Censure

Souveraineté minière : Le cas GAC comme catalyseur d’une nouvelle ère stratégique pour la Guinée (Par Sidiki Camara)

Cette tribune va tenter de mettre en lumière, avec clarté et objectivité, comment certains acteurs étrangers prospèrent grâce à notre bauxite sans jamais envisager sérieusement d’en transformer le moindre gramme sur notre sol, au mépris de leurs propres engagements et des réglementations en vigueur.

Certes, le cas Guinea Alumina Corporation (GAC, fondée en 2001 et filiale a 100% d’EGA) est au cœur de notre analyse, car il en offre l’illustration la plus éclatante et la plus choquante. Cependant, nous savons bien que cette entreprise n’est pas un cas isolé. Depuis la création de l’unique raffinerie de Fria en 1960, force est de constater que presque toutes les entreprises minières en Guinée fonctionnent presque de la même manière, elles extraient le minerais brut et l’exportent massivement, prennent régulièrement des engagements qui ne sont jamais traduits dans les fait en matière de transformation locale.

Notre réflexion ici dépasse donc le cadre d’une société particulière ; elle interroge plus largement un modèle économique déséquilibré, entre engagements contractuels et réalités du terrain .

L’objectif est de contribuer, en tant que citoyens, à l’enrichissement de la stratégie nationale, celle portée par le Comité stratégique Simandou 2040, qui trace enfin un cap crédible vers la souveraineté industrielle que nous devrons consolider.

La proposition que nous formulons ici, sous un angle doctrinal et sémantique renouvelé, constitue simplement la poursuite d’un effort collectif et d’une ambition largement partagée par ceux qui croient profondément au potentiel minier de notre pays.

Donc, ici, nous allons dénoncer avec démonstration irréfutable, apprécier la riposte guinéenne sans complaisance et proposer avec lucidité, pour assumer pleinement et durablement notre souveraineté sans être souverainiste réactionnaire.

Entre alignement de façade et l’exportation brute maximale assumée

  1. Entre discours public apparemment aligné et consolidation de l’objectif réel

GAC, sous la houlette d’EGA, a mis en œuvre un double discours aussi habile qu’efficace. D’un côté, une communication soignée pour être parfaitement bien alignée sur la vision guinéenne, promettant développement local, investissements massifs, programmes sociaux et construction d’une raffinerie d’alumine en Guinée.

Mais en réalité, l’objectif réel de GAC est ailleurs, car depuis la signature de sa convention minière en 2004, GAC s’était engagée à construire une raffinerie d’alumine sur le sol guinéen, engagement contractuel qui justifiait une série d’exonérations fiscales et douanières tres avantageuses. 20 ans plus tard, malgré un protocole d’accord signé en 2024 pour relancer le projet, aucune raffinerie n’a vu le jour, tandis que l’entreprise continue d’exporter massivement notre bauxite à l’état brut. Ainsi, en 2023, GAC aurait exporté plus de 12 millions de tonne et en 2024 jusqu’à 14 millions de tonnes, sans qu’un acte concret ne soit posé dans le sens de la transformation locale, ce qui est en contradiction manifeste avec les principes de transformation posés par le Code minier.

Ce déséquilibre est d’autant plus frappant lorsque l’on observe que la maison mère de GAC, Emirates Global Aluminium (EGA), a su construire aux Émirats une raffinerie d’alumine ultramoderne Al Taweelah Alumina Refinery  mise en service dès 2019 avec une capacité de 2 millions de tonnes par an. EGA dispose également de deux fonderies d’aluminium primaire, à Jebel Ali et à Abu Dhabi. Nous disons tout ça pour dire que la technologie et l’expertise existent. Ce qui manque, c’est la volonté de répliquer dans notre pays ce que l’on déploie aisément ailleurs. La légitimité de la colère guinéenne se comprend donc à l’aune de ce double jeu trop simple, voir insultant.

  1. Trois leviers clés utilisés pour verrouiller le modèle

Le premier levier s’appuie sur une série d’accords bilatéraux (protection des investissements, conventions fiscales, coopérations techniques, exemptions de visas…) qui ont protéger l’entreprise de toute remise en cause.

Ensuite, le levier contractuel s’appuie sur des conventions minières opaques (convention de base), pleines de clauses suspensives et de délais extensibles, comme l’a justement dénoncé le Jean Paul Kotembedouno dans son livre. Cela permet à GAC de repousser sans fin ses engagements de transformation locale.

Enfin, le levier institutionnel, GAC semble exploiter certaines failles institutionnelles, comme la lenteur administrative, et pourrait s’appuyer sur son expérience avec les régimes successifs pour croire maîtriser « l’horloge guinéenne », en jouant sur les fragilités des transitions. Elle semble cependant sous-estimer l’ambition et la détermination de cette nouvelle autorité.

La riposte guinéenne : assumer enfin notre souveraineté minière

Face à cette situation, l’État guinéen a réagi avec fermeté et détermination. Par la voix du Général Amara Camara, ministre secrétaire général de la présidence qui a exprimé la colère et la volonté claire de l’Etat “d’assumer pleinement sa souveraineté minière”. Commençant par la dénonciation publique de l’exportation brute de la bauxite et du non-respect des engagements de GAC. Des menaces concrètes de retrait de permis ont été proférées, accompagnées d’ultimatums exigeant des plans crédibles de transformation locale. En parallèle, des partenariats avec de nouveaux acteurs, notamment chinois, ont été engagés pour la construction de raffineries.

