’initiative marque un tournant. Peut-être celui d’un nouvel ordre où la compétence, l’efficacité et le sens de l’intérêt général prennent enfin le pas sur les arrangements opaques et les promesses non tenues.
Par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com