Censure

La Chronique de Mamadou Dian Baldé/La passe de trois

Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste trouve que notre pays déjà trop mal en point, a plus besoin d’un grand soir que d’un ‘’grand timonier’’. Quant à toute cette agitation autour de ce fameux projet de refonte constitutionnelle, elle constitue selon lui une véritable aubaine pour Sydia Touré de l’Union des forces républicaines pour se « refaire les cerises. »

Talibé Barry : Bjour M. Baldé, votre chronique d’aujourd’hui s’intitule « la passe de trois sur fond de grisaille politique ». De quoi ça retourne tout ça ?

Mamadou Dian Baldé : Que des leaders syndicaux en viennent aux mains, à l’occasion de la célébration de la Fête internationale du travail, qu’un président de la République se fasse délester de 300 mille dollars par un pseudo investisseur, sous le regard complice du gouverneur de la Banque centrale, on peut en déduire pour paraphraser Shakespeare, qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Encore que ceci n’est qu’une face de la médaille. L’autre face révèle en effet la restriction des libertés de manifester imposée à l’opposition guinéenne.  La non-tenue des élections législatives à date. Ce qui a pour corollaire la prorogation du mandat des députés. Portant ainsi un sérieux revers à notre démocratie. Sans oublier cette épée de Damoclès qui plane sur la tête des journalistes, dans un environnement où la liberté d’expression est de plus en plus éprouvée. Résultat : Notre pays se retrouve au 101e rang du classement de Reporters sans frontières (RSF) 2018. Pas de quoi pavoiser vraiment.

Malgré cette description qui frise  « l’apocalypse », le mot n’est pas trop fort, le chef de l’État veut tenter une passe de trois. Brisant ainsi le rêve de tous ceux qui aspirent à une rupture dans cette gestion  au coup par coup. Alpha Condé répète d’ailleurs à l’envi, n’avoir de compte à rendre à personne, ni à l’extérieur. Pour lui, seule  la volonté du peuple de Guinée primerait, dans ce débat désormais ouvert.

Si à l’interne, des voix discordantes ont commencé à s’élever contre ce qu’ils considèrent comme le « mandat de trop », Alpha Condé peut compter sur le soutien de son homologue ivoirien le Dr Alhassane Dramane Ouattara. Ce dernier qui nourrit d’ailleurs les mêmes velléités de s’éterniser au pouvoir, malgré les conseils avisés de Mo Ibrahim, lors du forum éponyme qui s’est déroulé début avril à Abidjan.

Cet homme d’affaires anglo-soudanais avait pour l’occasion, il faut le rappeler,  pointé  du doigt la présidence à vie et ses méfaits, comme étant l’une des causes du retard  du continent. Le tout sous le regard approbateur de ADO.

Et c’est le même ADO qui, quelques jours après ce Forum s’est mué en directeur de campagne pour une révision de notre constitution, à la faveur de la visite effectuée par Alpha Condé à Abidjan.

De quoi rasséréner le président, en proie aux coups de boutoirs de son opposition et de la société civile.

Sur le terrain, l’exécutif se contente pour le moment d’une campagne insidieuse pour exprimer ses intentions. Tout en s’opposant à ce  que les anti-troisième mandat, eux,  puissent à leur tour, dénoncer ce tour de passe-passe.

Les incidents survenus à Kankan, où des opposants ont été pris à partie, puis interpellés par les services de sécurité, ont choqué une frange de l’opinion.

La vérité est que la Guinée a plus besoin d’un grand soir que d’un ‘’grand timonier’’. Cela ne voudrait nullement dire que les belles actions du président de la République doivent être ravalées.

Une ombre au tableau

A Abidjan, Alpha Condé a voulu impressionner par son appel fait à son homologue en faveur d’un assouplissement des restrictions  à la liberté d’expression et d’opinion dans son pays. Alors que c’est tout le contraire en Guinée ?

C’est l’occasion d’invoquer la parabole de la « paille et de la poutre », quand on sait que l’opposition guinéenne n’a plus le droit de battre le pavé. Le pouvoir n’y est pas allé de main morte, pour serrer la vis aux opposants, outre mesure. L’érection des PA dans le fief de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) illustre cette méthode à la hussarde employée pour restreindre les libertés d’expression.

Seules les manifestations pour magnifier les acquis du système sont autorisées. Une situation que déplore l’opposition.

Son chef de file Cellou Dalein Diallo s’est d’ailleurs insurgé la semaine dernière contre cette mesure du ministre de l’Administration du territoire Bouréma Condé, qui ne s’appliquerait qu’à elle. Pour le moment, le statu quo demeure.

A moins que le chef de l’État ne se ravise pour lever cette interdiction qui ajoute une ombre au tableau de notre démocratie.

Sydia essaie de se refaire la cerise

S’il y a un leader qui semble trouver son compte dans le combat contre la révision de la constitution, c’est bien Sydia Touré, qui reprend en quelque sorte la main…

L’ancien haut représentant du chef de l’État, Sydia Touré  est dorénavant à l’avant-garde du combat contre la pérennisation du pouvoir présidentiel. Projet qui fait se dresser les cheveux sur la tête des opposants. Ses virulentes sorties  dans les médias français contre le projet de révision constitutionnelle font foi de cette posture du leader de l’UFR.

« A ce jour, il n’y a pas d’Etat, pas d’administration, pas de leadership… La réalité est basique : rien ne fonctionne»,  tance Sydia Touré dans un entretien au journal le Monde.

Quant aux manœuvres des sirènes révisionnistes, l’opposant affirme sur un ton péremptoire : « Nous nous y opposerons. C’est dans ce sens que nous venons de créer le Front national pour la défense de la Constitution, qui associe des partis politiques et des organisations de la société civile… »

Car selon lui, « l’avenir politique des leaders de partis et l’avenir politique de toute la Guinée dépendent de cela : non donc au troisième mandat», fulmine Sydia Touré.

Voir l’ancien haut représentant foncer bille en tête contre le projet porté par l’exécutif, démontre à n’en pas douter, qu’il a dû en prendre de la graine.  L’occasion est plus que jamais propice pour celui dont l’aura était au plus bas, du fait de ses louvoiements, de se refaire la cerise.

Mamadou Dian Baldé

Journaliste et éditorialiste

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