Des Bill Gates ou des Mark Zuckerberg africains font don d’une partie de leur fortune⊠et bouleversent le secteur de la charitĂ© traditionnelle. DĂ©cryptage d’un altruisme continental.Â
«Riche ou pauvre⊠tout le monde donne en Afrique, constate Halima Mahomed, conseillĂšre en philanthropie Ă Johannesburg. Le fait dâaider son village, sa famille, sa communautĂ© est profondĂ©ment enracinĂ© dans la culture et les croyances populaires. » Cette tendance nâĂ©pargne pas les milliardaires. Quâils se nomment Tony Elumelu, Patrice Motsepe, Mo Ibrahim ou Toyin Saraki⊠nombreux sont ceux qui, parmi les plus grandes fortunes africaines, ont la fibre gĂ©nĂ©reuse. Ils sont nĂ©s et ont grandi sur le continent, ils y ont prospĂ©rĂ© mais nâoublient pas quâil recĂšle encore beaucoup de pauvretĂ© et dâinĂ©galitĂ©s.
Certes, ils nây consacrent que 1 % de leur patrimoine. Une goutte dâeau dans lâocĂ©an de la solidaritĂ© sur un continent oĂč tout un chacun participe Ă des tontines, aux frais scolaires, hospitaliers, funĂ©raires du cousin ou du voisin. OĂč lâidĂ©e de partage nâest pas seulement financiĂšre. Chez ces businessmen inspirĂ©s par lâesprit de lâubuntu (« je suis parce que tu es », en zoulou), « cette volontĂ© de partager son succĂšs, de donner en retour semble normale », analyse GrĂ©gorie Muhr, experte en philanthropie chez UBS.
On assiste nĂ©anmoins Ă un tournant. Les riches avaient jusque-lĂ une approche plutĂŽt caritative qui passait par la fourniture de vaccins, de livres⊠« Ă prĂ©sent, ils mettent en pratique leurs compĂ©tences en matiĂšre de business, sâĂ©loignant de la charitĂ© classique au sein de leur communautĂ©, et sâengagent dans une philanthropie plus stratĂ©gique », poursuit-elle. Ciblant des secteurs Ă©conomiques Ă fort potentiel, ils lancent des programmes pour favoriser lâentrepreneuriat, la santĂ© et lâĂ©ducation. « Ils ont constatĂ© que si des millions ont Ă©tĂ© donnĂ©s en Afrique, le dĂ©veloppement nâa pas toujours Ă©tĂ© au rendez-vous », conclut GrĂ©gorie Muhr.
Ces philanthropes crĂ©ent des fondations privĂ©es, parfois familiales, des structures de financement susceptibles de recueillir leurs donations ou les dons dâautres riches, conduisant ainsi Ă une professionnalisation de la collecte, auparavant informelle. On dĂ©nombre 25 fondations dâenvergure sur le continent, auxquelles collaborent des cadres le plus souvent formĂ©s outre-Atlantique, dĂ©jĂ rompus aux mĂ©thodes dâorganisations telles que les fondations Rockefeller ou Ford.
La philanthropie, une tendance mondiale
Cet avĂšnement de milliardaires philanthropes nâest pas propre Ă lâAfrique. « La tendance est mondiale, observable ailleurs dans le contexte de marchĂ©s Ă©mergents oĂč la croissance Ă©conomique profite Ă peu et a produit une nouvelle classe de super-riches », souligne Jenny Hodgson, directrice exĂ©cutive du groupe Global Fund for Community Foundations, organisation qui Ćuvre, depuis lâAfrique du Sud â comme Inyathelo ou TrustAfrica, depuis le SĂ©nĂ©gal -, Ă promouvoir et Ă structurer la philanthropie locale. « Utile pour recoller les morceaux dâune sociĂ©tĂ© hautement inĂ©gale, lĂ oĂč lâĂtat ne peut pas tout », explique Nozizwe Madlala-Routledge, directrice exĂ©cutive dâInyathelo.
Personnage le plus emblĂ©matique de cette nouvelle philanthropie, le banquier nigĂ©rian Tony Elumelu, 26e fortune continentale, sâest fixĂ© les dix annĂ©es Ă venir pour financer 10 000 start-up africaines avec un budget de 100 millions de dollars (environ 95 millions dâeuros) via sa propre fondation. Dix mille dollars Ă chacune â dont la moitiĂ© en mise de dĂ©part -, formations et partage de compĂ©tences : la recette, idoine selon lui, pour stimuler le secteur privĂ©, crĂ©er 1 million dâemplois et contribuer Ă hauteur de 10 milliards de dollars au PIB de lâAfrique. Rien de moins !
Effet levier
Sâil Ă©met le souhait que son initiative engendre « dâautres Elumelu » et reconnaĂźt que, « en Afrique, la rĂ©ussite nâest pas liĂ©e Ă lâindividu », il assure croire dans une action « de bas en haut et qui crĂ©e de la prospĂ©ritĂ© Ă©conomique pour relever sur le long terme la plupart des dĂ©fis sociaux en Afrique : pauvretĂ©, chĂŽmage, inĂ©galitĂ©s ».
Alors que lâimpact de ce programme tout juste Ă©clos est encore virtuel et que lâorigine des fonds qui lui seront destinĂ©s reste floue, nombreux sont ceux qui doutent que le milliardaire sorte les 100 millions annoncĂ©s de sa poche. Ils y voient davantage une excellente stratĂ©gie de communication en vue de rallier dâautres philanthropes Ă sa cause.
Au point de crĂ©er un effet de levier ? « La philanthropie peut ĂȘtre un mĂ©canisme extrĂȘmement efficace pour favoriser et tester de nouvelles idĂ©es, influencer le discours politique et transfĂ©rer des ressources Ă des groupes locaux », juge Jenny Hodgson. Et si, finalement, la fortune des riches pouvait aussi profiter Ă la sociĂ©tĂ© tout entiĂšre ?

