Censure

Education : Des esprits abâtardis

Parlant de l’éducation à donner aux enfants de son pays, un penseur européen a dit ceci : «  l’objectif fondamental de toutes les disciplines d’enseignement est le développement de la faculté de penser. » Ce n’est malheureusement pas le cas dans beaucoup de pays notamment en Guinée.

Depuis fort longtemps on s’attache exclusivement à faire de nos enfants des ‘’ têtes bien pleines ’’, c’est-à-dire à leur faire ingurgiter tout au long du cycle scolaire et universitaire une kyrielle de connaissances à déverser sur des copies d’évaluations juste pour obtenir des points et passer en classe supérieure ou décrocher des diplômes de fin d’études. La faculté de critiquer, de penser par soi-même qui conditionne le développement d’une personnalité libre et forte est très peu prise en compte. On fabrique donc en série des espèces de perroquets qui font étalage de connaissances mal digérées et en plus dans un français de plus en plus pitoyable et révoltant.

Même si l’on constate quelques fois des exceptions, des élèves et des étudiants irréprochables par la qualité de leur formation, la triste réalité est que notre système d’enseignement laisse à désirer. On ne peut nier que la révolution ‘’ sékoutouréenne ’’ est pour beaucoup dans le raté qu’a enregistré l’éducation durant les vingt-six premières années de l’indépendance. Les régimes qui ont suivi jusqu’à date n’ont fait qu’enfoncer le clou. Il en résulte que nombre d’intellectuels guinéens sont devenus des esprits abâtardis soit par les effets pervers de la dictature d’hier qui ne favorisait pas une formation de qualité, soit par une politique ethnocentriste, celle d’aujourd’hui, qui amène des cadres à soutenir aveuglement des causes qui n’en valent pas la peine.

Passons en revue quelques esprits abâtardis.

  • Le dictateur Sékou Touré, au faîte de sa gloire, aimait vitupérer contre les présidents Léopold Sédar Senghor du Sénégal et Félix Houphouët-Boigny de Côte- d’Ivoire. Le voilà un jour sur l’esplanade du Palais du peuple haranguant une foule de militants à qui il demande de crier après lui : Léopold Judas Senghor ! Il exhorte ‘’ Encore ‘’- Léopold Judas Senghor !- ‘’ Encore ‘’. La foule d’abrutis se plaisait manifestement à ce jeu malsain.
  • Lors des préparatifs des législatives 2013, je croise dans les couloirs de la CENI deux jeunes de l’administration du territoire et de la décentralisation soutenant avec force l’argument développé par leurs chefs et par la mouvance présidentielle selon lequel le territoire national se limite aux frontières nationales, par conséquent les Guinéens de la diaspora n’avaient pas droit de vote. Impossible de leur faire admettre qu’en droit international les portions de territoire occupées par les chancelleries relèvent du territoire national de celles-ci, les ressortissants de ces chancelleries pouvant y exercer librement leur droit de vote.
  • J’accompagne le corps d’un ami à sa dernière demeure. En attendant l’arrivée du cortège funèbre, je feuillette assis sur un banc un numéro du journal ‘’ Le Démocrate‘’, mon voisin de banc, un jeune de moins de trente ans me l’emprunte, parcourt un article portant sur les horreurs commisses sur les femmes détenues au camp Boiro sous la révolution, il vocifère sa déception : « On n’arrête pas de dire des ragots à propos du camp Boiro, c’est faux tout ce qu’on nous raconte, c’est de pures affabulations entretenues par des soi-disant anciens détenus du camp Boiro .»
  • J’échange un après-midi avec deux vieux collègues dont un me reproche d’avoir critiqué dans un journal de la place l’enseignement en langues nationales pratiqué hier par le Parti-Etat : «  Tu ne sais pas, me dit-il, que des jeunes guinéens qui ont bénéficié de cet enseignement sont devenus des génies en Amérique, c’est le meilleur enseignement qui puisse être. » Le problème cependant reste que la génération dite ‘’ coco-lala ’’ est aujourd’hui la plus ratée du pays.
  • Un certain Ismaël Condé, vieux cadre de la révolution aujourd’hui à la retraite, s’était distingué pendant la première république l’un des cadres les plus intègres possibles, il n’avait trempé dans aucune malversation. Depuis la fin du régime du PDG-RDA, il se fait passer pour un thuriféraire attitré de la révolution. Je l’ai vu récemment prendre la parole lors d’un débat sur la mémoire de la Guinée au Centre culturel franco-guinéen pour affirmer que « tous les crimes qu’on attribue au camp Boiro sont faux à 80 %. »

Il y a lieu aujourd’hui de se demander comment inverser la tendance d’une école, fabrique d’esprits abâtardis, à une école, creuset de formation d’esprits éclairés et libres ? Pour y arriver il faudra sans détour mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut, à la tête de l’Etat.

In Le Démocrate, partenaire de guinee7.com

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