Censure

Les spectacles dans des mains de vils commerçants…

Il y a à peine 7 mois de cela, les Guinéens vivaient un drame, le lendemain de la Saint-Sylvestre. Près d’une dizaine de morts et des disparus parmi des jeunes qui étaient allés fêter la fin d’année à la plage. Comme si les leçons de cette tragédie n’avaient pas été suffisamment tirées, un drame d’une plus grande ampleur s’est déroulé sur la plage de Taouyah-Rogbané, hier mardi, lendemain de la fête de korité. Le bilan est lourd : 33 morts à ce jour et de nombreux blessés. Le gouvernement a déclaré un deuil national d’une semaine.

Comment tout cela a-t-il pu avoir lieu ?

Les jours de fête et leurs lendemains sont de  coutume mis à profit par les jeunes pour faire des virées au bord de la mer. Les organisateurs de spectacles en profitent aussi pour mettre des programmes à la disposition de cette jeunesse en manque d’aires de jeux et de loisirs et qui a bien envie de se défouler. C’est ainsi qu’à l’occasion de la fin du mois de Ramadan, la maison ‘’Meurs Libre Prod’’. du groupe Deeg J Force 3 du chanteur Ablaye Mbaye a organisé un grand concert qui devait réunir les deux formations de hip-hop les plus en vue du moment en Guinée : Banlieuz’art et Instinct Killers. Cela devait en principe occasionner les mesures de sécurité les plus draconiennes, pour éviter tout risque d’accident ou de drame quelconque de la part des organisateurs. L’Agence guinéenne de spectacles (AGS), dirigée par Malick Kébé, qui est en charge de l’administration et de la gestion de tels événements devait aussi prendre ses responsabilités et s’assurer de la sécurité maximum. Surtout après ce que l’on a vécu le 1er janvier dernier et qui a coûté près d’une dizaine de morts et des disparus, sur la plage de Lambanyi, située dans la même commune de Ratoma.

D’après les informations recueillies auprès des témoins, il n’y avait que quelques agents de sécurité. L’appât du gain a fait que les organisateurs, comme c’est de coutume malheureusement en Guinée, ont vendu plus de tickets qu’il n’en faut. Allant jusqu’à vendre les tickets pour l’accès à la plage et pire les souches des tickets, tellement la demande était forte et que le goût du bénéfice l’a emporté sur toute autre considération éthique et de sécurité. Il y avait plus de monde à l’extérieur que sur la plage et ces gens aussi voulaient accéder au lieu du spectacle, surtout qu’ils avaient payé leurs tickets. Une bousculade s’est déclenchée et ce fut le drame. Prévisible, vu le monde qu’il y avait et la configuration des lieux. En effet, il n’y a qu’une entrée et qui sert également de sortie. Aucune sortie de secours prévue. Pas de maîtres-nageurs non plus, pour un endroit censé être une plage… Plus de 10 000 personnes estimées en un endroit aussi exigu.

Le concert prévu à 14h n’a débuté qu’à 19h. Pourquoi ? Certainement pour vendre encore des places et faire du 1000%. Les responsabilités sont à situer à tous les niveaux. Les parents ne sont pas en reste, puisqu’on ne peut comprendre qu’ils autorisent des enfants mineurs à aller dans de tels endroits. Surtout sans accompagnateurs responsables. Il est vrai que les enfants arrivent souvent à déjouer la surveillance des parents en leur mentant sur leurs destinations. Mais ce n’est pas une raison pour absoudre les parents qui sont responsables à la maison mais aussi (dans une moindre mesure peut-être) hors de la maison. En dehors de la maison, c’est l’Etat qui prend en charge les citoyens, notamment les enfants mineurs de surcroit. Dans cette triste affaire, il y a eu plusieurs facteurs qui ont concouru à la rendre encore plus insupportable. Par exemple, il y a un conflit d’intérêt notoire quand on sait que le frère de Malick Kébé, le DG de l’AGS, fait partie des organisateurs du spectacle. Lui Malick est même patron d’une agence de spectacles… N’est-ce pas lui qui clamait tout haut dans les médias, il n’y a pas si longtemps qu’il s’est offert une voiture à 300 millions de GNF et qu’il compte bientôt s’acheter un yacht pour aller sur les îles ? La discrétion ne lui aurait pas fait du tort en pareille circonstance.

Il faut dire que l’organisation des spectacles en Guinée va à l’encontre de toutes les normes en la matière. Pouvait-elle en être autrement quand on sait que c’est le domaine de prédilection des mercantilistes, de vils commerçants qui parlent culture et pensent argent ?

Pour en revenir au sujet, il faut situer les responsabilités et les leçons doivent être tirées, après une telle catastrophe… qui aurait pu être évitée, encore une fois. Une enquête judiciaire est ouverte par le procureur de Dixinn à la demande du président de la République. Les personnes impliquées dans l’organisation sont toutes entendues en ce moment par la gendarmerie, en l’occurrence le PM3. Il s’agit principalement de Levina, le patron de la plage, de Malick Kébé de l’AGS, et de Ablaye Mbaye, le principal organisateur.

Selon les dernières informations, après le passage du chef de l’Etat, le Pr Alpha Condé, sur les lieux du drame, ce mercredi matin, décision a été prise de démanteler les installations de cette plage. Les bulldozers sont entrés en action et l’on peut croire que cette plage ne rouvrira pas de sitôt. De même que les autres plages de Conakry qui sont devenues de véritables endroits de débauche, malheureusement.

Aziz Sylla

 

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