Censure

« Clic » ou « Génération » ? Quand l’IA redessine la photographie guinéenne

L’intelligence artificielle bouleverse les habitudes depuis un moment déjà. En Guinée, où la jeunesse s’approprie de plus en plus cet outil, le phénomène n’épargne aucun secteur, pas même celui de la photographie.

La célébration du 2 octobre, fête de l’Indépendance nationale, en a été une parfaite illustration. Cette année, de nombreux citoyens ont préféré publier sur les réseaux sociaux des photos générées par Gemini, une application d’intelligence artificielle, plutôt que de se rendre chez les photographes professionnels. Résultat : des studios habituellement bondés à cette période sont restés étonnamment calmes.

Face à cette mutation, les professionnels de la photographie plaident la résilience et appellent à l’adaptation.

« Il y a plus de crainte que de mal. » – Djiba Sovogui, Studio 2K.

Pour Djiba Sovogui, gérant des studios 2K présent depuis 2018, l’impact de l’intelligence artificielle est réel, mais pas catastrophique : « On peut dire que cela a légèrement impacté notre business. Il y a plus de crainte que de mal, en tout cas de mon côté, puisque je n’ai pas encore fait le bilan auprès des autres. »

Selon lui, une grande partie de la clientèle a préféré générer ses images via Gemini. « On a fait la situation par rapport à l’année dernière : il y a eu moins d’engouement sur la semaine. Le flux est resté constant seulement les 1ᵉʳ et 2 octobre. D’habitude, il y a plus d’activité pratiquement une semaine avant la fête », a-t-il fait remarquer.

Pour autant, le photographe ne voit pas dans l’IA une menace absolue : « Ça ne va pas tuer le métier. Ça va l’affecter, oui, mais ça dépend dans quel sens. L’IA n’est pas une chose qui va tout remplacer. C’est un outil qui permet d’améliorer le processus de travail. En tant que photographe, cela peut nous aider à être plus efficaces et à gagner du temps. Mais une chose est claire : ça va remplacer ceux qui ne s’adaptent pas. Tout est une question d’adaptation. »

« L’intelligence a joué sur nous » – Abdallah Condé, Abdallah Photographie.

Du côté d’Abdallah Condé, gérant d’Abdallah Photographie, le constat est similaire : « Cela a un peu joué sur notre marché. Ce sont nos clients clés qui nous ont appelés. Sinon, d’habitude, les gens viennent au studio. Mais cette année, l’intelligence a joué sur nous. »

Malgré cela, il reste confiant : « Cette année n’a pas été comme les autres, mais nous ne sommes pas inquiets. Parce que ce n’est pas pareil. L’intelligence artificielle et la photo, ce n’est pas du tout la même chose. »

« Beaucoup de métiers vont changer, mais dans chaque changement se cache une opportunité. » – Bangali Fofana, Nova NTG.

 

Photographe, réalisateur et designer, Bangali Fofana, gérant de Nova NTG, connaît bien l’intelligence artificielle : « Je connaissais l’intelligence artificielle depuis des années. Je l’utilisais, mais à un moment donné, je me suis dit que ce n’était pas vraiment authentique. Quand tu compares les photos de l’IA à celles prises normalement, on sent la différence, on sent un truc de montage. Ce n’est pas authentique. »

Malgré la tendance, il affirme ne pas avoir ressenti d’impact majeur sur son activité. « Le 2 octobre, par exemple, j’ai eu assez de clients comme d’habitude. Si on parle de menace, ce ne sont pas seulement les photographes : il y a aussi les stylistes, les coiffeuses et les maquilleuses. Parce que quand on utilise Gemini, elle modélise la coiffure, les habits, et même le maquillage », a confié M. Fofana.

Pour lui, l’IA ne doit pas être perçue comme un ennemi, mais comme un allié : « Le photographe qui utilise l’IA ne fait pas moins de l’art, il fait évoluer son art. L’infographe qui s’allie à l’IA devient visionnaire. Et les vidéastes qui instrumentent l’IA ne perdent pas leur métier, ils inventent de nouvelles façons de raconter des histoires. Beaucoup de métiers vont changer, mais dans chaque changement se cache une opportunité. La vraie question est simple : seront-ils de ceux qui subissent ou de ceux qui transforment ? »

« En un mot, il faut apprendre à collaborer avec l’IA, à la prendre comme un outil de travail permettant d’évoluer et de renouveler nos idées. Cela pourra vraiment faire progresser nos métiers », a-t-il clôturé.

Entre inquiétude et espoir

Si l’intelligence artificielle bouscule les repères et modifie les comportements des clients, la plupart des professionnels guinéens refusent le fatalisme. Pour eux, la photographie reste avant tout une affaire de regard, d’émotion et d’humain. L’IA peut être un outil de plus, à condition de savoir s’en servir.

Abdoul Lory Sylla pour Guinée7.com