Censure

Conflit foncier à Yattaya Fossidet : une jeunesse en colère

La maison des jeunes du quartier Fossidet, à Conakry, a été démolie le 27 mai dernier. Une situation dénoncée ce jeudi 5 juin 2025 par les habitants de la localité à travers une manifestation pacifique sur les ruines de ce lieu symbolique, auquel ils sont profondément attachés.

Les manifestants pointent du doigt une certaine Gnalen Traoré, accusée d’avoir vendu le terrain à un notaire habitant le quartier, Me Mory. D’après les témoignages recueillis, ce dernier aurait entamé des travaux au lendemain de la démolition, le 28 mai dernier. Mais ces travaux ont été stoppés par des jeunes qui revendiquent la propriété du lieu.

Fodé Ibrahima Touré, secrétaire chargé de la jeunesse de Yattaya Fossidet, revient sur les faits : « Nous, en tant qu’autorité locale, nous ne voulons pas de la violence depuis le premier jour. Ils m’ont appelé à 05 h 00 du matin. Quand je suis venu, j’ai trouvé un pick-up de la gendarmerie et un groupe de jeunes, ils étaient là à démolir notre maison de jeunes. Je suis parti voir les gendarmes, j’ai demandé aux gendarmes : Est-ce que vous avez une réquisition pour ça ? Les gendarmes m’ont dit d’aller voir leur chef, colonel Talla, de l’escadron mobile numéro 15 à Kobaya. Je me suis déplacé, je suis parti voir le colonel. Le colonel me dit carrément : Il y a une réquisition. Mais je lui ai dit directement : J’ai dit, mon colonel, s’il y a une réquisition, est-ce qu’ils sont passés par le quartier pour une signature ? Ils m’ont dit non, le chef de quartier est au courant. J’ai appelé mon chef, mon chef me dit carrément qu’il n’a rien signé pour la démolition d’ici. »

Il ajoute que certains éléments du dossier l’ont poussé à douter de sa légalité : « Je suis revenu, il y avait un huissier qui était arrêté, lui aussi il m’a remis les papiers, soit-disant que la dame [Gnalen Traoré] a gagné le procès. J’ai lu le papier, j’ai vu la grosse du jugement numéro 405. Je me suis dit directement : L’affaire là, c’est pas clair, parce que, quand j’ai lu, j’ai vu qu’il n’y avait même pas le nom de Yattaya Fossidet. Il n’y avait que KOBAYA. Je me dis : est-ce qu’un huissier peut travailler comme ça ? Monter un dossier, même le nom de notre président du quartier, ils ont mis là-bas Mohamed Mangata Sylla, en lui attribuant le titre de président de la délégation. Et pourtant Mohamed Mangata n’est pas le président de la délégation spéciale, il est président du conseil du quartier. Donc, ils ont monté le dossier pour venir démolir notre maison des jeunes. »

Selon les jeunes, la vente du terrain à Me Mory est entachée de zones d’ombre : « Gnalen Traoré, c’est elle qui se réclame ici comme la propriétaire du terrain. Le papier d’huissier, c’est Gnalen Traoré qui a écrit. La personne qui réside dans notre quartier, quand ils ont fait la démolition, le lendemain, il a directement envoyé les travailleurs. C’est entre-temps, moi, la presse Évasion m’a appelé qu’ils veulent faire une interview. Je suis venu, j’ai fait l’interview. Maintenant, en bougeant, j’ai vu les jeunes [du quartier] venir. Ils ont saccagé tout. Les ouvriers se sont retirés. Maintenant, le lendemain, le monsieur en question s’est déplacé pour partir au bureau. Il dit qu’il a fait un marché avec Gnalen Traoré. J’ai dit : le terrain, c’est pour Gnalen Traoré ou bien Maître Mory ? Parce que, lui, il nous dit qu’il est notaire et qu’il est très connu en Guinée. On lui a demandé le terrain, c’est pour Gnalen Traoré ou bien Maître Mory ? Maître Mory nous a dit carrément : Ils sont en train de faire le marché, mais ils attendaient que la démolition se fasse d’abord pour verser le reste de l’argent. Maintenant, lui-même, il nous a dit carrément, en tant que jeunes, de nous concerter. On est parti voir les personnes de bonne volonté dans le quartier. Eux aussi nous ont donné conseil. Comme ce qu’on avait proposé pour Gnalen Traoré, pour ne pas qu’il y ait la pagaille ici, sinon, quand on vérifie très bien, le terrain n’a jamais été vendu. Le monsieur s’est retourné, on lui a donné deux jours. Le mardi, on s’est vu au quartier. Le monsieur nous a fait savoir qu’il ne veut pas quitter ici. Malgré tout ce qu’on a fait, il a décidé maintenant de construire ici, même si les jeunes viendront casser, mais il va construire. Le papier qu’il nous a montré, ça ne prouve pas que Yattaya Fossidet est concerné. C’est Kobaya qui a écrit. »

