Il y a des phrases qu’on n’oublie pas. Comme celle prononcée hier -lors de la présentation du rapport du FMI sur les perspectives économiques régionales de l’Afrique subsaharienne- par le gouverneur de la Banque Centrale, Karamo Kaba : ‘‘Nous n’avons pas de crise de liquidité en Guinée. Nous avons une crise de billets.’’ Une déclaration qui mérite de figurer dans les annales des euphémismes technocratiques, là où la réalité crue est polie jusqu’à devenir méconnaissable.
Car de quelle réalité parle-t-on ? Celle des citoyens qui, depuis des semaines, font la queue devant des banques qui n’ont pas grand-chose à leur donner ? Celle des commerçants, fonctionnaires et épargnants à qui l’on impose des restrictions alors qu’ils cherchent à retirer leur argent ?
Non, monsieur le gouverneur, ce que vit la Guinée est bien une crise de liquidité. Quand les banques ne peuvent plus honorer les retraits, peu importe que les fonds soient là sur un écran ou dans les bases de données de la BCRG : l’argent, pour le Guinéen lambda, est un bien tangible, palpable, qu’il faut pouvoir toucher et utiliser. En clair : pas de billet, pas d’argent. Le reste n’est qu’argutie.
Pire encore, cette crise révèle une faille abyssale dans la gestion anticipée des stocks monétaires. Car ce n’est pas un cataclysme imprévisible qui a brusquement asséché les coffres. C’est l’inertie, le défaut de planification, l’absence de pilotage. Comment expliquer qu’une institution censée anticiper les flux économiques se retrouve prise de court au point de supplier les imprimeurs de billets de ‘‘faire cela’’ – entendez : livrer en urgence 500 milliards en août, puis 1 500 en septembre, puis 700 en octobre ? L’argent viendra, oui. Mais le mal est fait.
Et le mal, il est double. D’abord, il est économique : une croissance annoncée de 6,5 % en 2025 (selon la Banque mondiale) ne sert à rien si elle n’est pas soutenue par un système bancaire fluide et fiable. Ensuite, il est psychologique : une population trahie dans sa confiance vis-à-vis des banques ne se rassure pas avec des promesses d’étalement des livraisons. Elle thésaurise. Elle se méfie. Elle se retire du circuit bancaire. Un désastre pour toute ambition de bancarisation et de transition vers le numérique.
Enfin, un dernier mot sur la forme. Le gouverneur parle, rassure, explique. Trois fois il répète : ‘‘C’est un peu compliqué.’’ Mais au fond, ce qui est compliqué, c’est surtout d’assumer. D’assumer une faute de gestion grave, qui pénalise tout un pays. D’assumer que ce n’est pas une crise sémantique, mais une crise de confiance. Et cette crise-là, hélas, aucun billet n’est encore capable de l’imprimer.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com