La décision est officielle, actée par décret : l’État guinéen reprend la main sur l’organisation des processus électoraux. La création d’une Direction Générale des Élections (DGE) au sein du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation sonne le glas de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). Ce retour à une gestion étatique des scrutins, loin d’être anodin, suscite des appréhensions quant à la transparence, la neutralité et la crédibilité de ces derniers.
Avant 2010, le ministère de l’Administration du Territoire gérait déjà les élections, dans un contexte marqué par des accusations récurrentes de fraudes et de manipulations. La création de la CENI, fruit d’un compromis entre le pouvoir, l’opposition et la société civile, avait pour but d’instaurer une instance indépendante capable de garantir une certaine neutralité. Un objectif pas toujours atteint.
Malgré tout, confier à nouveau le fichier électoral et l’ensemble des opérations à une administration territoriale marquée par des soupçons de partialité apparaît comme une régression majeure. La création annoncée d’une « commission autonome » qui sera chargée de superviser, aux côtés de la DGA, les élections qui suivront le référendum est loin de rassurer : pour le moment son cadre légal reste flou, sa composition et ses pouvoirs indéfinis, et elle pourrait n’être par conséquent qu’un simple observateur sans réel pouvoir d’influence. Au mieux une coquille vide, au pire un alibi démocratique.
Qui plus est, cette réforme est indissociable du contexte politique actuel, dans lequel la position du maître des horloges du Palais Mohammed V apparaît comme un facteur clé.
Malgré l’interdiction formelle inscrite dans la Charte de transition, la candidature du Général Mamadi Doumbouya à la prochaine présidentielle est de plus en plus évoquée. Le référendum constitutionnel à venir pourrait être l’opportunité idéale pour lever cet obstacle.
Le narratif du « sauveur » indispensable à la « refondation », dont le maintien au pouvoir serait largement réclamé par les populations, est déjà activement promu par des membres du gouvernement et d’innombrables comités de soutien.
Le retour à une gestion étatique des urnes, ajouté à une éventuelle candidature du président de la transition, fait penser donc au scénario d’une légitimation électorale de l’actuel pouvoir militaire. Une perspective qui, aux yeux de maint observateurs, menacerait non seulement de perpétuer les crises institutionnelles chroniques, mais aussi d’éroder la confiance des Guinéens dans le processus démocratique lui-même.
Si la CENI n’a jamais été une panacée, au vu des dysfonctionnements passés, sa suppression au profit du ministère de l’Administration du territoire suscite cependant crainte et méfiance dans la classe politique.
L’argument souvent avancé est l’exemple sénégalais, où la Direction des élections du ministère de l’Intérieur, supervisée par une commission autonome (CENA), a permis plusieurs alternances pacifiques. Trois présidents en fonction battus dans des scrutins organisés sous l’égide d’un ministre de l’Intérieur qu’ils avaient nommé : Diouf en 2000, Wade en 2012 et Sall en 2024.
Cependant, ce modèle repose sur un socle démocratique solide, une culture politique de respect des institutions et un consensus minimal sur les règles du jeu électoral. En Guinée, ces conditions ne sont pas encore réunies.
Et même si on créait un organe technique de gestion des élections (OTGE), censé être équidistant du pouvoir et des partis politiques, comme recommandé lors des assises nationales, dans le climat actuel d’opportunisme et de clientélisme, cela ne garantirait en rien l’indépendance recherchée si ses membres sont nommés par l’exécutif.
L’amertume est d’autant plus grande que cette transition, placée sous le signe de la refondation, aurait dû être l’occasion d’instaurer un système électoral neutre, fiable, transparent et pérenne.
Un tel système aurait permis de renforcer la confiance des citoyens, d’assurer une alternance démocratique réelle sans qu’une limitation des mandats ne soit nécessaire, et aurait coupé ainsi l’herbe sous le pied des futurs adeptes des coups d’État.
L’équation électorale guinéenne semble aujourd’hui insoluble : comment garantir des élections crédibles, transparentes et apaisées dans un contexte où l’exécutif contrôle l’organisation, où la supervision indépendante est incertaine, et où le chef de la transition pourrait se présenter comme candidat ? La réponse à cette question cruciale dépendra des actes concrets posés par les autorités dans les semaines et mois à venir. Elle déterminera si la Guinée s’achemine vers une sortie de crise démocratique ou vers une nouvelle impasse institutionnelle. C’est la crédibilité même de la transition qui est ainsi en jeu.