Censure

Le retour des bottes et des treillis

Par Stéphane Kaba. Les hommes ont commencé par la lutte, comme la création par le chaos.

Des guerriers et des conquérants élevés au rang de héros dans leurs conquêtes de territoires plus étendus en soumettant les vaincus, que de rois sanguinaires n’ont écrasé leurs peuples, pendant que ces derniers espéraient secrètement que la paix vienne. Pas celle qu’on chante, ni celle d’une accalmie passagère mais la paix qu’on cultive afin qu’elle dure autant se faire que peut. Parmi ces guerriers, beaucoup ont ensuite exercé le pouvoir politique. Il est de ceux-là : Alexandre le Macédonien, Gengis Khan, César, Napoléon, De Gaulle…etc.

En Afrique, les lendemains des indépendances accoucheront la plupart des régimes autocratiques et corrompus, que des écrivains célèbres comme Amadou Kourouma ont dénoncé. De cette période, des militaires présidents issus des coups d’États, s’empareront du pouvoir avec des discours teintés de bonnes intentions qui ont suscité tant d’espoirs. Quelques-uns des plus célèbres sont : Bokassa, Mobutu, Sassou Nguesso, Kadhafi, Jerry Rawlings, Thomas Sankara, Blaise Compaoré, plus récemment Paul Kagamé et plus spécifiquement en Guinée, Lansana Conté, Dadis Camara, Sékouba Konaté et dernièrement Mamady Doumbouya. Cependant, l’histoire nous enseigne que, la grande majorité de ces militaires présidents s’éterniseront à leur tour au pouvoir en devenant soit des autocrates, soit des dictateurs avec du sang sur les mains. Certains deviendront des modèles aux yeux de leurs peuples et au-delà, tels que : Thomas Sankara, Jerry Rawlings et Paul Kagamé.

De toutes ces successions de guerriers au pouvoir, beaucoup de sang n’a que trop coulé et continue de couler. Hélas !

Dans ce magma chaotique de fleuve de sang qui coule, il ressort parfois que c’est aussi l’échec des civils à exercer le pouvoir à bon escient, pour le bien-être des peuples, que les bottes et les treillis se sont invités au pouvoir.

Alors que nous étions dans un monde de guerre froide avec deux blocs qui s’affrontaient, celui communiste de l’ex U.R.S.S et ses pays satellites, et celui capitaliste de l’Occident avec comme locomotive les États-Unis d’Amérique, le premier a fini par s’effondrer et la victoire du capitalisme a été célébrée partout sur la planète.

De cet effondrement, l’Afrique se retrouvait de nouveau en queue de pelotons et livrée aux prédateurs en tout genre. Des pays souvent traités comme chasse gardée sont dirigés par des hommes liges adoubés par l’occident. Alors que les cartes étaient rebattues, l’Afrique aurait pu espérer l’émergence d’un leadership africain éclairé, à part quelques exceptions, ce sont une fois de plus des présidents élus qui se comportent en petits roitelets plutôt qu’en défenseurs de l’intérêt du peuple, qui seront aux commandes du navire Afrique.

De ces pouvoirs orchestrés et théâtralisés, tantôt on pointe du doigt l’ancien pays colonisateur avec sa célèbre France-Afrique, en l’accusant de tous les maux, invoquant la souveraineté des États, tantôt on appelle les mêmes à la rescousse, pour telle ou telle raison de défense ou d’aide économique. Néanmoins, nous savons qu’il faut faire de la géopolitique. En effet, la présence de militaires occidentaux sur les fronts avancés d’Afrique a pour but de protéger les ressources du sous-sol pour leur économie. Notamment, l’uranium, les terres rares, la bauxite…etc.

Alors que l’histoire des pays, les institutions supranationales et internationales de régulation des politiques à travers l’Afrique avaient réussi, au moins en apparence, à reléguer les hommes en treillis dans leur rôle régalien de bras armés de la démocratie, même si d’anciens militaires ayant rendus le treillis et les bottes continuent parfois à régner de ci de là, nous sommes de nouveau face à des coups d’États militaires. Des coups d’États qui sont quasiment légitimés par les peuples, voire même par les élites intellectuelles. Il faut également très rapidement préciser au passage que, ce sont souvent ces mêmes supposés intellectuels qui viennent se mettre à l’abri des putschistes, pour des postes et des prébendes au prix parfois de tromperies et induire en erreur lesdits putschistes.

Ainsi donc, face à l’échec des civils, les bottes noires des camps se font de nouveau entendre. Les treillis réapparaissent au-devant de la scène politique dans la sous-région de la C.E.D.E.A.O, au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, en ces derniers mois. En effet, de leur incapacité à mettre en place des institutions fortes, face à leurs impérities et les tripatouillages réguliers des constitutions au profit des clans régis par le népotisme et les petits intérêts égoïstes, il va de soit que ces pays se retrouvent confrontés à des prises de pouvoir par l’armée. Celle-ci souvent le seul organe suffisamment structuré pour conduire d’incessantes transitions sans véritables résultats, pour la stabilité et la paix. Le développement tant espéré par les populations africaines tarde à venir !

