Censure

Guerre en Ukraine : Le sens du vote africain à l’ONU

Par Youssouf Sylla. Sur les 193 membres de l’ONU, une majorité de 141 États a voté le 2 mars 2022 en faveur de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie. En leur qualité de membres de l’Organisation des Nations Unies, les États africains ont massivement participé au vote.

Sur les cinq pays qui ont voté contre la résolution de l’Assemblée générale, on compte un seul pays africain, l’Érythrée. Depuis la levée des sanctions onusiennes sur l’Érythrée en 2018 pour son soutien supposé aux Shebabs en Somalie, la Russie multiplie des gestes d’amitié avec ce pays pour asseoir une certaine influence dans la corne de l’Afrique. La construction dans un port érythréen d’une base logistique russe était envisagée entre les deux pays.

Plus de vingt-cinq pays africains ont voté en faveur de la résolution. Il s’agit de la Mauritanie, de la Sierra Leone, des Comores, du Lesotho, de la Somalie, du Botswana, de la Côte d’Ivoire, de la Zambie, du Malawi, du Mozambique, du Ghana, du Niger, du Nigeria, du Tchad, du Liberia, du Bénin, du Djibouti, de la Gambie, des Seychelles, de la Tunisie, de la RDC Congo, du Gabon, de la Libye, du Kenya, d’Égypte et du Rwanda. Ces pays qui ont leur propre lecture de la situation ont généralement des relations privilégiées avec la France, l’Angleterre et les États-Unis.

En revanche, c’est aussi en Afrique que l’on constate le taux le plus important d’abstention. Une quinzaine d’États ont fait ce choix : le Mali, le Soudan, le Sud-Soudan, la République centrafricaine, le Congo, l’Angola, la Namibie, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Mozambique, le Madagascar, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Algérie, le Sénégal et le Burundi. Sans compter les huit autres pays qui n’ont pas participé au vote : la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée-Équatoriale, du Togo, le Maroc, le Burkina Faso, le Cameroun et l’Éthiopie.

Un vote dispersé

On peut donc constater qu’à la différence des autres continents, où la condamnation de l’intervention militaire russe en Ukraine a largement remporté, la physionomie du vote en Afrique traduit quant à elle une grande disparité de vues entre États. La condamnation publique de la Russie y est le sentiment le moins partagé. Car depuis le retour de la Russie en Afrique au début des années 2010, on constate un raffermissement des liens entre les deux parties, qui a pris une dimension éclatante lors de la grande retrouvaille russo-africaine à Sotchi, en octobre 2019.
La Russie joue sur divers registres pour se faire accepter par les États africains: absence d’un passé colonial, indifférence aux principes démocratiques promus par ses rivaux occidentaux à la tête du client, engagement à offrir une assistance militaire aux États qui lui en font la demande, apposition de son veto à nombre de résolutions visant à condamner un régime « ami » africain et renforcement de la solidarité sanitaire à travers la distribution gratuite en Afrique du vaccin Spoutnik contre le coronavirus.

En outre, elle a signé une trentaine d’accords de défense avec les pays africains. Sans compter l’intervention des paramilitaires russes du groupe Wagner en République centrafricaine pour protéger son président. Ils sont aussi pressentis au Mali après le départ des Français. C’est vraisemblablement cette stratégie d’engagement de la Russie en Afrique qui paie aujourd’hui à travers l’abstention et l’absence de nombre de pays africains lors du vote de la résolution condamnant son action militaire en Ukraine.

L’Afrique risque-t-elle de subir les conséquences de son vote ?

Si ce vote n’est pas contraignant, il permet néanmoins, dans le cas particulier de l’Afrique, d’observer la tendance générale qui se dégage du continent par rapport à la situation en Ukraine et plus généralement par rapport aux positionnements des puissances de ce monde dans les dossiers internationaux. Ceci n’est pas sans rappeler le temps de la guerre froide, où chaque pays africain selon son orientation idéologique (communiste ou capitaliste) votait à l’ONU. C’est pour se faire une idée du positionnement de l’Afrique dans le conflit en cours en Ukraine que le vote des États africains sera observé de près. Toutefois, il convient de souligner que, compte tenu de son faible poids diplomatique, économique et militaire dans le dossier ukrainien, l’Afrique présente un risque quasiment nul de subir les conséquences de son vote dispersé. Bien au contraire, il faudrait plutôt s’attendre, au fur et à mesure que les rivalités prendront de l’importance entre l’Occident et la Russie, à des opérations de séductions envers ce continent qui est un réservoir de voix pour les grandes puissances à l’ONU et une terre pleine de richesses pour leurs économies.

De nouveau, l’Afrique doit -elle être, comme au temps de la guerre froide, un objet dont les puissances de ce monde se servent dans la conduite de leurs rivalités, ou doit-elle s’engager à devenir dans les prochaines décennies, un acteur majeur dans les relations internationales ? Telles sont les ambitions que les dirigeants africains doivent incarner dans l’inévitable reconfiguration des relations internationales, pour que la voix de l’Afrique compte pour elle-même dans la défense de ses intérêts.

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