C’est toujours du pareil au même. Quoi qu’on dise, qu’on écrive ou qu’on fasse comme choix, on est pris à partie. On compte toujours plus de procureurs autoproclamés que d’hommes engagés et de combattants impavides. On préfère vivre le genou plié que de se laisser tenter par le destin de martyrs. On ne veut prendre aucun risque ni consentir le moindre sacrifice. Mais on est prompt à blâmer et à accabler ceux qui s’exercent, sous les tropiques, à l’entreprise périlleuse de militer, de s’engager, de s’indigner.
On encense ceux qui rampent, tandis qu’on jette l’anathème sur ceux qui s’assument à visage découvert, agissent en plein jour, portent fièrement la croix de leurs convictions et de leurs valeurs. Quand on se fend de critiques, c’est souvent parce qu’on porte en soi une frustration, qu’on se sent lésé ou oublié, ou qu’on vise quelque avantage.
Lorsqu’on décide d’appartenir à un régime ou de soutenir son chef, on est taxé de corrompu, de vendu, de traître à la nation, et interpellé à tort et à travers. Quand on choisit de ne rien faire ni dire, on est accusé de manquer de courage et de fuir ses responsabilités.
Alors, que faire pour satisfaire les uns sans contrarier les autres ? Aucune solution, aucun recours. Comme le prévenait le défunt président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le problème des personnes est sans issue. C’est une impasse. On pourrait ajouter que les réactions d’humeur, les passions et les émotions humaines n’ont ni limites ni remèdes.
Lorsque ceux qui luttent, résistent et s’opposent pour le bien de tous seront célébrés, défendus et protégés – au lieu d’être oubliés, reniés, abandonnés à eux-mêmes et isolés dans leur croisade –, les hommes seront alors animés d’un esprit de sacrifice, et la société en sera plus vertueuse et plus saine.
L’histoire ne s’écrit pas avec des mots, mais repose sur des actes de courage. Elle ne se nourrit pas de réquisitoires inutiles, mais du don de soi, d’idéaux portés et véhiculés, parfois au prix de la vie. Parlons peu, agissons beaucoup. La liberté se conquiert, la dignité se mérite.
Les vieilles rengaines n’ont plus droit de cité. Qui peut encore parler de troisième mandat, de modification constitutionnelle, à une époque où le pouvoir se conquiert et se conserve par tous les moyens ? Qui ose encore parler de droit, de lois, de principes et de valeurs, dans la jungle qu’est devenu le monde ? Un monde sans tabous ni scrupules, qu’aucune loi ne semble plus régir ?
Serviteur ou serviable ?
Toute personne qui détient une parcelle de responsabilité, exerce l’autorité et a amassé fortune, semble avoir raison, être exempte de reproches, pouvoir tout se permettre et dompter chacun. Il y a tout à perdre avec les puissants du moment. Il n’y a rien à gagner avec celui qui se drape de vertu et défend l’éthique.
On sait désormais que chacun est esclave de ses intérêts et tributaire d’un pouvoir, quel qu’il soit. Qui ne dispose pas du pouvoir comme appât, ni d’argent à distribuer, est vulnérable à tous les mauvais procès. L’honneur a une rançon, la paix a un prix. Ce n’est pas l’utilité – « se donner » – qui est exigée, c’est la serviabilité – « donner à chacun » – qui compte.
Ousmane Gaoual Diallo, ministre et porte-parole d’un gouvernement de transition, a oublié son passé avec le président Alpha Condé et ose aujourd’hui s’en prendre publiquement à lui, après lui avoir fait une cour effrénée et profité de ses largesses. Il ferait mieux de balayer devant sa propre porte : ses placards recèlent plus de cadavres que ceux du pouvoir qu’il veut traîner dans la boue.
Il a pris l’habitude de se retourner contre ses bienfaiteurs. Après El Hadj Cellou Dalein Diallo, qui l’a « fabriqué », c’est au tour du président Alpha Condé – dont il avait espéré une nomination – de subir l’indécence de son ingratitude, ce vice immonde. Le chef de l’État actuel, Mamadi Doumbouya, est averti : Ousmane Gaoual mord toujours la main qui l’a nourri. Il vient de commettre l’imprudence fatale d’ouvrir la boîte de Pandore. Il sera dévoilé. Tant pis pour lui.
En tout cas, au vu de ce que l’on voit et entend désormais, plus personne ne peut se parer des oripeaux d’une supériorité morale ou se prévaloir d’un idéal incorruptible. Le pays n’est l’affaire de personne. Tous les masques sont tombés. Personne ne veut céder sa place, obsédé par le désir d’éternité et d’inamovibilité.
« En Afrique, le pouvoir, ça se prend, ça ne se rend pas », prophétisait Omar Bongo. Il peut reposer en paix : pour longtemps encore, il comptera de nombreux adeptes, avec des pouvoirs qui ne finissent pas et des chefs d’État qui s’éternisent.
Qui peut encore, par ces temps propices aux pires excès, se risquer à jeter la pierre à l’autre ou à jouer les donneurs de leçons ?
Tibou Kamara

