Censure

Satire à vue : Rien à faire, j’y suis et j’y reste

Quatre lettres, un seul mot : RIEN. C’est tout ce que le roi de France, Louis XVI, avait inscrit dans son registre de chasse ce matin du 14 juillet 1789. Loin de se douter que c’était lui le gibier de la « battue » qui s’annonçait, ignorant sans doute que cette journée allait bouleverser à jamais son destin. Les rues de Paris s’apprêtaient à s’embraser, déclenchant une série d’événements qui scelleraient le sort du monarque et de la reine Marie-Antoinette. Ce serait le début d’une descente aux enfers inexorable, dont l’ultime chapitre, quelques années plus tard, s’écrirait tragiquement sur la place de la Révolution (aujourd’hui place de la Concorde), sous le couperet de la guillotine.

Comme quoi, dans la vie des monarques, présidents et autres maîtres supposés du monde, le sort aime souvent leur jouer les pires tours, au moment où ils se croient le plus à l’abri, confortablement installés sur leur trône ou dans les fauteuils moelleux de somptueux bureaux. À l’image de Nicolas II, le dernier tsar de Russie, si sûr de son pouvoir qu’il ne vit rien venir, jusqu’à ce qu’une révolution raye son nom de la liste des vivants. Ou encore de Salvador Allende, président chilien, qui croyait gouverner paisiblement avant que le militaire Pinochet ne lui rappelle brutalement combien le siège présidentiel peut être instable. Sans oublier le roi Farouk d’Égypte, renversé comme un pion sur l’échiquier du Moyen-Orient, ou l’empereur Haïlé Sélassié (Ras Tafari avant son intronisation) d’Éthiopie, convaincu que les sanctuaires ancestraux protégeraient un règne qu’il croyait éternel. Les exemples abondent. On pourrait croire que c’est dans les palais que l’expression « la tempête après le calme » prend tout son sens, là où le silence précède souvent une chute vertigineuse.

On dit que « Jupiter rend aveugle celui qu’il veut perdre ». Les avis sur la forme des présidents Paul Biya et Alassane Ouattara restent partagés. Eux, encouragés par une poignée de courtisans, se targuent d’être « bon pied bon œil », tandis que tout le monde pense qu’il est grand temps pour eux de s’offrir une retraite dorée. Pourtant, même s’ils croulent visiblement sous le poids de l’âge et traînent des ennuis de santé évidents (le premier est nonagénaire et le second octogénaire), ils s’imaginent voir plus loin que tout le monde et savoir mieux que quiconque où mettre les pieds, voire comment marcher sur des œufs.

Lorsqu’ils posent un regard dédaigneux autour d’eux, ils ne distinguent aucune personne digne de leur succéder, ni au sein de leur famille politique, ni dans l’opposition. Ce manque s’explique dans leur entendement soit par un manque de compétence ou d’expérience, soit par une loyauté douteuse, liée à la crainte d’une reddition des comptes après leur règne.
Évidemment, avec le culte de la personnalité et le déni de démocratie interne qui gangrènent la plupart de nos partis politiques, il est difficile de descendre de sa bulle et de faire preuve d’humilité, de réalisme.

Pour certains thuriféraires, l’occupant du palais de l’Unité d’Étoudi, qui est devenu par la force des choses une sorte de maison de retraite VIP, Paul Biya serait la réincarnation du prophète Moïse. Pourtant, après 42 années de règne, la même durée que le voyage biblique, la « terre promise » au cœur de l’Afrique, sous sa gouvernance, présente plutôt une image désastreuse sur tous les plans.
Quant au président Ouattara, depuis le décès de l’ancien Premier ministre Gon Coulibaly, à qui il devait transmettre le flambeau en tant que candidat du RHDP en 2020, il cherche toujours le visage de son éventuel successeur.
Pour justifier son reniement à la promesse de ne pas se présenter, il a trouvé une formule : « (…) les années passées à la tête de notre pays m’ont fait comprendre que le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi. » Moins sincère peut-être mais plus élégante que celle de Wade, lorsqu’il briguait un mandat de trop : « C’est moi qui l’avais dit, et je le retire ! » Qui disait déjà que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » ?

Nos gérontocrates tiendront-ils bon jusqu’à leur dernier souffle, ou verront-ils leur tentative de présidence à vie contrariée, comme cela s’est déjà produit ailleurs ?
En tout cas, de telles attitudes ne peuvent qu’apporter du grain à moudre dans le camp de ceux qui y voient la justification de la résurgence des coups d’État sur le continent. On imagine d’ores et déjà de petits galonnés dans leur coin en train de se faire des idées…

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