Censure

Grâce accordée à Dadis : la CPI partagée entre vigilance et « assurance »

En mission officielle en Guinée, une délégation du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi sa visite autour du procès des événements du 28 septembre 2009. Ce mercredi 21 mai 2025, le procureur adjoint Mame Mandiaye Niang a échangé avec la presse sur les récents développements liés à ce dossier jugé sensible.

M. Niang a évoqué les périodes d’incertitude ayant entouré certains changements au sein du gouvernement guinéen. « À chaque étape, nous faisions parfois des visites, surtout à certains moments clés. Je me souviens, quand il y a eu un changement de gouvernement avec le départ de l’ancien ministre de la Justice, j’ai effectué une mission pour nous assurer que les changements opérés au sein du gouvernement n’allaient pas affecter la bonne marche et la bonne tenue du procès. Heureusement, lorsque je suis reparti, j’étais rassuré, car c’est un collègue magistrat qui avait été nommé et qui est encore le garde des Sceaux aujourd’hui. Il m’avait assuré de la bonne continuation des choses, et cela a effectivement été le cas », a-t-il déclaré.

L’un des sujets au centre de cette visite a été la récente grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara. Une décision qui a suscité des interrogations jusque dans les cercles internationaux. Le procureur adjoint a réagi avec prudence et fermeté. « Lorsque nous avons appris cela de loin, nous nous sommes inquiétés des raisons ayant motivé cette grâce, que j’ai qualifiée de prématurée, car la procédure d’appel était en cours. J’ai immédiatement eu des communications téléphoniques avec le garde des Sceaux, ministre de la Justice. Des correspondances écrites ont également été échangées, dans lesquelles le garde des Sceaux a expliqué les motivations du gouvernement, qui ne sont pas simplement liées à l’effacement d’une sanction pénale, au regard de l’histoire d’impunité qui a marqué ce pays dans un passé récent. »

Il poursuit, détaillant les explications fournies par les autorités : « Il nous a assuré que la grâce intervenue, d’un point de vue technique, était permissible parce que le procès en appel restait en vue, mais que la personne mise en cause avait renoncé à son appel, ce qui, ipso jure, rendait la condamnation définitive. Le Premier ministre est revenu sur cela pour indiquer qu’il ne s’agissait pas ici d’effacer ou de consacrer l’impunité. Il s’agissait d’une sanction déjà établie, que la grâce ne pouvait faire disparaître dans tous ses aspects. Mais cette grâce obéissait aussi à une autre logique : qu’elle soit une logique de réconciliation ou une logique de compassion, au regard d’un état de santé précaire. »

Au-delà de cette décision controversée, le Bureau du Procureur a également pris en compte les préoccupations exprimées au niveau local. « Nous avons donc pris bonne note de tout cela et avons aussi entendu les voix exprimant une certaine angoisse quant à l’avenir. Des questions se sont posées sur le fait que cette grâce ne soit qu’un prélude à des mesures subséquentes susceptibles de vider le procès en appel de toute sa substance, si, par exemple, toutes les figures étaient graciées simplement parce que les victimes avaient été identifiées », a ajouté M. Niang.

Enfin, le procureur adjoint a insisté sur l’importance du dialogue direct avec les autorités guinéennes, qu’il considère comme un acte de confiance dans la justice locale. « L’objet de ma visite était de revenir, malgré les communications à distance, pour m’entretenir directement avec les autorités. Leur parler aussi de la voie de la transparence, de la voie de la sagesse, car j’ai été témoin et partie prenante d’une entreprise de complémentarité positive. La complémentarité positive signifie que, pour des choses dont nous pouvions nous occuper, nous avons fait le pari de les laisser aux Guinéens, qui en sont responsables au premier chef. Et tous les gestes qu’ils ont posés nous ont confortés dans la légitimité et la justesse de ce choix. Parfois vient le moment des interrogations, et dans ce cas, il est important de venir et de continuer à discuter en partenaires. C’est ce que j’ai fait. De la discussion, que ce soit avec le Premier ministre ou le garde des Sceaux, que j’ai rencontrés et avec qui je viens d’avoir un débriefing. Ce que je peux vous dire, c’est que je pars rassuré. »

Abdoul Lory Sylla pour guinee7.com