« Vous savez, la politique, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent ou croient, est aussi un métier. C’est également une vocation qui exige une formation. Il faut à la fois avoir la vocation et la formation », prévenait Jacques Chirac.
Aujourd’hui, face aux inepties, aux postures suicidaires et aux propos saugrenus de ceux qui s’essayent bon an mal an à la politique, ou y entrent par effraction dans notre pays, on ne peut que lui donner mille fois raison.
Il est évident que dans la sphère publique et l’arène politique, l’apprentissage des novices est aussi laborieux pour eux que nocif pour la société. Exercer un métier pour lequel on n’est ni doué ni qualifié est une entreprise périlleuse. Que d’apprentis sorciers empêchent les Guinéens de respirer, de vivre et de dormir, tant par leurs nuisances sonores que par leurs graves atteintes à la pudeur ! Les mœurs permissives prolifèrent avec une agressivité incroyable. Les déclarations licencieuses et incongrues abondent.
Dans l’espace public, d’ordinaire sacré et réservé aux élites éclairées et aux leaders d’opinion expérimentés, pour qui le débat, voire la polémique, n’a pas de secret, ce sont les mauvaises herbes qui poussent comme des champignons. « L’esprit est comme un jardin : si tu n’y plantes pas des fleurs, de mauvaises herbes y pousseront », remarquait Victor Hugo. Avons-nous planté des fleurs pour éviter que les mauvaises herbes ne nous envahissent ?
Cette question vaut autant pour le champ politique que pour la pyramide administrative. Ceux qui exercent des responsabilités publiques et gravissent les plus hautes marches de l’État ont, pour la majorité d’entre eux, l’air « d’Obélix tombé dans la marmite du druide ». À l’image du héros de bande dessinée qui est “tombé dans la potion
magique étant petit”, ils bénéficient d’un pouvoir ou d’un statut qu’ils n’ont pas consciemment cherché ou mérité. Leur position semble être le fruit du hasard ou d’un coup de chance, et non celui d’une compétence acquise par l’étude et l’expérience, donnant cette impression déroutante d’un pouvoir non maîtrisé, presque accidentel.
Le mal guinéen se résume à ceci : l’homme qu’il ne faut pas, placé où il ne faut pas, au mauvais endroit, au mauvais moment. Autant dire la mauvaise personne. Le hasard et la « chance » sont invoqués plus que les aptitudes et les parcours. Beaucoup se trompent de vocation et se retrouvent dans des carrières et des vies qu’ils ne maîtrisent pas, auxquelles ils ne sont ni préparés ni destinés.
La politique illustre mieux que tout autre domaine le mélange des genres et la confusion des rôles. On disait de l’armée, sous nos cieux, qu’elle était le refuge des ratés ; désormais, la politique est le terrain de jeu favori des aventuriers et des tonneaux vides. Il n’y a plus ni filtres ni tabous. C’est la grande cour de récréation. Aussi la politique a-t-elle perdu ses lettres de noblesse, et ceux qui en sont passionnés trouvent peu de grâce aux yeux d’une opinion qui la voit comme une entreprise crapuleuse.
Chez nous, la perception de la politique et le regard porté sur ceux qui s’y engagent sont dégradants et avilissants. À juste titre, car c’est plus souvent une “nécessité alimentaire” qu’un engagement noble et gratifiant. La rupture annoncée bute sur l’impossible reconversion des mentalités. La société refuse le changement. C’est le règne du statu quo, avec des discours figés et des pratiques qui reviennent toujours au galop.
ÊTRE CANDIDAT, UN ACTE LIBRE ET NON CONTRAINT
Les régimes finissent toujours par tomber, et sur leurs ruines, la démagogie refleurit dans l’humus de ralliements systématiques et d’une culture d’obséquiosité profondément ancrée. On croirait revivre la même époque, comme si l’on se baignait plusieurs fois dans le même fleuve, témoin d’une résurrection du pouvoir déchu avec ses ombres, ses fantômes et son cortège de revenants et d’anciens prophètes. Le vent souffle, mais l’aiguille de l’horloge ne tourne pas. Il y eut une destitution, mais la véritable succession attend toujours.
Tous les chefs d’État ont eu leur moment de gloire et leur état de grâce, bénéficié d’une allégeance avant que les nuages ne s’amoncellent au-dessus de leurs têtes. Chacun garde le pouvoir aussi longtemps que les dieux le veulent, que la nature le permet, et que le peuple, souvent résigné, se montre accommodant. Les Guinéens signent en blanc des chèques à leurs dirigeants et prennent chroniquement leur mal en patience.
Qu’à cela ne tienne !
L’aspiration à devenir Président de la République n’est ni d’ordre divin ni un engagement collectif. Elle est très personnelle, discrétionnaire et intime : c’est d’abord l’affaire de celui qui ambitionne de présider aux destinées d’une nation. Ce désir peut devenir une obsession : « J’y pense même en me rasant », a-t-on entendu dire, signe qu’il ne peut y avoir de doute ni d’hésitation dans la course au fauteuil présidentiel. Ce n’est donc pas un acte manqué, mais un choix délibéré et assumé que personne ne peut faire à la place d’un autre.
Pour être chef de l’État, que ce soit par les urnes ou par un coup de force, il faut en avoir la volonté et le dessein dans le for intérieur et la conscience profonde. On ne peut agir par délégation ou procuration. C’est une décision qui n’appartient qu’à soi.
Or, certains prétendent que l’on devient Président sous la contrainte, la menace ou l’intimidation. S’agirait-il alors de sévices ou de travaux forcés ? Si briguer la magistrature suprême dépendait du bon vouloir, des humeurs, ou de pressions et influences contraires au libre arbitre, cela voudrait dire qu’on a subi une contrainte, qu’on n’a pas pris la décision en son âme et conscience.
L’acte de candidature à la présidentielle doit émaner d’abord de la personne concernée, avant que d’autres, adhérant au projet et partageant l’ambition, n’apportent leur soutien. On ne met pas la charrue avant les bœufs. Il faut donc laisser chacun décider librement et en pleine conscience avant toute campagne.
Comme par hasard, seule la candidature de celui qui est déjà au pouvoir est sollicitée, réclamée à grand bruit, tandis que d’autres, qui se sont déclarés, ne voient ni foule ni clameurs à leur porte. Certains hommages ont des accents d’outrage, et d’autres sollicitations ressemblent à une offense au chef de l’État lui-même, dont on infantilise la fonction et qu’on expose à la vindicte publique. Assurément, il y a plus royalistes que le roi en Guinée !
Il faut respecter l’honneur du pays, la dignité de la fonction présidentielle et les règles démocratiques. Si le peuple a déjà choisi avant les urnes censées départager les candidats dans une compétition prétendument ouverte et loyale, alors organiser des élections et mener une campagne perd toute opportunité, intérêt et finalité.
Si chacun faisait ce pour quoi il est réellement compétent, le pays irait mieux, la politique retrouverait sa noblesse et nos dirigeants gagneraient la tranquillité nécessaire à une bonne gouvernance.
Tibou Kamara