Hier, 2 octobre 2025, la Guinée a célébré le soixante-septième anniversaire de son indépendance. Dans les rues de Conakry, et un peu partout dans le pays, l’effervescence était palpable, des t-shirts aux couleurs nationales étaient arborés avec fierté. Cette fête commémore un acte fondateur : le « Non » historique du 28 septembre 1958 à la Communauté française, un vote audacieux qui fit de la Guinée la première colonie française d’Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance. Si la figure de Sékou Touré, considéré comme l’artisan principal de ce « Non », domine la mémoire collective, un pan méconnu de l’histoire de la naissance institutionnelle de la République porte, lui, un autre nom : celui de Saïfoulaye Diallo.
Au lendemain du référendum, la Guinée indépendante n’existait encore que sur le papier. Il fallait la bâtir, lui donner des institutions, et ce en un temps record. Dès le lendemain du 28 septembre, l’Assemblée territoriale se transforme en Assemblée constituante. Saïfoulaye Diallo, qui en était déjà le président, est naturellement reconduit à sa tête. De ce poste stratégique, il allait signer, en l’espace de quatre mois, une série d’actes fondateurs qui donnèrent corps à la nouvelle nation.
C’est par sa voix que la République de Guinée est officiellement proclamée le 2 octobre 1958. Ce même jour, il désigne Sékou Touré pour former le gouvernement intérimaire, lui confiant la lourde tâche de piloter la transition.
En novembre, sous l’égide de Saïfoulaye Diallo, l’Assemblée adopte la Constitution. Celle-ci prévoit dans un premier temps un Président du Conseil pour gérer les affaires courantes. Le 15 novembre, Diallo soumet et fait valider par l’Assemblée la candidature de Sékou Touré à ce poste.
Ultime acte de cette construction institutionnelle, le 16 janvier 1959, Saïfoulaye Diallo fait adopter l’octroi officiel du titre de Président de la République à Sékou Touré. Le processus prévoyait une transition avant une élection au suffrage universel, qui n’interviendra finalement qu’en 1961.
Qui était cet homme qui orchestra, dans l’ombre, la mise en place de l’État guinéen ? Dès 1948, le natif de Diari (Labé) était élu secrétaire politique (numéro deux) du Parti Démocratique de Guinée (PDG), placé sous la direction de Sékou Touré, son secrétaire général. Cette collaboration marqua le début d’une carrière politique exceptionnelle et d’un compagnonnage emblématique.
Fort d’une riche expérience comme membre de l’Assemblée nationale française de 1956 à 1958, et président de l’Assemblée territoriale de Guinée, il maîtrisait parfaitement les arcanes du pouvoir législatif et l’art de l’élaboration des lois.
Après l’indépendance, il continua de jouer un rôle clé, occupant des postes ministériels stratégiques, notamment aux Finances et aux Affaires étrangères, et fut souvent présenté comme le numéro deux de l’État durant les premières années de la République. Son nom était alors fréquemment associé à celui du Président Ahmed Sékou Touré, comme dans le « chœur PDG », une ode au parti unique par l’ensemble instrumental et choral sous la direction du célèbre Sory Kandia Kouyaté.
Le contexte de ces manœuvres institutionnelles fut celui d’une rupture violente avec la France. Le « Non » de 1958 déclencha en effet une réaction immédiate et brutale de la métropole : rappel de tous les fonctionnaires et cadres français, plongeant l’administration et l’économie dans le chaos ; retrait des équipements et supports techniques, paralysant les infrastructures et les services ; suppression de toute aide au développement, provoquant un effondrement financier et un isolement international ; interception de cargaisons de riz, créant un risque de pénurie alimentaire et de crise humanitaire…
Cette situation d’urgence a sans conteste influencé la rapidité et la nature des décisions prises par Saïfoulaye Diallo et son assemblée. Face au vide laissé par les Français, la priorité était de proclamer la souveraineté de l’État et de légitimer un pouvoir exécutif capable de faire face à la crise, ce qui explique la désignation de Sékou Touré sans élection populaire immédiate.
À son décès en 1981, des funérailles nationales furent célébrées en hommage à l’ampleur de son héritage politique et national. Cependant, avec le temps, son souvenir s’est atténué dans la mémoire collective, éclipsé par la personnalité marquante du grand Syli.
Redonner à Saïfoulaye Diallo sa place dans l’histoire, ce n’est pas diminuer le rôle de Sékou Touré, c’est comprendre que la fondation d’un État moderne est toujours, en quelque sorte, une œuvre collective. Saïfon, comme aimaient l’appeler les intimes, fut l’homme de la légalité républicaine, celui qui, par sa maîtrise des institutions et son sens de l’histoire, a transformé la victoire symbolique du « Non » en une réalité étatique viable.
En ce 67e anniversaire, se souvenir de lui, c’est honorer la complexité et la richesse de l’histoire de la Guinée, au-delà des figures uniques.
Top Sylla