Depuis plusieurs semaines, le ciment devient une denrée rare en Guinée. De nombreux chantiers privés sont arrêtés. Et les prix s’envolent. À Conakry, un sac de ciment de qualité 42, qui coûtait 80 000 GNF, s’échange désormais à 100 000 GNF -quand on en trouve. Pourquoi cette flambée soudaine ? Quelles sont les causes profondes de cette pénurie ? Enquête.
Il faut tout de suite rappeler : La Guinée dispose de six sociétés de production de ciment et de sept usines, avec une capacité de production annuelle estimée à 3,6 millions de tonnes. Un bond spectaculaire si l’on compare aux 2,2 millions de tonnes produites il y a à peine quatre ans. Soit une augmentation de près de 60 % de la demande.
Un producteur explique cette hausse par la multiplication des chantiers, notamment dans les secteurs minier, énergétique et infrastructurel. ‘‘On parle beaucoup de Simandou, mais ce n’est pas le seul projet consommateur de ciment. D’autres compagnies minières sont également très actives. Le port autonome de Conakry est en extension avec la construction de nouveaux quais, et le projet hydroélectrique d’Amaria, longtemps à l’arrêt, a redémarré. Tous ces chantiers exigent d’énormes quantités de ciment’’, confie-t-il.
Une politique publique modifiée et une tension sur la matière première
Du côté des infrastructures routières, l’État a modifié sa stratégie. ‘‘Le béton hydraulique est désormais privilégié au goudron pour faire de nombreuses voiries, en raison de la forte pluviométrie en Guinée’’, explique une source au ministère des Infrastructures et des Travaux publics. Résultat : une pression accrue sur l’offre.
Ce n’est pas que ça. Deux usines ont été à l’arrêt récemment, faute de clinker, la principale matière première dans la fabrication du ciment. Selon nos sources, une pénurie mondiale serait en cours. L’Algérie, l’un des plus gros fournisseurs, privilégierait actuellement ses clients du Moyen-Orient, délaissant le marché ouest-africain.
Un goulot d’étranglement logistique
Même quand le ciment est produit, le transport devient un casse-tête. C’est donc l’autre problème. Exemple : Une société minière installée dans la région de Boké a passé commande pour 20 camions de ciment il y a deux semaines. À ce jour, seuls deux camions ont pu être mobilisés -et à un tarif trois fois supérieur à la normale. Pourquoi ce blocage ? ‘‘Les transporteurs préfèrent envoyer leurs camions vers les chantiers du Simandou, bien mieux rémunérés’’, explique une experte en logistique. À titre d’illustration, un camion gagne 1 million GNF par tonne transportée à Simandou, contre 3,5 millions GNF pour acheminer un chargement complet de Kagbelen à Conakry -une hausse significative par rapport aux 2,1 millions GNF, d’il y a quelques mois.
Et si on produisait du clinker localement ?
Certains professionnels suggèrent de relancer la production locale de clinker. ‘‘Lors de la création de SOPROCIMENT, devenue Ciment de Guinée, un projet d’exploitation des gisements de clinker de Mali (Moyenne Guinée) avait été envisagé. Une cité avait même été construite à Lébékérén. Mais les infrastructures de transport faisaient défaut’’, se souvient un producteur qui appelle à des investissements dans cette région pour valoriser la ressource locale.
Quid de la reprise ? Selon nos informations, près de 90 % de la production nationale a repris, et l’on espère atteindre 100 % dès la semaine prochaine. Mais le retard accumulé est tel que l’offre peine à combler la demande. ‘‘Il faudra du temps pour absorber la demande en attente. Le marché ne se stabilisera pas avant plusieurs mois’’, estime un spécialiste du marketing.
Les plus optimistes évoquent un retour à la normale d’ici six mois. En attendant, les consommateurs doivent composer avec la rareté… et les prix en hausse.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com