Alors que l’Afrique regorge de 40% des ressources mondiales, elle est de facto un terrain de chasse de tous les prédateurs. Les premiers de ces prédateurs étant l’élite politique, économique et militaire africaine elle-même. Celles-ci ne jurant que par l’occident et cela se matérialise par l’envoi de femmes et progénitures dans les métropoles occidentales avec de l’argent de la corruption et des deniers publics. Au risque de faire de cette progéniture des apatrides ou des schizophrènes écartelés entre des cultures sans passerelle. Et, quand cette progéniture revient au bercail, c’est pour faire comme leurs ainés avec les mêmes travers, dans le but de pérenniser une dynastie qui ne veut surtout pas le changement. Les chattes ne font pas des chiens, dit l’adage.

Cependant, concomitamment, nous sommes peut-être en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale avec l’émergence de grands pays comme la Chine, l’Inde, et la Russie qui renaît de ses cendres.

À ce titre, l’Afrique ce continent peuplé à majorité de jeunes, et les africains ont peut-être une opportunité à saisir dans cette réorganisation  du « nouveau monde » en marche.

Quoiqu’il en soit, la sous-région de la C.E.D.E.A.O est agitée par  des bottes noires qui écrasent les cancres las, mais de ces nouveaux héros acclamés, la prudence des peuples non moins las ne se laissent plus bercer d’illusions, du moins une partie des peuples.

Allons-nous encore continuer à assister impuissant au dépeçage de l’Afrique avec la complicité de ses enfants, au profit de l’Occident dont-elle a du mal à s’affranchir telle une victime du syndrome de Stockholm ?

Si elle choisit l’option de s’affranchir de l’Occident, ancienne colonisatrice, va-t-elle se mettre dans la gueule du dragon par une sinisation de l’Afrique ?

Cette Afrique des générations nées après les indépendances risque-t-elle de passer d’un maître « blanc » remplacé par celui « jaune », certes plus silencieux mais peut-être encore plus féroce ?

Accouchera-telle d’une élite politique capable de poser les jalons d’institutions fortes, pour une Afrique émergente ?

Les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Cette nouvelle « élite », voire les putschistes, sauront-ils défendre les intérêts de leurs pays ou vont-ils continuer la défense de leurs petits intérêts égoïstes ?

Des doutes et des inquiétudes subsistent. Nous assistons aux mêmes déclarations habituelles devenues désuets, sur nos plateaux télé et à travers d’autres canaux média. On prend les mêmes invités, parfois ceux-là même qui ont contribué à tort aux régimes déchus, qui répondent aux mêmes questions dans une mise en  scène cacophonique inchangée. Les mêmes pseudo-analystes qui se sont moult fois trompés dans leurs analyses sont encore appelés à commenter des évènements non moins orchestrés, pour un troupeau en quête de messie qui ne viendra pas. La technique de fabrique du consentement chère à Noam Chomsky est très souvent à l’œuvre !

Puisqu’ils n’ont ni programme politique concret, en ont-ils eu au moins une fois, ni de projet de société réel, ils servent de vieilles recettes rances nimbées de la providence, en abreuvant la masse de religion et de religiosité. Une vieille recette gratuite qui ne mange pas de pain. (Sic !)

Des faux messies accompagnés de faux apôtres, qui s’attaquent la plupart du temps à la partie visible de l’iceberg plutôt que de s’attaquer à la partie immergée, dans le but de faire diversion et enfumer le bas peuple peu ou prou éclairé. Peut-on être pompier et pyromane à la fois ?

De ces transitions menées dans un flou artistique, nul ne sait réellement quelle est la boussole qui guide. À moins que ce ne soit encore cette bonne vieille faite d’ARGENT ROI !

En effet, nous sommes loin des vieilles images d’Épinal de soldats faits pour crapahuter dans la boue sur les champs de batailles. Les guerriers ont goûté aux bureaux, aux salons cossus, aux ors de la république ainsi qu’aux grosses cylindrées climatisées. Si vous rajouter à cela toutes les belles femmes de la république qui se prosternent devant eux, on peut aisément imaginé le tableau des gesticulations et les tartufferies liées aux transitions militaires en cours dans la sous-région. Les dieux de la guerre sont devenus des saucisses sur pattes, des héros fatigués !

Pendant ce temps, le peuple de résignés réclamants attend l’homme providentiel au lieu de choisir de devenir le peuple providentiel !

Ainsi, au lieu d’être le bras armée de la démocratie, nous assistons impuissants et dubitatifs au retour des bottes et des treillis au-devant de la scène politique. D’ailleurs, avaient-ils quitté cette scène de théâtre ?

Jeunesse africaine ! Vous pouvez relever le défi d’une Afrique émergeante mais ce n’est pas en imitant les travers de vos aînés qui ont piétiné tous les idéaux à vile prix !

Rappelons qu’au fond de la boite à Pandore, il n’est resté que l’espoir.

Wait and see.

Stéphane Kaba

Conakry, le 2 mars 2022

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