Nous nous reconnaissons parfaitement bien dans cette riposte stratégique, qui met l’entreprise face au choix de concrétiser ses engagements ou de se voir retirer simplement son permis, tout en ouvrant la voie à une diversification stratégique des partenariats.

En tant que citoyens et intellectuels, notre devoir est d’appuyer cette vision avec lucidité et efficacité.

Pour une souveraineté minière durable : la doctrine du quasi-monopole naturel et ses applications

  1. Vers une doctrine nationale fondée sur la reconnaissance du statut de quasi-monopole naturel de la Guinée

Le concept de quasi-monopole naturel que je propose ici ne relève ni d’un slogan politique, ni d’un caprice intellectuel. Il s’inspire directement du droit de la concurrence, où le quasi-monopole désigne une situation dans laquelle un acteur occupe une position dominante sans en avoir l’exclusivité. En y ajoutant le qualificatif naturel, nous reconnaissons explicitement que cette domination découle non pas d’un avantage technologique ou financier, mais de la nature même des ressources du sous-sol guinéen, un don géologique presque unique.

C’est connu de tous, la Guinée concentre à elle seule plus de deux tiers des réserves mondiales connues de bauxite, avec une qualité exceptionnelle dont la teneur en alumine peut atteindre 65 %, une faible teneur en dioxyde de silicium, et une bonne accessibilité (souvent exploitable à ciel ouvert). Une telle combinaison est presque introuvable ailleurs sur la planète. C’est effectivement une situation de quasi-monopole naturel.

Pourtant, cette position dominante n’a jamais été assumée comme une ligne stratégique d’État. Il est temps que cela change.

La Guinée ne doit plus se contenter d’un statut de « pays producteur », interchangeable. Elle est de fait un acteur indispensable dans le secteur de l’aluminium, et doit se comporter comme tel. Ce qui pourrait lui conférer un pouvoir de négociation immense, à condition d’en prendre pleinement conscience et d’en faire une doctrine assumée.

Dans le même esprit, le gisement de fer de Simandou mérite pleinement d’être intégré à cette réflexion doctrinale. Bien qu’il ne constitue pas un quasi-monopole naturel au sens strict, ses volumes colossaux, sa qualité exceptionnelle (plus de 65 % de teneur en fer) et sa rareté dans le monde en font un actif stratégique de premier ordre, digne des plus grandes attentions en matière de souveraineté.

Par ailleurs , en tant que doctrine, la notion de quasi-monopole naturel n’exige pas nécessairement une inscription formelle dans la loi ; elle relève d’abord d’une vision stratégique d’État, appelée à orienter nos choix diplomatiques, contractuels et industriels. Elle doit s’incarner dans notre communication officielle, refléter une posture mentale affirmée, et guider notre capacité à maîtriser le calendrier et imposer notre tempo.

A travers cette orientation doctrinale, nous affirmons à nos partenaires que nous avons pleinement conscience de notre position unique sur le marché mondial. Certes, nous ne disposons pas encore de vos technologies, ni de votre capacité financière ou de votre expérience industrielle, mais nous avons les ressources elles-mêmes, et nous savons que nous sommes incontournables, notamment sur le marché mondial de la bauxite ainsi que celui de l’acier.

Il ne s’agit pas ici de céder à une tentation souverainiste réactionnaire, mais d’assumer avec lucidité une nouvelle approche, désormais, la gestion de nos ressources obéira d’abord à nos intérêts nationaux stratégiques, sans pour autant remettre en cause les intérêts légitimes de nos partenaires.

Les implications concrètes de cette nouvelle doctrine stratégique (en cours d’élaboration) feront l’objet d’un article spécifique prochainement.

  1. Renouvellement sémantique aux conséquences stratégiques (JPK)

Dans le même ordre d’idées, l’intégration de la notion de « participation souveraine » dans le Code minier guinéen, proposée et défendue vigoureusement par le Dr Jean-Paul Kotembouno, représente une rupture sémantique majeure aux implications juridiques et stratégiques profondes. JPK pourrait mieux détailler les implications juridiques de cette nouvelle notion.

Mais sur le plan stratégique, contrairement à l’expression actuelle « participation non contributive », qui sous-entend la dépendance de la présence de l’État dans le capital à la « bienveillance » des entreprises minières sans légitimité réelle, la notion de participation souveraine opère un basculement, dans la mesure où elle réaffirme que la présence de l’État dans le capital d’une entreprise exploitant une ressource naturelle ne procède pas d’un privilège gracieusement consenti, mais d’un droit fondamental, basé sur le principe de souveraineté permanente de l’État sur ses ressources naturelles.

Ce terme légitime clairement la présence de l’État dans le capital des sociétés minières, en contrepartie de la mise à disposition de la ressource naturelle elle-même, matérialisée par l’octroi d’un permis. Une légitimité internationale basée directement sur la résolution 1803 des Nations Unies de 1962.

Elle positionne l’État comme un acteur stratégique actif, garant des intérêts nationaux sur l’ensemble de la chaîne de valeur minière.

Elle constitue ainsi la première traduction formelle et concrète de la doctrine du quasi-monopole naturel, une manière pour l’État de passer d’un statut d’observateur à celui de co-acteur pleinement souverain.