
L’incendie survenu le 3 octobre 2025 au port de pêche Nènè de Kamsar, dans la préfecture de Boké, constitue un signal d’alarme majeur pour la sécurité maritime et portuaire guinéenne. Selon les informations publiées par plusieurs sites d’information, le feu, parti d’un court-circuit électrique au niveau d’une installation du réseau de l’EDG, s’est propagé rapidement aux hangars contenant des moteurs de pêche et des stocks d’essence. Plus de quarante moteurs ont été réduits en cendres, et les pertes économiques se chiffrent à plusieurs dizaines de millions de francs guinéens.
Cet incident n’est pas seulement un accident isolé : il traduit une faible maîtrise des risques technologiques et énergétiques dans les zones portuaires artisanales, où cohabitent des infrastructures précaires, des sources d’énergie non sécurisées et des produits hautement inflammables. La cinétique du feu observée à Nènè (propagation rapide, extension horizontale dans un milieu dense, absence de confinement initial) illustre une absence de dispositif de première intervention adapté au contexte maritime.
Analyse technique du risque portuaire artisanal
Les ports artisanaux guinéens, notamment ceux de Conakry, Boulbinet, Kamsar, Kaporo, Koukoudé et Dubréka, partagent une configuration commune :
- forte concentration de moteurs thermiques et de carburant (essence et gasoil) stockés à même le sol ;
- installations électriques non conformes et souvent improvisées ;
- hangars construits en matériaux combustibles (bois, tôles, plastique) ;
- absence de réseau d’eau sous pression ou de point de pompage dédié ;
- manque de formation des usagers à la prévention incendie.
Ces éléments constituent des facteurs aggravants de risque, susceptibles d’entraîner une réaction en chaîne (inflammation des moteurs, explosion de carburant, propagation aux habitations riveraines). L’incendie de Nènè, en détruisant des biens de production essentiels, a également révélé la vulnérabilité socio-économique des communautés de pêcheurs, directement dépendantes de la continuité de leurs activités.
Déficit structurel de la réponse opérationnelle
En matière d’incendie portuaire, les premières minutes sont déterminantes : l’attaque initiale du feu, le confinement des produits inflammables et la ventilation contrôlée des espaces sinistrés doivent intervenir avant que la température de flamme ne dépasse les seuils critiques.
Or, dans la majorité des ports guinéens :
- il n’existe pas de brigade nautique d’intervention rapide ;
- les engins terrestres des sapeurs-pompiers ne disposent pas d’accès fonctionnels jusqu’aux zones d’appontement ;
- les moyens hydrauliques sont inadaptés à un feu sur ou au bord de l’eau.
Ces lacunes se traduisent par des temps d’intervention trop longs, des pertes totales au lieu de sinistres maîtrisés, et un risque accru pour les intervenants eux-mêmes. Le cas de Kamsar confirme la nécessité d’un corps spécialisé, doté d’équipements amphibies, de pompes d’aspiration maritime et de capacités de lutte simultanée sur plusieurs fronts.
Pourquoi créer un Groupement Spécial de Marins-Pompiers (GSMPG) ?
La création d’un Groupement Spécial de Marins-Pompiers de Guinée (GSMPG) s’inscrit dans une logique de sécurité intégrée du domaine maritime et fluvial national. Cette unité, à vocation civile et technique, pourrait être placée sous la tutelle de la Protection Civile, avec un rattachement opérationnel au ministère chargé des Transports maritimes.
Ses missions principales seraient :
- La prévention et la surveillance des installations portuaires et côtières ;
- L’intervention en mer, sur les fleuves et dans les zones portuaires lors d’incendies, explosions, pollutions ou chavirements ;
- Le contrôle technique des dispositifs électriques, carburants et stockages dans les ports artisanaux ;
- La formation et la certification des exploitants portuaires et des pêcheurs à la sécurité incendie et au secours nautique ;
- L’appui technique aux dépôts d’hydrocarbures et terminaux miniers à haut risque (Kamsar, Sangarédi, Conakry, Konta).
La doctrine d’emploi du GSMPG devrait s’inspirer des modèles éprouvés de Marseille (France) et d’Abidjan (Côte d’Ivoire), mais adaptée au contexte guinéen : moyens légers, modularité, polyvalence et ancrage communautaire.
Architecture opérationnelle et couverture territoriale
Le dispositif proposé pourrait reposer sur trois composantes :
- Un Centre national de commandement maritime à Conakry, chargé de la coordination, de la veille et de la formation.
- Deux bases régionales d’intervention : à Kamsar (couvrant le Nord-Ouest et les ports miniers) et à Benty (couvrant le Sud-Ouest et la frontière maritime).
- Des brigades fluviales intégrées sur le Niger (Kouroussa), la Konkouré (Kindia) et le Milo (Kankan).
Chaque base devrait être équipée de :
- vedettes incendie multifonction (pompes de 1 000 à 3 000 L/min) ;
- unités de secours subaquatique et de reconnaissance ;
- systèmes de mousse et émulseurs adaptés aux feux d’hydrocarbures ;
- drones de surveillance thermique ;
- réservoirs flottants et barrages anti-pollution.
Une telle infrastructure permettrait de réduire le temps moyen d’intervention à moins de 15 minutes sur les principales zones littorales, contre plus d’une heure actuellement.
Approche intégrée : de la réaction à la prévention
L’expérience internationale montre qu’en milieu portuaire, 80 % des sinistres majeurs sont évitables par une politique préventive rigoureuse : contrôles périodiques, formation, simulation d’exercices conjoints, certification des installations électriques.
Le GSMPG pourrait piloter un Programme national de prévention du risque portuaire, articulé autour de quatre axes :
- Audit et cartographie des risques dans les ports et débarcadères ;
- Formation-sensibilisation des pêcheurs, dockers et techniciens ;
- Mise en conformité électrique et carburant des installations ;
- Création de cellules de veille locale associant les autorités communales et les usagers.
Le coût de la prévention est dérisoire comparé à celui de la reconstruction post-sinistre. L’incendie de Nènè, à lui seul, a causé des pertes estimées à plusieurs centaines de millions de francs guinéens, soit l’équivalent de l’équipement initial d’une petite brigade portuaire.
Tirer les leçons de Nènè
L’incendie du port Nènè ne doit pas être perçu comme une fatalité, mais comme un révélateur des fragilités du système national de sécurité maritime.
Il appelle une réponse institutionnelle forte :
- la création d’un Groupement Spécial de Marins-Pompiers,
- la mise à niveau des ports artisanaux,
- et la professionnalisation de la prévention incendie en zone littorale.
Protéger nos côtes, nos pêcheurs et nos infrastructures, c’est protéger l’économie nationale et la sécurité humaine.
La Guinée dispose aujourd’hui de l’expertise, des partenaires et du besoin manifeste pour franchir ce pas. Il est temps de le faire — avant qu’un autre Nènè ne se répète ailleurs.