La disparition d’un pape ouvre un chapitre à la fois solennel et stratégique pour l’Église catholique. Loin de se résumer à une simple transition, cette période, régie par des rites séculaires, révèle aussi les enjeux géopolitiques et culturels d’une institution en quête de renouveau.
Dès l’annonce du “Sede vacante” (« Siège vacant »), le “camerlingue”, gardien temporaire du Vatican, orchestre une mécanique millénaire : confirmation du décès, funérailles pontificales, puis neuf jours de deuil (“novemdiales”). Vient ensuite le temps du conclave, moment crucial où les cardinaux-électeurs (âgés de moins de 80 ans), venus des cinq continents, s’enferment dans la Chapelle Sixtine. Isolés à la Domus Sanctae Marthae, ils votent jusqu’à quatre fois par jour, sous les fresques de Michel-Ange, jusqu’à ce qu’une fumée blanche — ou le son des cloches depuis 2013 — annonce au monde : « Habemus Papam ! » (Nous avons un pape, en latin). Pour l’emporter, le futur souverain pontife doit recueillir deux tiers des voix, sauf après 35 scrutins infructueux, où une majorité simple suffit. Un rituel où chaque geste, de la destruction des bulletins au choix du nom de règne, incarne la rencontre entre mystique et diplomatie.
L’AFRIQUE EN EMBUSCADE ?
QUELLES CHANCES POUR LE GUINÉEN ROBERT SARAH?
Si le protocole reste inchangé depuis le Moyen Âge, le profil du pape pourrait, lui, évoluer. Avec 18 cardinaux électeurs africains sur 135, l’hypothèse d’un premier souverain pontife noir n’a jamais été aussi tangible. Trois facteurs l’expliquent :
– La diversification du “Collège” impulsée par François. En nommant cinq nouveaux cardinaux africains depuis 2013, il a offert au continent des relais d’influence, comme le Congolais Fridolin Ambongo, archevêque réformiste de Kinshasa, ou le Ghanéen Peter Turkson, ex-responsable des questions sociales au Vatican.
– Le dynamisme démographique : L’Afrique abrite 18 % des catholiques mondiaux, contre 3 % en 1900. Une base fidèle jeune et croissante, face à une Europe vieillissante où les églises se vident.
– La stratégie géopolitique : Un pape africain incarnerait le « décentrage » voulu par François, tournant l’Église vers les Suds, loin des bastions traditionnels.
Pourtant, l’élection reste imprévisible. Les pronostics favorisent encore des Européens (comme le cardinal Parolin, secrétaire d’État) ou l’Asiatique Tagle (Philippines). Malgré leur poids numérique croissant, les cardinaux africains manquent d’un candidat consensuel. Certains, comme le Guinéen Robert Sarah, brillent par leur influence, mais aussi par leurs prises de position clivantes. Conservateur intransigeant, critique des réformes de François sur la liturgie ou la morale familiale, Sarah séduit une frange traditionaliste, mais effraie les modérés. À 79 ans, son âge — proche de la limite d’éligibilité — joue également contre lui.
Reste que l’avenir pourrait surprendre. Les cardinaux d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, majoritaires au conclave, pourraient sceller une alliance inédite. Un tel choix serait un symbole fort : celui d’une Église tournée vers les défis du Sud — pauvreté, migrations, dialogue interreligieux —, tout en tentant de réconcilier tradition et modernité.
La prochaine élection papale ne sera pas qu’un choix spirituel : ce sera un miroir tendu à une institution tiraillée entre son histoire et les remous du monde. Qu’il vienne d’Afrique ou d’ailleurs, le nouveau pape devra incarner cette équation complexe — et peut-être, enfin, écrire un nouveau chapitre.