Censure

Le Ministre du Budget, un discret réformateur (Par Ibrahima Sanoh),

Taciturne, mesuré et très serein,  il parle  à travers ses réformes et hauts faits. Réformateur, discret,  et soucieux de l’intérêt général et de l’équité fiscale, l’homme a au bout de quelques mois réalisés plus de dix réformes importantes allant dans le sens  de la simplification des procédures fiscales à travers la digitalisation des opérations fiscales, de la sécurisation des recettes fiscales, de la lutte contre la corruption  des recettes  mobilisées, l’évasion fiscale et la fraude. Ses réformes sont peu connues de l’opinion  bien que saluées par  les partenaires institutionnels. Il  a, à la différence d’assez de pontes, marché sur les sillons de son prédécesseur mieux, tiré des leçons du passé et innové.

Le présent papier ambitionne de présenter les réformes portées par son institution, depuis sa nomination en mai 2018,   et de discuter de ses nouvelles réformes présentées dans son allocution à l’Assemblée nationale.

Au titre de ses réformes, on peut citer :

  • La conception et la mise en place de la plateforme d’échange automatisée d’informations et de données entre la DNI, la DGD, le Trésor, l’APIP et la BCRG. Elle vise à améliorer l’efficacité de l’Administration fiscale et la qualité des services aux usagers.
  • Le parachèvement des travaux d’interconnexion physique par fibre optique et d’interface entre les différentes institutions susmentionnées afin de favoriser l’échange automatique et la sécurité du numéro d’identification fiscale des contribuables entre la DNI et la DGD .
  • La mise en place de la liaison informatique entre la DNI et l’APIP afin de faciliter l’immatriculation des nouveaux contribuables.
  • L’instauration d’un nouvel identifiant fiscal permanent pour mieux maîtriser l’assiette fiscale et répondre au souci d’élargissement de celle-ci en réduisant l’écart entre les recettes effectives mobilisées et le potentiel fiscal de l’économie.
  • Le développement et l’implémentation d’une application de géolocalisation des contribuables immatriculés.
  • Le paiement des impôts, taxes et redevances dus à l’Etat par virement bancaire. La poursuite progressive des procédures fiscales et l’extension de ladite procédure en 2019 aux contribuables relevant des grandes, moyennes et petites entreprises.
  • L’amélioration du mécanisme de remboursement des crédits de la TVA.
  • L’amélioration de l’encadrement du secteur informel par le développement des centres de gestion agréés (CGA) dont celui de Matam en mars 2018.
  • L’activation d’une application d’alerte et de notification pour informer les prestataires de l’Etat sur l’évolution de leurs dossiers dans la chaîne de dépense.
  • L’institution des délais de traitement des dossiers pour les différents acteurs de la chaîne de dépense.
  • La mise en place et l’opérationnalisation du Conseil de Discipline du Ministère du Budget.
  • La gestion automatisée de l’immatriculation des marchés publics.
  • L’évaluation des dépenses fiscales relatives à la période 2016-2018 afin d’apprécier les efforts de réduction des coûts budgétaires (chiffrés à 18 % des recettes en 2017, soit 2, 16 % du PIB, contre 14,52 % des recettes en 2016, soit 2,05 % du PIB) et de moraliser les dépenses publiques.

En moyenne, dans ses six mois de fonction, l’homme a un ratio de deux réformes par mois. Comment ne pas en parler sachant qu’elles sont effectives, concrètes et bénéfiques ?

Dans sa discours d’orientation de la loi de la loi des finances pour l’exercice 2019 , à l’Assemblée nationale, Monsieur le Ministre  a annoncé de nouvelles mesures afin de consolider celles entreprises et de réussir les objectifs  d’élargissement de l’assiette fiscale sur fond d’équité , de  lutte contre la corruption dans la mobilisation des ressources fiscales et parafiscales, les fraude et l’évasion fiscales.  Ces mesures sont :

  • Le réaménagement du barème de la retenue sur les traitements, salaires, pensions et rentes viagères.
  • Le réajustement du taux de l’impôt minimum forfaitaire des sociétés et entreprises relevant du régime réel normal.
  • La modification de la clé de répartition de la contribution foncière unique.
  • L’intégration des produits de ventes de marchandises cotées dans le calcul du résultat imposable des entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés.
  • La clarification des conditions de déductibilité des charges dans la détermination des bénéfices imposables.
  • La limitation des charges d’intérêt des entreprises liées.
  • L’amélioration des traitements des prix de transferts
  • Le développement en 2019 d’une application pour promouvoir la transparence et la célérité dans le traitement des dossiers de remboursement des crédits de la TVA.
  • La poursuite de l’amélioration de l’encadrement du secteur informel par la mise en place à Conakry et dans d’autres localités des centres de gestion agréés(CGA).
  • L’opérationnalisation du guichet unique du commerce à travers l’instauration des ponts de bascule à Kourémalé et à Pamalap grâce au dispositif, les services douaniers afin de procéder aux mesurages du tonnage de tout camion entrant dans le territoire guinéen.
  • La réorganisation de la DNI à la suite d’un diagnostic stratégique impliquant divers partenaires nationaux et étrangers et l’assistance du FMI.

