Censure

Guinée. Le métier de communication publique à la croisée des chemins

La communication publique en Guinée a connu un début de professionnalisation à partir de 2015. Cela, suite à une directive du Président Alpha Condé et avec l’implication du Ministre porte-parole du gouvernement Albert Damantag Camara. Ce processus a conduit à la création de la Cellule de communication du gouvernement chargée de mettre en lumière l’action gouvernementale, et dans une certaine mesure, d’assurer la coordination de la communication des départements ministériels. Jusqu’en 2015, c’est le bureau de presse de la Présidence de la République, aujourd’hui devenu Direction de l’information et de la Communication, qui jouait sur tous les tableaux. D’un côté, il assurait la communication de la Présidence et de l’autre côté, il s’occupait parallèlement de la communication du gouvernement. Ce qui le rendait inefficace puisque sa démarche engendre une confusion auprès de l’opinion publique, en l’occurrence dans la compréhension des messages.

Le Président de la Transition fait une allocation dans une salle de classe

Alpha Condé se plaignait suffisamment d’un manque de visibilité de l’action gouvernementale. Les projets qu’il a réalisés durant sa première mandature n’ont que rarement fait l’effet de grande communication et la population s’en trouve peu informée. Le Président de la République s’engage alors dans une opération de communication qui permettra d’ailleurs à son parti, le Rassemblement du Peuple de Guinée, de se renforcer et d’avoir des actions d’influence offensive et défensive, qu’on appelle dans le jargon « attaque » et « riposte ». Le travail du Bureau de presse de la Présidence de la République devait donc se limiter notamment aux déplacements du Président, celui de la Cellule de communication du gouvernement nouvellement créée aux départements ministériels.

Si la Cellule de Communication du gouvernement a fait un travail assez remarquable à ses débuts et produit des résultats tout aussi appréciables, il n’en demeure pas moins que depuis début 2019, la communication gouvernementale est balbutiante. Cela est en partie dû à un très mauvais positionnement et une perte de leadership. Elle aurait mérité d’avoir une compétence beaucoup plus élargie et des moyens encore plus conséquents pour garantir une cohérence en matière de communication et une vraie professionnalisation de l’ensemble des services communication et relations publiques de tous ministères.

Le constat montre également que le départ du Directeur de la Cellule de communication du gouvernement, Souleymane Camara et du ministre Albert Damantag Camara, a mis en lumière l’absence de capitalisation des connaissances et des bonnes pratiques. Aujourd’hui, la performance de la Cellule de communication est très faible par rapport à ses débuts et aux trois premières années qui ont précédé sa création.

Depuis le renversement du régime Alpha Condé le 5 septembre 2021 par l’unité des Forces spéciales, une nouvelle dynamique est engagée mais se heurte à un défaut de compétence.  En effet, la junte militaire affiche une volonté de faire de la communication un outil incontournable de la transition et la promotion des jeunes son cheval de bataille. Quelques observations montrent cependant une certaine carence et un sérieux défi managérial auxquels sont confrontés la Direction de l’Information et de la Communication de la Présidence, certains services Communication et Relations publiques de la Primature et des départements ministériels.

Lors de la dernière allocution du Président de la transition, en date du 30 avril 2022, ce qui paraissait une innovation pour la Direction de l’Information et de la Communication de la Présidence n’était en réalité qu’une inconséquence communicationnelle. Le Président de la Transition fait une allocation dans une salle de classe en face d’élèves mobilisés pour servir de décor. L’idée d’innovation est fort salutaire. Toutefois, l’action revêt le caractère d’un amateurisme primaire. Une allocation présidentielle est solennelle et se tient presque toujours au Palais présidentiel. Or, l’exercice auquel Mamadi Doumbouya a été soumis enlève toute la solennité dans le discours.

Il faudrait prochainement éviter au sommet de l’Etat des concours de devinettes

En communication comme en sémiotique, tout est discours. La confusion qui semble invraisemblable est d’avoir inversé les rôles. Lorsqu’un Ministre ou le Président de la République veut annoncer une grande réforme de l’éducation nationale, il peut sortir de son ministère ou de son palais pour le faire devant une école. C’est le cas de toute autre réforme ou d’une grande action gouvernementale qui s’annonce. Cela constitue d’ailleurs un des premiers éléments de cohérence dans le déploiement d’un discours, qui fait partie d’un véhicule d’influence. Il faudrait prochainement éviter au sommet de l’Etat des concours de devinettes.

Le 11 avril 2022, le directeur de l’information et de la Communication de la Présidence de la République montre un autre degré d’amateurisme. A la RTG, il diffuse une tribune de 15 minutes remplie de griotisme. De la première phrase à la dernière, il chante et fait des louanges de Mamadi Doumbouya, on eût dit Makanera Kaké reconverti en journaliste. Une manœuvre qu’on croyait appartenir au passé refait surface et participe à la fabrication de dictateur. Ce n’était donc pas une tribune mais une simple propagande exagérément laudative, destinée à élever un homme au rang d’un roi. La communication ne consiste nullement à de telles mises en scène ; le Président de la transition gagnerait à exiger de son service communication, un minimum de savoir-faire.

