Censure

Avec l’extradition de « Toumba » : La justice de plus en plus sous pression

Aboubacar Sidiki Diakité alias « Toumba », ex aide de camp de Moussa Dadis Camara, inculpé dans le dossier relatif au massacre du 28 septembre 2009, a été extradé le dimanche dernier par les autorités judiciaires sénégalaises vers Conakry où il a été écroué à la Maison centrale, dès son arrivée.  Ce retour au pays après une cavale qui a duré sept ans, de celui qui est considéré comme un acteur « majeur » dans les événements malheureux survenus au stade du 28 septembre, causant la mort de 157 opposants, accentue la pression sur la justice guinéenne, qui s’est engagée à organiser un procès avant la fin de cette année, afin de faire toute la lumière sur ce massacre.

L’extradition du commandant Aboubacar Sidiki Diakité dit « Toumba » en Guinée, a finalement eu lieu le dimanche dernier, alors que le délai de forclusion était presqu’à son terme. Car la veille, le samedi 11 mars, devait marquer la fin du délai prescrit pour son extradition. Et son avocat Me Baba Diop du barreau de Dakar, s’était empressé de demander la mise en liberté de son client, vu que les autorités judiciaires guinéennes n’avaient pas encore réagi. L’avocat de « Toumba » estimait en effet ‘’qu’en vertu des articles 71 et 77 du règlement sur l’extradition, son client ne pouvait être détenu au-delà de 30 jours après la signature du décret d’extradition.’’ Cela d’après Me Baba Diop voudrait dire que « Toumba » ne pouvait être détenu au-delà du 11 mars. Sinon ce serait une ‘’détention arbitraire’’.

Ce décret d’extradition, il faut le rappeler avait été pris par le président Macky Sall le 10 février dernier. Et jusqu’au 10 mars, Conakry n’avait manifesté aucune intention allant dans le sens de cette extradition, selon une source diplomatique. Ce n’est qu’à la dernière minute que la procédure a été accélérée, pour permettre le retour de « Toumba » en Guinée. L’ex aide de camp de Dadis avait été arrêté à Dakar le 16 décembre dernier, où il vivait sous une fausse identité, dans un quartier cossu.

Cette extradition relance le débat sur le massacre du 28 septembre et redonne de l’espoir aux victimes qui continuent de réclamer justice depuis sept ans.

En attendant d’avoir la réaction  du gouvernement, les victimes et leurs familles, ainsi que plusieurs ONG de défense des droits de l’homme invitent les autorités  à se conformer à leur engagement de tenir le procès en 2017.

On se souvient que Me Cheick Sako, ministre de la Justice et garde des sceaux avait mis à profit la célébration de la Journée internationale des droits de l’homme le 10 décembre dernier, pour réitérer   l’engagement de son gouvernement à organiser un procès sur ce massacre, avant fin 2017.

Le ministre avait déclaré à cet effet que la  procédure judiciaire était sur le point d’aboutir au niveau de sa partie instruction. Faisant preuve d’assurance, Me Sako avait indiqué que l’instruction sera bouclée soit à la fin de l’année 2016 ou durant les premiers jours de janvier 2017.

Le garde des sceaux avait lancé dans la foulée des piques au président de l’Institution nationale indépendante des droits de l’homme (INIDH) Mamady Kaba, qui avait déploré le retard enregistré dans l’instruction de ce dossier. Le président de l’INIDH avait  invité par la même occasion la Cour pénale internationale à s’autosaisir de l’affaire, jugeant l’état guinéen dans l’incapacité de juger ce massacre.

Dans le même registre, le ministre de la Justice avait rappelé toutefois que la Guinée avait besoin de moyens financiers pour organiser un procès d’une telle envergure. Un appel du pied sans doute aux partenaires au développement.

Une extradition saluée par les ONG des droits humains

Le président de l’INIDH (Institution nationale indépendante des droits humains) Mamady Kaba parle  d’un pas en avant vers la tenue d’un procès sur le massacre du 28 septembre 2009. Il souhaite cependant le retour de toutes les autres personnes citées dans cette affaire se trouvant hors de la Guinée.