Un appel pressant lancé en direction des autorités

Face à cette situation, les habitants lancent un appel aux autorités : « Nous sommes dans un État de droit, on ne va jamais reculer comme ça. On va suivre aussi la loi, personne n’est au-dessus. Nous sommes tous en-dessous de la loi. Nous lançons un appel solennel aux autorités, surtout au président général Mamadou Doumbouya, de nous venir en aide. »

Une vente illégale et des pratiques douteuses

Naby Soumah, représentant des coutumiers du littoral, affirme que ce terrain n’a jamais été vendu : « Ici, c’est chez nous. Quand Bana Sidibé a fait le lotissement. Mon père s’appelle KS. C’est nous qui avons installé tout le monde ici. De là-haut jusqu’au bas-fond. C’est aux jeunes qu’ici a été donné. Nous ne savons pas que ce lieu a été soi-disant vendu. Nous ne connaissons pas non plus la famille qui va leur vendre ici. On n’a jamais vendu ici. Il y a plus de 20 ans qu’ici a été octroyé à la jeunesse. »

Il dénonce également des pratiques douteuses de certaines autorités locales : « Actuellement, ici, c’est devenu la pagaille. Les différents bureaux de quartier s’amusent à détourner et vendre des terres. Même pour notre cimetière, c’est une maison qu’on a cassée pour le récupérer ; même chose pour le marché. Ceux qui spolient ces lieux sont champions dans la falsification des documents. Ils partent mentionner les noms de nos parents qui sont morts depuis plus de 20 ans, en disant que c’est eux qui ont procédé à la vente. »

De son côté, Mamadouba Piazza Soumah, secrétaire administratif du quartier Yattaya Fossidet, évoque l’échec des tentatives de médiation : « Gnalen Traoré et moi, on ne s’est jamais vu. Un jour, le chef de quartier nous a appelés pour nous dire qu’il y a une dame qui se réclame propriétaire. Mais on a compris au finish qu’il y avait un ancien ministre de la Santé, monsieur Rémy Lamah, qui était derrière le dossier. Quand le problème a commencé à prendre de l’ampleur. Il y a un monsieur dans notre quartier qui s’appelle Mamadouba Soumah alias Zéro Faute, il a appelé la jeunesse, il dit : la dame là, moi je ne la connais pas, mais la partie là, puisque la jeunesse a déjà mis la main, elle n’est pas prête à quitter, appelez Madame, moi je prends 2 parcelles au bas-fond, je vais lui donner. Si elle veut construire, elle n’a qu’à les construire là-bas. En ce moment, Madame Gnalen était représentée par un commandant qui était venu du haut commandement, un certain Monsieur Bangoura. Donc on l’a appelé, il nous a accompagnés jusqu’au Bas-fond pour lui montrer les 2 parcelles, on lui a montré, il a dit d’accord, c’est bon, maintenant je vais remonter, après nous allons vous revenir. Depuis ce moment, il n’est plus revenu. Donc, nous, on était dans l’attente. »

Il déplore également le manque de considération dont font preuve certains agents de sécurité : « Brusquement, à notre grande surprise, on a entendu un jour les gendarmes qui sont venus démolir notre local. J’ai appelé le président de la jeunesse pour neutraliser la jeunesse, pour ne pas qu’il y ait de révolte et pour les laisser faire. Quelqu’un m’a appelé pour me demander : Est-ce que vous avez reçu la réquisition ? J’ai dit non, personnellement, je n’ai rien reçu. J’ai appelé le chef, le chef a aussi dit que non, il n’a rien reçu, il ne nous a pas contactés. Mais, puisqu’ils ont montré un dossier venu de la justice, nous, étant le bureau du quartier, on ne pouvait pas s’opposer à la décision de la justice. »

« Ça nous touche beaucoup. On a même remonté ça au niveau de la commune, parce qu’une gendarmerie vienne comme ça pendant que nous sommes là. Dans la vie, le respect doit être réciproque. Nous sommes de l’autorité locale. S’il y a quelque chose à faire, quoi que ce soit dans notre quartier, nous sommes d’abord les premières personnes à être contactées. Sinon, cela peut nous mettre en mal avec nos populations. Par exemple, actuellement, la jeunesse est en train de nous accuser d’être complices dans la vente du local. Cette maison des jeunes, ça fait très longtemps. C’est à notre arrivée au pouvoir que ça s’est démoli. Nous appelons l’autorité supérieure, vraiment, à accorder un respect à l’autorité locale », a-t-il ajouté.

Nos tentatives pour joindre les personnes citées dans cette affaire sont restées vaines. En revanche, le colonel Talla Manet, commandant de l’escadron mobile numéro 15 de Kobaya, que nous avons pu rencontrer, nous a assuré que la procédure de démolition a respecté le « circuit légal » et qu’elle a été décidée par sa hiérarchie.

Abdoul Lory Sylla pour Guinee7.com