Censure

Banque centrale : Une affaire, mille zones d’ombre !

Parfois, les faits sont si absurdes qu’ils en deviennent inquiétants. Et lorsqu’ils émanent d’une institution censée incarner la rigueur, la transparence et la stabilité, l’inquiétude cède rapidement la place à la consternation. Revenons sur le ‘‘braquage’’ du weekend dernier.

Rappelons que la Banque centrale de Guinée, gouvernée par Karamo Kaba, a publié lundi dernier, un communiqué qui défie l’entendement. Elle y a annoncé, sans plus de détails, qu’un convoi appartenant à un ‘‘particulier’’ transportant 21 milliards de francs guinéens en billets neufs de 20 000 GNF a été braqué. Une somme vertigineuse, échappée dans la nature -et avec elle, une série de questions qui, elles, ne trouvent toujours pas de réponse.

D’abord : qui est ce ‘‘particulier’’ ? Selon des sources concordantes, il s’agirait d’un orpailleur, un fournisseur d’or payé directement par la Banque centrale. Ce qui nous mène à une interrogation centrale : depuis quand la Banque centrale traite-t-elle directement avec des individus ? L’institution ne devrait-elle pas passer par les banques commerciales qu’elle est précisément chargée de superviser ? En agissant ainsi, ne se substitue-t-elle pas aux banques primaires, brouille-t-elle pas les rôles et mine-t-elle pas la chaîne de régulation qu’elle prétend défendre ?

Et même en admettant, pour des raisons exceptionnelles, que des paiements en espèces soient effectués, comment justifier le transport de 21 milliards en liquide par un particulier dans un pays où les risques sécuritaires sont connus ? À défaut d’interdire le cash, ne pouvait-on au moins limiter ces transactions à des montants raisonnables, transportables sans grand danger ?

Mais le plus troublant reste peut-être dans les zones d’ombre entourant le braquage lui-même. Comment une telle attaque a-t-elle pu se produire sur une route nationale, quadrillée de postes de contrôle ? Par qui ? Comment ? Les braqueurs étaient-ils armés ? Les convoyeurs ont-ils été entendus ? Et surtout : pourquoi le propriétaire du convoi n’a-t-il pas lui-même porté plainte ? Il s’agit d’un vol, et dans tout État de droit, ce n’est pas à la Banque centrale de se substituer à la victime présumée. Pourquoi l’institution communique-t-elle comme si elle-même avait été lésée ? Serait-ce que les fonds n’étaient pas totalement ‘‘extérieurs’’ à ses opérations ? Ou que leur origine réelle était moins anodine que ce que l’on veut nous faire croire ?

On nous répond que les numéros de série des billets volés ont été transmis aux autorités sécuritaires. Très bien. Mais comment les forces de sécurité, dans une économie largement informelle, peuvent-elles identifier ces billets ? Allons-nous scanner chaque transaction, chaque billet chez chaque boutiquier du pays ? Ce n’est juste pas sérieux.

Au fond, cette affaire révèle un malaise plus profond : un effacement progressif des lignes de responsabilité, un affaiblissement des garde-fous institutionnels et une gestion brouillonne, voire risquée, des deniers publics. Et tant que des zones d’ombre subsistent, la confiance s’érode. Dans un pays où les institutions peinent à s’imposer comme garantes de l’intérêt général, la transparence n’est pas un luxe : c’est une nécessité.

Il est temps que la Banque centrale parle. Et qu’elle rende des comptes.

Par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com