Censure

Satire à vue : la Mamaya, c’est pas de la mamaya

Après avoir fait la fête aux moutons, à l’occasion de la Tabaski censée pourtant être la leur, on a festoyé aux quatre coins du pays. Beaucoup d’habitants de Conakry (au fait, comment les appelle-t-on officiellement ?) ont choisi de se rendre dans l’arrière-pays fêter en famille.

C’était la 85e édition de la célèbre Mamaya de la ville de Kankan. Déjà avant la date, des cancans distillés bien à propos avaient fait comprendre que l’événement serait hissé cette année à un top niveau. Ne serait-ce que par la présence annoncée du Seul maître à bord après Dieu.
Chose promise, chose due. Il est venu, il a vu et il a convaincu sur ses talents dignes d’un Fred Astaire, il a dansé la Mamaya avec grâce et majesté, comme cela se doit de la part d’un fils du terroir.

Ah oui, qu’on se le tienne pour dit, la Mamaya ne se danse pas n’importe comment, puisque justement ce n’est pas de la mamaya.  Dans le sens de cette expression qui désigne dans le langage familier la pagaille, le désordre, l’amateurisme, le laisser-aller…
Dans les préparatifs, le déroulement, la chorégraphie, le choix des uniformes, rien n’a été laissé au hasard, l’on s’est attelé à ce que ce soit une vraie Mamaya, en évitant soigneusement de faire de la mamaya. Autrement dit n’importe quoi.

Peut-être que c’est à cause de l’emprise de la fête sur les esprits, qu’il s’agisse  de la Mamaya à Kankan, du Söli à Kindia et autres réjouissances « bamboulanesques » ailleurs, que le directeur de la Fonction publique a griffonné un communiqué, au nom de son ministre, pour accorder à tous ces fêtards une petite et inespérée rallonge : après les journées de vendredi et samedi, les lundi et mardi suivants sont également déclarés fériés, chômés et payés. Quant à savoir si c’est dans ses prérogatives de prendre une telle décision, qui plus est par un communiqué en lieu et place d’un décret dûment signé par qui l’on sait, cela n’a pas semblé préoccuper grand monde. Rien d’étonnant, les effluves de la fête sont encore dans toutes les têtes, comme le fait penser du reste ledit communiqué où il est écrit que c’est à cause de « la commémoration (et non célébration) de la fête de Tabaski ».

Après tout, il ne faut surtout pas gâcher la fête en allant fouiner dans ces détails où se cacherait le diable. Qelques trouble-fête ont bondit sur l’occasion pour tirer la sonnette d’alarme, comme si avec le brouhaha ambiant on pouvait les entendre.
C’est vrai que la multiplication des jours fériés, chômés et payés n’est pas toujours sans conséquences sur l’économie du pays. Aux dires de ces petits malins, après la fête ça pourrait bien être la défaite. En oubliant que les festivités sont des moments propices à la surconsommation. On a dû beaucoup dépenser ces derniers jours à Kankan et ailleurs. Tout au moins pour ceux qui ont pu arracher un peu d’argent à des banques asséchées, parce que manquant cruellement de liquidités. Hôteliers, restaurateurs, tenanciers de buvettes et de lupanars, sans oublier divers prestataires de services plus ou moins « catholiques », ont dû se frotter les mains.
Est-ce que cela suffirait à compenser d’éventuelles pertes dues à la réduction du temps de travail ? Autant donner sa langue à un chat, même en plein délire festif ! D’ailleurs, en ce qui concerne les fonctionnaires, n’a-t-on pas coutume de dire « qu’ils font semblant de travailler alors que l’Etat fait semblant de les payer » ?

Les véritables perdants de cette histoire sont les pauvres citoyens floués qui ont été contraints de passer la Tabaski en Guinée, alors qu’ils auraient dû être à la Mecque. Pour eux, la fête fut loin d’être au rendez-vous. Pendant ce temps, les autorités religieuses, elles, semblent avoir toutes les raisons de se réjouir, grâce à un classement récemment publié par une organisation appelée Labaytoum. La Guinée y décroche une impressionnante 5ᵉ place mondiale, faisant briller notre pays au faîte de l’organisation du Hadj.
Tandis que le gouvernement savoure sans doute ses lauriers, les centaines de candidats au Hadj qui rêvaient de faire le Tawaf autour de la Kaaba, n’ont que leurs larmes pour maudire, le cœur meurtri,  les escrocs qui les ont dupés.

À ceux qui y verraient un paradoxe, les aras du gouvernement trouveront certainement la meilleure formule pour expliquer que le classement reflète davantage la performance institutionnelle (du SGAR) que des incidents crapuleux isolés, même s’ils ont fortement entaché la crédibilité du processus. Quant aux excuses présentées par un certain porte-parole, elles ressemblent, aux yeux de maints sceptiques, à une anguille bien cachée sous la roche. Sacré bled ! 

De toutes façons, entre les classements flatteurs et les escroqueries rocambolesques, le pays avance, parfois en zigzaguant, mais toujours avec la tête à la fête. Non sans quelques grincements de dents, il est vrai, mais ça, tout le monde le sait, y compris le plus invétéré des fêtards : gérer la Guinée, ou n’importe quel autre État, ce n’est pas de la mamaya.

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