Censure

Tribune : Tigre de papier, roi d’un soir

Être élu ou déjà accompli avant d’accéder à une haute fonction dans l’appareil d’État permet d’éviter de tomber dans le néant ou sombrer dans  la dépression quand sonne l’heure de la disgrâce. C’est lorsqu’on passe du bas de l’échelle au sommet de la pyramide, sans transition ni escale, que l’on se retrouve  dans l’insécurité permanente d’être débarqué, dans l’angoisse du lendemain, conscient de tout devoir au hasard et de rester tributaire de mère Providence. Fragile et vulnérable, on voudrait que le temps suspende son vol et espère que la Nature et Dieu s’accordent à ses peurs et attentes, pour ne pas dire épousent ses moindres desiderata.

Certains commis de l’État, certains fonctionnaires, aiment à remplacer les autres et se bousculent pour prendre leur place, mais n’acceptent pas qu’on leur succède ou qu’on leur ravisse leur maroquin. L’alternance, qui pourtant leur a profité, leur devient soudainement insupportable. Ils oublient qu’ils passeront, comme ceux qui les ont précédés dans leurs fonctions du moment. C’est d’abord « Ôte-toi de là que je m’y mette », puis « J’y suis, j’y reste ». Comme pour paraphraser l’artiste Salif Keïta : « Moi, pas bouger, pas moyen bouger ».
Pour survivre et continuer à jouir de leurs privilèges sans limite ni fin, ils ne reculent devant rien, prêts à marcher sur tout le monde et à tirer sur tout ce qui bouge et semble menaçant. Ils se méfient même de leur ombre.
Carriéristes assoiffés de pouvoir, ils peuvent donner tous les gages qu’ils veulent, s’en prendre à la terre entière, se livrer à toutes les contorsions, cependant ils ne seront pas éternels à leur poste et ne peuvent prétendre à l’immortalité.

Un homme qui, toute sa vie, ne s’est jamais présenté en son nom devant le peuple pour solliciter ses suffrages, qui n’a jamais connu la joie d’être élu par ses compatriotes, et qui obtient un poste inespéré à l’âge de la retraite, sans effort particulier ni contrepartie électorale, veut maintenant crier plus fort que tous, y compris plus fort qu’un ancien chef d’État ou qu’un politique adulé par de larges franges de Guinéens et ancien candidat redouté de tous ses adversaires.
Ce « parachuté » mord la main qui l’a nourri et piétine son patron d’hier. Ce ne sont pas le mentor ou le leader qui ne sont plus écoutés, c’est lui qui prêche dans le désert, sans réaliser qu’il a tout perdu, qu’il est devenu la risée de tous et qu’il n’a jamais été qu’un tigre de papier. Il rappelle ce chevalier qui continuait à se battre aux portes de Jérusalem sans savoir qu’il était déjà mort. Et dire qu’il fut l’un des plus grands donneurs de leçons, lui qui, après avoir proclamé son attachement à des valeurs sacrées, ne prêche plus que pour sa chapelle. Le passé est oublié et profané, l’avenir insulté et mis entre parenthèses.

PARACHUTÉ SANS LES URNES, ARROGANT SANS ELECTEURS

Un Président élu, réélu, et un homme plébiscité à plusieurs reprises, qui, lorsqu’il était Premier ministre, n’était pas voué à inaugurer des chrysanthèmes, sont au-dessus de la mêlée et des acteurs périphériques.
Populaires et bien implantés dans le pays, ils ne peuvent se sentir vexés ni dégradés par des propos dictés par l’instinct de survie ou la soif de pouvoir.
Un personnage sans gloire électorale, sans performance politique avérée, jamais écouté ni suivi, ne peut impressionner ni ébranler un animal politique et encore moins une fusée électorale. Celui qui s’est toujours noyé ne peut moquer ceux qui ont atteint les rivages. On sait bien qui est l’éternel naufragé et paria de l’échiquier politique national. Le Président renversé aime d’ailleurs à répéter que « le crachat du crapaud ne peut ternir la blancheur de la colombe ».

L’image de la grenouille qui se prend pour un bœuf, dans une fable de La Fontaine, colle parfaitement à la mentalité d’un grand nombre de compatriotes et campe au mieux le paysage humain et politique du pays. On peut renverser la pyramide des valeurs et des normes, « fabriquer » des destins, arracher des nominations imméritées et miraculeuses, imposer des carrières pompeuses, mais on ne peut censurer ni museler le peuple, ni manipuler sa conscience, encore moins lui imposer des choix douteux et mercantiles.

Dévoilez-vous ! Continuez à vous défausser sur les autres, à briser les tabous et à commettre des sacrilèges ! Dieu jugera, le peuple reconnaîtra et élèvera les siens. En attendant, vous devriez méditer cette  réflexion du philosophe allemand Nietzsche : « Il vaut mieux être à la périphérie de ce qui s’élève qu’au cœur de ce qui s’effondre ».

Voilà où le bât blesse pour un béni-oui-oui démasqué comme un homme à deux visages, qui séduisait par ses propos dans l’opposition mais s’est disqualifié par ses actes et prises de position une fois aux affaires.
Triste destin pour un pitoyable sire !

Tibou Kamara