Le Président Alpha Condé, de retour d’une tournée dans les garnisons militaires visant à remobiliser ses troupes et à leur remonter le moral, dans un pays où elles sont constamment en alerte en raison de menées subversives et de menaces sur la sécurité nationale, s’était retrouvé dans son bureau, au palais présidentiel, en compagnie du ministre de la Défense nationale, Dr Mohamed Diané, et de moi-même.
Après chacune de ses sorties et interventions publiques, il aimait recueillir les impressions de son entourage, proche ou éloigné, d’amis, de partenaires, voire de citoyens ordinaires qui avaient accès à lui ou que lui-même se plaisait à consulter. Ainsi était l’homme : curieux de tout et toujours enclin à sonder les autres.
Dr Mohamed Diané n’était pas du tout satisfait du chef d’état-major général des armées, le général Namory Traoré, dont il n’avait pas compris l’absence lors des visites, alors qu’il en avait bel et bien été informé. Le ministre de la Défense considérait cette attitude comme un acte d’insubordination parmi tant d’autres, et n’avait pas manqué d’évoquer, dans son élan, ses relations difficiles avec son proche collaborateur. C’était à peine s’il n’avait pas suggéré son remplacement par quelqu’un de plus coopératif, laissant toutefois au Président le soin de tirer cette conclusion, de peur d’être rabroué par lui, qui n’aimait pas paraître sous influence ou pression, ni être forcé à prendre une décision quelconque.
Le professeur Alpha Condé avait, séance tenante, contacté le général Namory Traoré pour s’étonner de son absence à ses côtés lors de sa visite dans les casernes. Le ton n’était ni autoritaire ni menaçant.
L’interlocuteur avait semblé dire qu’il n’avait pas été informé du déplacement de son commandant en chef. Dr Diané, profondément déçu par cette version des faits qui le contredisait, sachant avoir dit la vérité en affirmant avoir informé tous les chefs militaires, en particulier le premier d’entre eux, de la visite du Président de la République aux soldats, comme à chaque fois que c’était le cas, laissa échapper une moue qui disait long sur sa lassitude de devoir côtoyer un ennemi intime.
Le Président, lui, paraissait au contraire satisfait des explications fournies. Il en profita alors pour plaisanter longuement avec son chef d’état-major, tous deux détendus et hilares dans une complicité parfaite devant un ministre impuissant.
(Chapitre 1, pp 16-17)

