L’article publié par Jeune Afrique affirmant que le Premier ministre Bah Oury aurait été choisi comme directeur de campagne du président Mamadi Doumbouya suscite la polémique à Conakry. Derrière cette ‘‘révélation’’, plusieurs observateurs soupçonnent une manœuvre politique habile, destinée à placer le chef du gouvernement au cœur du dispositif présidentiel avant même toute décision officielle.
Question no1 : est-ce une information prématurée ou un coup stratégique ? Selon JA, le général Doumbouya aurait désigné son Premier ministre, Bah Oury, pour conduire sa campagne présidentielle, assisté de Faya Bourouno, ministre du Travail et de la Fonction publique, et de Mariama Ciré Sylla, ministre de l’Agriculture. L’article précise que le gouvernement aurait été informé. Mais sur le terrain, la surprise est générale. ‘‘Je suis étonné de cette information à ce stade’’, confie un membre du gouvernement, sous couvert d’anonymat.
Pour nombre de ministres, Jeune Afrique n’a pas tant révélé une information confidentielle qu’elle n’a tenté de créer un fait accompli, plaçant le président face à une décision présentée comme déjà acquise.
Question no2 : Bah Oury, stratège ou manipulateur ? L’idée d’une instrumentalisation du média panafricain pour influencer le choix du président circule désormais dans les couloirs du pouvoir. Le premier de la Transition, fin connaisseur des rouages politiques et médiatiques, sait combien une publication dans Jeune Afrique peut peser dans les perceptions tant nationales qu’internationales.
En se présentant, accusent certains, à travers la presse, comme le choix naturel et réfléchi du chef de l’État, il s’offre un avantage considérable sur les autres prétendants – notamment Amara Camara, Ousmane Gaoual Diallo, Morissanda Kouyaté ou Mourana Soumah.
Cette manœuvre, subtile mais risquée, pourrait viser à forcer la main du président, en transformant une simple hypothèse en décision politique quasi irréversible.
Question no3 : La bataille du Foutah, clé de lecture d’une stratégie ? Toujours selon JA, la mission première de Bah Oury consisterait à mobiliser le Foutah en faveur du général Doumbouya. Cette orientation stratégique s’inscrit dans une logique d’équilibre politique et régional, mais elle divise. Certains observateurs doutent de la capacité du Premier ministre à galvaniser une base qu’il n’a jamais pleinement acquise. ‘‘Il ne s’agit pas seulement de mobiliser le Foutah, mais de convaincre tout un électorat que Bah Oury n’a jamais vraiment conquis’’, analyse un observateur politique.
Sur le terrain, les résultats mitigés du Premier ministre lors du dernier référendum alimentent le scepticisme. Pour certains, cette désignation, si elle est confirmée, serait davantage un pari sur la loyauté qu’un choix fondé sur la performance électorale.
Question no 4 : Le Président a-t-il désormais le choix ? Certains dans le gouvernement sont prudents. Un ministre reconnaît que la situation met le chef de l’État dans une position délicate : ‘‘Mais bon, je ne vois pas le président le désavouer. À ce niveau, il (Bah Oury) lui reviendra la responsabilité d’élargir et de tenir compte des personnalités politiques, et non des partisans de sa cause.’’
Ce commentaire illustre la tension entre deux approches : celle d’un cercle restreint de fidèles gravitant autour du Premier ministre, et celle, plus inclusive, prônée par une partie du gouvernement en faveur d’une campagne ouverte et pluraliste.
Question no5 : Un poste devenu symbole de pouvoir ? Le poste de directeur de campagne n’a jamais autant suscité d’appétit dans la sphère politique guinéenne. Pour Tibou Kamara, observateur du régime, cette fonction est devenue une “assurance-vie” politique.
Être choisi, c’est bénéficier de la confiance absolue du président et d’un accès privilégié aux leviers du pouvoir. Dès lors, la bataille pour ce poste dépasse la simple coordination électorale : elle engage des enjeux d’influence, d’avenir et de survie politique.
En définitive, la publication de Jeune Afrique pourrait bien avoir servi davantage les ambitions de Bah Oury que le besoin d’informer le public. Selon certains analystes, en s’imposant dans le débat médiatique comme le choix “naturel” du président, le Premier ministre aurait réussi un coup de communication majeur -plaçant Mamadi Doumbouya devant une équation politique complexe : confirmer ou infirmer sans perdre la face.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com