« C’est un pas important pour la tenue d’un procès  dans le dossier du 28 septembre. Mais je ne pense pas que ce soit suffisant, il reste beaucoup à faire. Nous attendons à ce que tous ceux qui ont un mot à dire sur le dossier se retrouvent en Guinée, notamment M. Dadis Camara et M. Sékouba Konaté. Il faut poursuivre pour que nous ayons  le sentiment d’un procès digne du nom.»

La FIDH et certaines ONG locales dont l’OGDH ont abondé dans le même sens, dans une déclaration commune, rendue publique le lendemain de l’extradition de « Toumba » Diakité.

Selon ces ONG, ‘’cette extradition  en Guinée de « Toumba », qui était en fuite depuis 7 ans, constitue un signal puissant en faveur de la lutte contre l’impunité en Afrique de l’Ouest. Elle témoigne en outre de la détermination du gouvernement guinéen à tenir le procès du 28 septembre, comme il s’y est engagé.’’

Dans la même lancée, Asmaou Diallo, présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (AVIPA) a déclaré que « l’extradition de Toumba en Guinée et son incarcération à la Maison centrale de Conakry démontrent aux victimes que la justice guinéenne a la volonté de s’attaquer à l’impunité, et d’organiser le procès crédible que nous attendons depuis 7 ans. Nous souhaitons maintenant que le procès s’ouvre avant le prochain anniversaire du massacre».

Quant à Abdoul Gadiry Diallo, président de l’Organisation guinéenne de défense des droits humains (OGDH), « pour tenir les délais annoncés, les autorités politiques doivent dès maintenant se consacrer à l’organisation de ce procès qui sera complexe et sensible. Pour cela il est impératif que la communauté internationale apporte au gouvernement tout le soutien financier et technique nécessaire et contribue à la mise en place d’un fonds d’indemnisation des victimes.»

Toujours à propos de cette extradition par le Sénégal de Toumba Diakité vers la Guinée, François Patuel, chercheur d’Amnesty International sur l’Afrique de l’Ouest a déclaré pour sa part que « plus de sept ans après les faits, les victimes et leurs familles attendent toujours que justice leur soit rendue. Les autorités guinéennes doivent maintenant s’assurer que le procès ait lieu dans les meilleurs délais, qu’il soit équitable et conforme aux standards internationaux. »

La pression s’accentue sur la justice

Voilà de quoi accentuer la pression sur la justice guinéenne qui a les yeux des victimes et des défenseurs des droits humains rivés sur elle, afin qu’elle fasse la lumière sur ce massacre qui avait fait 157 morts  et une centaine de  femmes violées dans le stade du 28 septembre, lors d’un meeting organisé par les forces vives à l’époque, contre la candidature à l’élection présidentielle de Moussa Dadis Camara.

A ce jour, le pool de juges mis en place pour instruire ce dossier a inculpé 14 personnes, dont l’ancien chef de la junte Moussa Dadis Camara et le général Mamadouba Toto Camara, ex vice-président de la junte, entre autres.

Certains inculpés continuent toutefois d’occuper de hautes fonctions au sein de l’appareil d’état. Ce que déplore d’ailleurs Maître Paul Yomba Kourouma, un des avocats de « Toumba ». Qui affirme que son client a été placé sous mandat de dépôt à la maison centrale dès son arrivée. ‘’Seul, il est là-bas en l’absence de ses co-prévenus puisqu’il n’est pas le seul inculpé dans cette affaire. Il est inculpé au même titre que  beaucoup de hauts cadres de l’Etat qui continue de gérer des affaires au sommet de l’Etat», se plaint l’avocat.

A l’allure où vont les choses, Me Yomba  compte solliciter la mise en liberté provisoire de « Toumba ».

L'indépendant

Aliou Sow

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