La scène se répète. Confrontés à une situation qui étrangle ménages, entreprises et institutions, les responsables politiques et monétaires tentent de rassurer par des explications simplistes. Lors d’une récente conférence de presse, le ministre, porte-parole du gouvernement Ousmane Gaoual Diallo a affirmé que la crise de liquidité n’était ni économique ni structurelle, mais simplement le reflet d’une ‘‘inquiétude’’ des Guinéens qui préféreraient conserver leur argent à domicile plutôt que de le déposer dans les banques. Avant lui, la Banque Centrale elle-même avait avancé un argument similaire, parlant d’une thésaurisation massive des billets en circulation, évaluée à 94 %.
À première vue, ce raisonnement pourrait sembler cohérent. Mais il se heurte à une évidence : si les Guinéens détenaient réellement autant d’argent liquide chez eux, ils ne se précipiteraient pas aux guichets des banques pour tenter de retirer ce qu’ils ont déjà. Le paradoxe saute aux yeux. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas l’argent détenu par les citoyens, mais l’argent disponible dans le circuit bancaire, là où il devrait naturellement circuler.
Si les Guinéens détenaient réellement autant d’argent liquide chez eux,
ils ne se précipiteraient pas aux guichets des banques pour tenter de retirer ce qu’ils ont déjà
Les chiffres le confirment : loin de refléter un déficit de bancarisation, la situation actuelle intervient dans un contexte de progression notable. Selon la Banque mondiale, le taux de bancarisation en Guinée est passé de 12,7 % en 2012 à plus de 16 % en 2015, soutenu par l’essor des services numériques. Un magazine spécialisé évoque même une évolution de 7,6 % en 2007 à 30 % aujourd’hui, portée par le mobile money et les institutions de microfinance. Si la thésaurisation devait être la cause principale, la crise aurait éclaté bien plus tôt, à l’époque où les Guinéens n’avaient pas accès à ces solutions.
Quelle est alors l’origine de la crise ?
La vérité, plus difficile à admettre, est que cette crise trouve son origine dans une gestion approximative de la Banque centrale. Faute de planification et d’anticipation, l’institution s’est laissée surprendre par une demande de liquidités qu’elle n’a pas su maîtriser. Les caisses de billets fraîchement arrivées en témoignent : on cherche à éteindre un incendie qui aurait pu être évité par une gestion rigoureuse des flux monétaires.
Or, dans un secteur aussi sensible que la monnaie, l’erreur n’est pas sans conséquences. La confiance du public, pilier essentiel de la stabilité financière, est aujourd’hui sérieusement entamée. Quand les citoyens doutent de la capacité de leur banque à leur restituer leur propre argent, c’est tout le système financier qui vacille.
Autant dire que la Banque centrale peut importer autant de billets qu’elle le souhaite, mais elle ne résoudra pas l’essentiel : la défiance généralisée. Restaurer la confiance exige plus que des discours et des cargaisons de liquidités. Cela suppose une gouvernance transparente, une communication claire et surtout une planification crédible, capable de montrer que les erreurs du passé ne se répéteront pas.
Car les spécialistes nous le disent : la monnaie, au-delà de sa valeur faciale, est d’abord une affaire de confiance. La Guinée vit aujourd’hui la preuve éclatante que lorsque celle-ci est brisée, il ne suffit pas de pointer du doigt les citoyens. Il faut commencer par regarder du côté de ceux qui avaient la responsabilité d’assurer la stabilité monétaire du pays.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com