La nouvelle  réforme 1 s’adresse à la retenue à la source et à l’impôt direct. La redéfinition d’un nouveau barème aurait des incidences bénéfiques si les barèmes et  les taux à redéfinir tiennent compte de l’équité  fiscale (l’égalité des égaux et l’inégalité des inégaux) afin de faire payer les contribuables à l’aune de leurs capacités contributives.

Concernant la réforme 2, le minimum forfaitaire frappe le chiffre d’affaires de l’exercice antérieur réalisé par les personnes assujetties (passibles de l’impôt sur les sociétés, les entreprises commerciales et industrielles)  au taux de 1,5 %. Cet impôt est une imputation forfaitaire sur un résultat commercial fort manipulable d’où la nécessité de le réajuster  pour éviter le nivellement par le bas.

La reforme 3 , quant à elle , s’intéresse au revenu foncier et la modification de la clé de répartition bien qu’elle belle et juste idée  serait insuffisante si l’on  ne procède  au recensement exhaustif des contribuables et  à la localisation des parcelles, à l’amélioration des données sur les structure des occupants et surtout l’élaboration d’un foncier bâti et non bâti sur fond d’un travail collégial et inclusif.  «  De 2004  à 2010, disait, lors d’un atelier de réflexion sur la qualification de la fiscalité immobilière  tenue en 2016,  le Directeur National des Impôts, que la part de la contribution foncière dans la recette totale de la DNI a connu  une baisse de 0,28 % à 0,02 %. Qu’en 2015, que ce taux n’a été que de 0,01 % alors que le boom immobilier est visible à Conakry.» La volonté de qualifier la fiscalité foncière participe de cette idée de réforme.

Les réformes 4 et 5 visent à  minimiser  l’optimisation fiscale et la fraude, car le résultat fiscal imposable procède de la  réintégration  à celui comptable des produits non déductibles et de la déduction des charges non imposables. Si les produits non déductibles ne sont pas bien définis,  les charges non déductibles mal précisées ;  les manipulations  du résultat fiscal deviennent faciles ce qui aura pour conséquences d’amoindrir les bases imposables au titre de l’impôt sur le bénéfice des entreprises. L’optimisation fiscale (pratique légale) et la fraude fiscale (pratique illégale) deviennent ainsi  promues à cause de l’imprécision et les flous entretenus par  la loi fiscale. C’est ce qu’il faut éviter !

La réforme 6 concerne une problématique fiscale internationale : les prix de transferts dont l’évaluation  requière de grandes expertises et sujette à plusieurs écueils du fait de la nature des opérations intra-branches  pratiquées par les groupes et la difficulté liée à la définition de la notion de groupe et du périmètre de la consolidation , du référentiel comptable interne des pays par opposition aux normes IFRS ( International Reporting Standard Board), de l’évaluation et l’analyse des prix pratiqués entre entités juridiques liées et implantées dans les pays différents au regard des biens cédés, des services fournis ou des droits concédés . Les  plus grandes manipulations fiscales commises par les grands groupes, même dans les pays de l’OCDE concernent les prix de transfert.  Le fait d’inscrire l’amélioration de la qualité des ressources humaines et le cadre réglementaire pour minimiser  l’incidence et l’impact des évasions fiscales liées à la manipulation des prix de  transfert est aussi une grande avancée pour laquelle Monsieur le Ministre mérite d’être félicité.

Les mesures multiformes annoncées sont novatrices et permettront la consolidation des réformes portées pendant l’exercice précédent ; l’élargissement de l’assiette fiscale,  la sécurisation des ressources fiscales mobilisées, la moralisation des dépenses et leur allocation prioritaire , la lutte contre la corruption , la lutte contre la  fraude et l’évasion fiscale . La seule chose à déplorer est la non tenue de la revue annuelle des établissements publics et des entreprises de portefeuilles. Espérons que Monsieur le Ministre n’abandonne pas cette  entreprise  novatrice initiée par son prédécesseur.

Ibrahima SANOH,

 Essayiste et Chargé des cours de Strategic and Corporate Finance à l’ISCAE-G.

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