La Guinée vit aujourd’hui une situation ubuesque : une crise de liquidité qui empêche les citoyens d’accéder à leur propre argent, pendant que les plus hautes autorités du pays donnent des réponses contradictoires, révélant au grand jour le dysfonctionnement au sommet de l’État.
En juillet dernier, le gouverneur de la Banque centrale, Karamo Kaba, annonçait fièrement un calendrier de livraison de billets de banque, censé mettre fin à la pénurie. Août : 500 milliards. Septembre : 1 500 milliards. Octobre : 600 à 700 milliards. Un discours d’assurance. Presque rassurant. Qui se voulait la preuve d’une maîtrise de la situation. Mais nous voilà le 18 août, et les 500 milliards promis n’ont jamais franchi les frontières guinéennes. Sans explication. Sans justification. Avec, pour seule réalité, une crise qui s’aggrave chaque jour.
C’est alors que Bah Oury, Premier ministre, choisit de recadrer publiquement ‘‘son’’ gouverneur. Selon lui, le problème n’est pas d’imprimer de nouveaux billets mais de rétablir la confiance dans le système bancaire, de sécuriser les dépôts et de mettre fin à certaines pratiques dissuasives comme les Avis à Tiers Détenteur (Saisie simplifiée des comptes bancaires des contribuables sans passer par un juge). De belles mesures structurelles, certes. Mais voilà : les citoyens n’en ont cure quand ils font la queue des heures durant devant les guichets sans pouvoir toucher à une petite partie de leur propre argent. Parfois, rien. Les mesures du Premier ministre, ancien banquier, relèvent du long terme, alors que l’urgence crie au quotidien.
Il faut noter un autre scandale : comment comprendre qu’un gouverneur de Banque centrale et un Premier ministre tiennent des discours si diamétralement opposés sur une question aussi cruciale que l’accès à la monnaie ? Comment accepter que, malgré la présence régulière du gouverneur Kaba aux conseils interministériels et ministériels (hautes instances de décision), la cacophonie règne au sommet de l’État ?
Ce manque de cohérence est plus dangereux que la crise elle-même. Car il sape la confiance -confiance des citoyens envers leurs banques, confiance des acteurs économiques envers les institutions, confiance de la population envers l’État. La monnaie n’est pas seulement des billets imprimés, elle est d’abord un symbole de stabilité et de crédibilité. Quand l’un et l’autre disparaissent, il ne reste que l’improvisation, le bricolage et le discrédit.
La crise actuelle aurait pu être évitée si les commandes avaient été faites à temps. Nous l’avons dit. Nous le répétons. Elle aurait pu être atténuée si la communication avait été sincère et transparente. Mais elle est devenue un révélateur : celui d’un État qui, faute d’anticipation, condamne ses citoyens à vivre dans l’angoisse de ne pas pouvoir disposer de leur propre argent.
Tout cela sous les yeux des autorités qui réussissent l’exploit de ne jamais parler d’une seule voix, sauf quand il s’agit de vanter des succès imaginaires.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com