La Banque centrale de la République de Guinée, sous la direction de Karamo Kaba, semble décidée à ne jamais cesser de nous surprendre – ou de nous inquiéter. À peine quelques jours après l’indignation suscitée par l’introduction controversée de nouveaux billets de vingt mille francs guinéens, voilà qu’un communiqué officiel vient ajouter à la confusion ambiante : un convoi appartenant à un particulier, transportant la somme faramineuse de vingt et un milliards de francs guinéens (justement des billets de vingt mille GNF fraîchement imprimés), aurait été braqué.
Les faits, déjà rocambolesques dans leur formulation, le deviennent davantage par les silences qu’ils laissent planer. À commencer par une question élémentaire : qui est donc ce ‘‘particulier’’ à qui la Banque centrale aurait payé un tel montant ? D’après certaines informations qui circulent dans les milieux financiers, ce ‘‘particulier’’ serait en réalité un orpailleur, autrement dit un fournisseur d’or à l’État. Il ne s’agirait donc pas d’un cas isolé : la pratique de payer directement ces opérateurs miniers serait courante à la Banque centrale.
Mais cette habitude soulève des interrogations fondamentales. La Banque centrale, en sa qualité d’institution de régulation monétaire, n’est-elle pas en train de sortir de son rôle en procédant à de tels paiements directs ? En contournant les banques commerciales, qu’elle est censée superviser, n’entre-t-elle pas en concurrence déloyale avec elles ? Si les orpailleurs sont effectivement rétribués en espèces, pourquoi ne pas les obliger à ouvrir des comptes dans des banques primaires, comme le ferait toute institution soucieuse de renforcer l’inclusion financière et la traçabilité des transactions ?
Pis encore, en persistant dans ces pratiques, la Banque centrale ne participe-t-elle pas, volontairement ou non, à l’informalisation de l’économie nationale, fragilisant ainsi l’ensemble du système financier ? Dans un contexte marqué par l’insécurité et les tensions sociales, le transport de telles sommes en liquide par un particulier représente un risque majeur. Dès lors, à défaut de s’interdire purement et simplement les paiements en espèces, l’institution ne devrait-elle pas au moins en limiter le montant à un strict minimum transportable sans grand danger ?
La BCRG a cru bon de prendre vite les choses en main affirmant avoir transmis aux autorités compétentes l’ensemble des numéros de série des billets volés. Un geste louable sur le papier, mais dont l’efficacité réelle interroge : comment espérer identifier, dans l’économie informelle, des billets en circulation au milieu de millions d’autres ?
Les zones d’ombre persistent, et avec elles le sentiment d’une gouvernance financière opaque, détachée des principes élémentaires de transparence et de bonne gestion. Dans un pays en quête de stabilité institutionnelle, le flou entretenu par la Banque centrale nourrit l’inquiétude, alimente la défiance, et affaiblit l’autorité de l’État.
Les Guinéens, à juste titre, attendent des réponses. Et plus encore : des garanties que l’institution censée incarner la rigueur monétaire cesse enfin de jouer avec la confiance publique.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com