A la primature tout comme à la Présidence, ce sont des profils de journalistes qui sont chargés de conduire la communication de deux institutions de grande importance dans une période transitoire. Si les journalistes sont capables, avec une certaine tempérance, de gérer du moins toute la partie relations presse, beaucoup ne sont suffisamment compétents pour agir au niveau stratégique, tactique et parfois même opérationnel. Malheureusement, en Guinée, le grand bruit est synonyme de grande compétence et accélérateur de carrière.  

Le service Communication de la primature ne communique pas, il informe. La Cellule de communication du gouvernement, rattachée à la primature, en fait de même. Le porte-parole du gouvernement est médiatiquement trop exposé et ses interventions sont bien souvent critiquables. La communication de la majorité des départements ministériels se limite à des post Facebook et Twitter, souvent accompagnés de fautes d’orthographe.  

Il est urgent d’avoir une vraie doctrine de la communication au niveau gouvernemental et une politique de communication pensée sur trois ans. Le rôle de la Cellule de communication du gouvernement devrait être technique et limité dans le temps. Ainsi, son action pourrait évoluer en fonction des résultats et des orientations gouvernementales.

La complaisance médiatique fait que tout est possible en Guinée

En raison d’une absence manifeste de professionnalisation de la communication publique en Guinée, la Cellule de communication du gouvernement devrait être élevée en une Direction à compétence nationale et complètement détachée de la primature. Elle pourrait incarner le rôle d’agence de communication. Elle serait d’abord chargée de réorganiser la communication gouvernementale, ensuite de garantir la professionnalisation de tous les ministères et enfin s’assurer de l’autonomisation de chaque ministère et certaines agences de l’Etat à concevoir et piloter leur stratégie de communication. Cette direction une fois créée et sa mission remplie, pourrait être dissoute à tout moment. Elle n’aura aucunement vocation à exister de manière pérenne.

La toute dernière actualité sur la communication publique en Guinée concerne la nomination d’une jeune communicante diplômée en 2020 au poste de directrice de la communication du Ministère de la Sécurité et de la protection civile par décret du Président de la transition. Cette nomination a fait réagir beaucoup d’étudiants en Communication et des jeunes débutants dans le métier. D’un côté, les critiques estiment qu’un poste de responsabilité aussi important que celui d’une direction, ne devrait en aucune manière être assumée par un individu, – fut-il un jeune –, qui ne justifie ni de compétences managériales (conception stratégique, pilotage et coordination) ni non plus de compétences opérationnelles (à distinguer de la théorie universitaire). De l’autre côté, les défenseurs pensent qu’il s’agit d’un acte fort appréciable et que l’expérience viendrait en pratiquant. Aussi, ils poursuivent en indiquant qu’il y a un progrès social en cours qui consiste à placer davantage de jeunes au cœur de la fabrique de la décision et de l’action publique, qu’il faut soutenir et encourager.

Si les critiques ont leur raison de s’inquiéter et qu’on doit nécessairement entendre, les arguments avancés par les soutiens ne semblent pas bien solides. Le ministère de la Sécurité et de la protection civile est un département régalien et de forte tension. Il y a des risques de manifestations qui se faufilent à l’horizon, où les policiers seront en première ligne. Le ministère a des précédents très marqués dans la répression des manifestants. Il faut donc des individus ayant un certain parcours professionnel pour diriger l’équipe de communication. Laquelle est composée, faut-il le rappeler, de profils expérimentés. A y regarder de près, la cohabitation pourrait être un facteur de discorde et de frustration devant entraîner une paralysie du service, ou du moins, de la direction communication. Il n’y a donc là aucun sentiment de jalousie mais des inquiétudes légitimes, exprimées par les critiques. A cet effet, le défi est de pouvoir composer avec des personnes plus expérimentées, plus compétentes et plus matures.

Il est par ailleurs dangereux de croire qu’on peut partir de la rue et bénéficier d’un décret présidentiel puis d’une nomination à un poste de direction. En la matière, la Guinée est terriblement une exception. C’est aussi regrettable de faire une telle promotion surtout lorsque ce sont des journalistes censés avoir un point de vigilance sur ce type de détail qui participent à encourager la fainéantise et à délégitimer le mérite. La complaisance médiatique fait que tout est possible en Guinée et les dirigeants sont moins soumis aux conséquences de leurs décisions.

Kossa CAMARA

Consultant Communication & Influence

Responsable adjoint du comité Afrique des Jeunes IHEDN

 

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