Vous avancez masqué depuis si longtemps que vous avez fini par croire que le masque est un visage. Toujours tapi, jamais loin. On vous croit tombé, vous reparaissez. On vous croit fini, vous rouvrez le dossier. Vous ne gouvernez pas, vous planez. Vous ne bâtissez pas, vous parasitez.
Votre carrière n’est pas politique, elle est météorologique. Vous ne servez pas la Guinée, vous la traversez comme une pluie capricieuse. Un jour bruine, un autre cyclone. Rarement éclaircie. Vous ne luttez pas, vous flottez. Vous ne rêvez pas, vous recyclez. Vous n’avez pas de cap, seulement des courants d’air.
Vous avez tenu la main du vieux Conté, chuchoté à Dadis, cajolé Konaté, ensorcelé Alpha Condé, puis fui dès que le vin tournait au vinaigre. Chez vous, la loyauté est une valise à roulettes, toujours prête à changer de chambre. Vous êtes le seul Guinéen à avoir fait de la trahison une spécialité nationale.
Vous n’êtes pas Tierno Monénembo. Lui, constant comme une boussole, n’a jamais troqué ses convictions contre un strapontin. On l’invite à l’Élysée, il ose dire : « Je ne mange pas avec ceux qui mangent l’Afrique. » Voilà la différence entre une conscience et une carrière. Là où lui dresse des murailles de dignité, vous ne dressez que des passerelles pour vos fuites. Là où lui écrit pour libérer, vous écrivez pour réapparaître.
Aujourd’hui, vous écrivez. Quand on n’a plus de tribune, on se fabrique un écho. Vous jouez les veilleurs solitaires mais vos lampes n’éclairent que vos cicatrices. Vous prétendez avertir le pouvoir, mais en vérité vous rasez les murs, prêt à bondir dès que l’appel du palais retentit.
Votre indignation est un costume élimé, ressorti à chaque coup d’État. Vous vous refaites une virginité à chaque rupture. À chaque crise, vous êtes déjà dans le couloir, cravate ajustée, sourire ciré, discours sous le bras. Parrain de toutes les transitions, jamais élu mais toujours là, comme cette poussière qu’aucun balai n’emporte.
Vous parlez de réconciliation comme d’autres vendent des moustiquaires trouées, avec aplomb mais sans garantie. Quand le peuple tombe, vous grimpez. Quand l’histoire vacille, vous négociez. Vous êtes l’ombre qui s’invite au banquet, jamais le pain qui nourrit.
Vous croyez que la Guinée a la mémoire courte. Détrompez-vous. Les peuples peuvent se fatiguer, mais l’Histoire, elle, ne dort pas. Elle se souvient des contorsionnistes. Elle se moque des équilibristes. Elle finit toujours par juger les faiseurs d’ombre qui se prennent pour des soleils.
Votre nom ne restera pas dans les fondations de la République, mais dans ses interstices. Vous serez cette note de bas de page que l’on lit avec un sourire amer. On ne vous comptera pas parmi les bâtisseurs, mais parmi les figurants, ces silhouettes pressées qui traversent la scène sans jamais oser porter le décor.
Car la Guinée n’a pas besoin de vos volte-face. Elle a besoin de voix claires, de mains calleuses, d’épaules solides. Pas de danseurs entre les colonnes, mais de bâtisseurs qui posent les pierres une à une. Elle a besoin de convictions, pas de manœuvres. D’hommes debout, pas d’ombres rampantes.
Un jour, votre histoire sera écrite. Non comme celle d’un homme d’État, mais comme celle d’un illusionniste en quête de public. Une biographie en pointillés, faite d’entrées furtives et de sorties bien négociées. Et ce jour-là, vous saurez que les peuples ne pardonnent jamais aux girouettes, même quand le vent les a portées loin.
Signé :
Un Guinéen qui préfère les racines aux voltiges,
les bâtisseurs aux prestidigitateurs,
et les convictions aux manœuvres.
Ousmane Boh KABA