Cyril Ramaphosa
Actuel vice-prĂ©sident de lâAfrique du Sud, cet ancien syndicaliste joua un rĂŽle important lors de la sortie de lâapartheid. Il est Ă la tĂȘte dâun important fonds dâinvestissement, et sa fortune est estimĂ©e Ă 450 millions de dollars (environ 425 millions dâeuros). Depuis 2004, il apporte, grĂące Ă la Fondation Shanduka, un soutien de 12 millions dâeuros aux entrepreneurs de son pays et a lancĂ© la fondation Adopt-a-School (« adopte une Ă©cole »), qui a dĂ©jĂ construit 454 Ă©tablissements.

Jim Ovia
Fondateur de Zenith Bank, lâun des plus gros Ă©tablissements bancaires du Nigeria, et de lâopĂ©rateur de tĂ©lĂ©coms Visafone, il dĂ©tient une fortune estimĂ©e Ă 550 millions de dollars (environ 520 millions dâeuros) et fait partie des dix premiers philanthropes africains. Sa fondation soutient le lancement de jeunes entreprises technologiques.

Pionnier des tĂ©lĂ©coms sur le continent, le milliardaire anglo-soudanais Mohamed Ibrahim, dont la fortune est estimĂ©e Ă 1,1 milliard de dollars (environ 1 milliard dâeuros), a créé sa fondation en 2006 aprĂšs avoir vendu le groupe Celtel. La Fondation Mo Ibrahim Ă©tablit un indice de la gouvernance en Afrique. Elle offre aussi des bourses Ă de jeunes leaders du continent pour des formations dâun an et rĂ©compense chaque annĂ©e, quand le jury parvient Ă un consensus, un ex-chef dâĂtat africain ayant amĂ©liorĂ© la santĂ©, lâĂ©ducation, le dĂ©veloppement Ă©conomique⊠dans son pays.

Avec prĂšs de 17 milliards de dollars (environ 16 milliards dâeuros) de patrimoine, ce champion nigĂ©rian de la cimenterie, 23e fortune mondiale, est considĂ©rĂ© comme lâhomme le plus riche du continent. Depuis vingt ans, il sâengage en faveur de lâĂ©ducation, de la santĂ©, de lâautonomisation des jeunes⊠Il a mis au point il y a plusieurs annĂ©es un programme de subventions qui offre entre 50 et 80 dollars aux femmes et aux jeunes, en milieu rural, pour les aider Ă crĂ©er de petites entreprises.

Patrice Motsepe
Magnat du secteur minier sud-africain, huitiĂšme fortune du continent (2,65 milliards de dollars, soit environ 2,5 milliards dâeuros), il est le premier Africain Ă avoir signĂ© The Giving Pledge, lâappel lancĂ© par Warren Buffett et Bill Gates, en 2010, incitant les milliardaires du monde entier Ă consacrer une partie de leur fortune Ă des causes philanthropiques. EntourĂ© par le clergĂ© et par des associations, il surprend, en 2013, en faisant don de la moitiĂ© de sa fortune Ă sa propre fondation pour venir en aide aux nĂ©cessiteux.
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