Censure

Crise de liquidité : bienvenue au pays des économistes de caniveau (Par Ousmane Boh Kaba)

Depuis plusieurs semaines, nous faisons la queue devant les banques et les distributeurs. Pas pour retirer des millions, juste pour accéder à notre propre argent. Une pénurie de billets dans un pays qui imprime sa propre monnaie : voilà le paradoxe grotesque. Ce n’est pas seulement une crise de liquidité, c’est une crise de gouvernance… et de bon sens élémentaire.

L’État aligne les promesses, les communiqués et les explications techniques. Mais pendant ce temps, notre économie s’étouffe. Les commerçants survivent au jour le jour, les salaires stagnent, et nous jonglons pour payer l’hôpital ou l’école en petites coupures. Comment, en 2025, peut-on manquer de billets pendant des semaines sans qu’un seul responsable ne démissionne ?

Cette crise n’est pas une surprise. Elle révèle ce que tout le monde savait déjà : nous sommes prisonniers de l’argent liquide. Tant que l’État continue de payer ses agents en liasses froissées, que les marchés fonctionnent au rythme des sacs de billets, et que le numérique reste un luxe réservé aux urbains connectés, nous resterons bloqués dans un système archaïque, corrompu et vulnérable.

Le plus scandaleux ? L’improvisation permanente. Où est le plan national de paiement numérique ? Au Ghana, le système Mobile Money Interoperability permet depuis 2018 de transférer de l’argent entre toutes les plateformes. Au Kenya, M-Pesa a révolutionné les transactions depuis 2007. Chez nous ? On en est encore à compter les billets à la main.

Pendant ce temps, de nouveaux billets fleurissent : 5 000, 10 000, 20 000… bientôt 100 000 ? Une fuite en avant qui aggrave l’inflation, la corruption et le crime organisé. À qui profite ce système ? Peut-être à ceux qui préfèrent l’opacité à la transparence…

Certes, le mobile money existe. Mais pour des millions de personnes, c’est un service de luxe. Quand transférer 100 000 GNF coûte 5 000 GNF, c’est toute une partie de la population qu’on exclut. Les opérateurs ont transformé un outil de modernisation en machine à cash, avec des frais exorbitants. Résultat ? On doit payer… pour pouvoir payer.

Il est temps de briser les chaînes du cash. Chaque citoyen devrait avoir un compte mobile gratuit et sécurisé, lié à son identifiant national unique. Des transferts sans frais abusifs pour les petites transactions. Un État qui anticipe au lieu de gérer les crises à coup de communiqués. L’argent ne doit pas circuler seulement quand ça enrichit les puissants. Le paiement numérique ne doit pas être un privilège, mais un droit.

Aujourd’hui, c’est le cash qui manque. Demain, ce sera la confiance. Et sans confiance, aucune économie ne tient.

Oui, nous avons des docteurs en économie, des diplômes prestigieux, des experts qui parlent dans les séminaires. Mais dans la vraie vie, nous voulons juste retirer notre argent sans faire la queue comme des mendiants. Peut-être est-il temps que ces grands théoriciens descendent de leurs amphithéâtres – Harvard, la Sorbonne, Paris-Dauphine – et écoutent ceux qui vivent l’économie réelle : les chauffeurs qui passent des heures à chercher de la monnaie, les marchandes qui refusent des ventes faute de billet…

Alors la prochaine fois qu’un « économiste de caniveau » viendra nous expliquer doctement les vertus du cash ou les difficultés techniques de la modernisation, rappelons-lui simplement ceci : pendant qu’ils débattent dans leurs conférences climatisées, le Ghana et le Kenya ont déjà résolu le problème.

La vraie question n’est pas technique, elle est politique. Voulons-nous vraiment changer les choses, ou continuer à faire semblant en imprimant des billets toujours plus gros ? Le choix est simple : soit nous entrons enfin dans le 21ème siècle, soit nous resterons le pays où l’on fait la queue pour accéder à son propre argent, sous le regard complice de ceux qui profitent du système.