Censure

Passation des marchés et commandes publics : Alpha Condé 2 peut-il changer (1ère partie)?

Le 04 mai 2016, le Président Guinéen Alpha CONDE a procédé à la pose de la première pierre des travaux d’aménagement du site directionnel de Koloma en compagnie des membres du gouvernement et des dirigeants des 3 entreprises qui composent le GIE 3GB (GUICOPRES, GUITER et BEGEC). En conférence de presse le dimanche 15 Mai 2016, le Président de la République confirme les rumeurs des derniers jours en révélant que les négociations sont en cours pour céder le stade de Nongo à Antonio Souaré de Guinée Games. Et le président de préciser qu’il a repéré 20 champions du secteur privé avec lesquels l’Etat va dorénavant travailler. Une semaine plus tard, le dimanche 22 Mai, la Télévision nationale fait un reportage sur le projet de construction du barrage de Kogbèdou en Haute Guinée, projet dont les travaux sont confiés à l’entreprise GUITER.

Le rappel de ces 3 faits ainsi que les conditions dans lesquelles tout cela a lieu appelle à une question fondamentale : le président Alpha Condé est-il disposé à qualifier ses méthodes de gouvernance pour enfin corriger les erreurs de son premier mandat et laisser une bonne image aux Guinéens ? A vue d’œil, la réponse à cette question est négative et la présente contribution consiste à apporter des éléments illustratifs de cet état de fait. Nous commencerons par rappeler la situation du premier mandat (notamment la gestion du secteur privé), puis nous analyserons les 3 faits présents avant de faire une conclusion sur la gouvernance économique Alpha.

  1. Rappel sur les liens entre Alpha et le secteur privé Guinéen pendant le 1er mandat :

Alpha CONDE, opposant historique avait réussi à se faire élire en 2010 grâce à son habilité politique mais surtout grâce à sa virginité en matière de gestion des affaires publiques du pays. Il bénéficiait d’une image d’homme de rigueur à cause de son refus de participer à la gestion passée du pays (antérieure à 2010). Le bilan de son premier mandat est très mitigé. Côté positif on peut citer entre autres l’atteinte du point d’achèvement PPTE, l’organisation des fêtes tournantes avec la réalisation d’infrastructures dans l’arrière-pays, l’Unicité de la caisse, les reformes (telles que celles opérées dans la chaine de passation des marchés et commande publics), le barrage Kaleta, le retour de la Guinée dans la plupart des organisations où sa voix n’était plus audible,… Côté négatif, on citera la tension politique permanente avec l’opposition avec son corollaire de près de 70 morts dans les rangs de l’opposition, la persistance des passations de marchés peu orthodoxes malgré les réformes engagées, l’impunité généralisée face aux cas de mauvaise gestion et de violation de droits de l’homme, la persistance du grand banditisme et de l’insalubrité de nos villes, …

On voit donc que par rapport au secteur privé, il y a eu des efforts comme les réformes de la passation des marchés (séparation des tâches entre DNMP, ARMP et ACGPMP) et la redynamisation de l’APIP (Agence pour la Promotion des Investissements Privés). Aussi, l’initiative de confier la réalisation des travaux d’infrastructures aux entreprises nationales a suscité beaucoup d’espoir. Mais comme très souvent, avec Alpha, la bonne idée est très mal mise en œuvre : on assiste alors à une déviance qui fait que les aspects positifs renferment en même temps les ingrédients de l’autre revers de la médaille : le côté négatif comme le suggère le détail ci-dessous.

Au niveau des réformes, un nouveau code des marchés publics est entré en vigueur en 2014 avec une ségrégation des taches entre les intervenants  dans le processus de passations des marchés et commandes publiques. Mais l’enthousiasme sera de courte durée quand la nomination de Mr Curtis comme Administrateur Général de l’ARMP sera révélée au public. Les observateurs ont été surpris qu’un haut cadre qui faisait l’objet d’allégations de mauvaise gestion dans son département (il était le secrétaire général du Ministère des Mines et son nom était lié à des malversations dans les médias) puisse être choisi pour diriger une institution chargée de veiller au respect de la transparence et de l’équité dans les procédures de passation des marchés et commandes publics. Comme d’habitude, le président a fait juste un jeu de chaises musicales, en déplaçant un cadre d’une place juteuse à une autre au lieu de clarifier un  cas de malversations et prendre des sanctions si les faits sont avérés. Ce péché originel a-t-il handicapé l’ARMP ? Toujours est-il que pour une grande partie de la population, l’impact de cette institution sur la qualification des passations de marchés tarde à être visible eu égard à la persistance des anciennes pratiques ou la mise en place de méthodes innovatrices pour faire des procédures biaisées. Les évènements en cours au sein de cette institution suite au remplacement du Directeur Général (Guillaume Curtis) nous apporteront certainement assez de clarté sur le fonctionnement et l’impact de l’ARMP sur les procédures de passation de marchés et commandes publics dans le pays.

Pour les marchés des fêtes d’indépendance, on assiste à multitude d’intermédiaire (dont les entreprises doivent tenir compte des rétributions en fixant leur prix, ce qui renchérit le coût des ouvrages), une mauvaise réalisation de certaines infrastructures du fait de l’inexpérience de certains titulaires de contrats dont les entreprises ont été créées pour la cause et aujourd’hui la mort lente de plusieurs PME du fait de l’accumulation des agios bancaires dus aux prêts contractés pour préfinancer les travaux. Les marchés de gré à gré semblent être une préférence du chef de l’Etat : c’est en marge d’une audience présidentielle en 2013 accordée aux patrons de Guinée Games et de Guicopress que le patron de cette entreprise dont les activités étaient en berne depuis fin 2010 a déclaré que le Président lui a réitéré qu’il va lui confier les travaux de Sonfonia-Kagbélén. Loin de nous l’idée de critiquer le choix des entreprises nationales, mais pour des questions de transparence et de qualité des prestations attendues, le recrutement par appel d’offre reste le mieux indiqué, quitte à insérer des critères de préférence pour les entreprises nationales comme barrière. La plupart des départements ministériels suivront ce genre de passation de gré à gré ou des appels déguisés à la concurrence (publication des avis d’appel d’offres à 5 jours de la date de dépôt par exemple). Des scandales éclatent à l’EDG, au ministère des TP, au Ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire, au Ministère de la sécurité, … mais aucune sanction concrète n’a été rendue publique. On assiste alors à une hypertrophie des entreprises de fournitures et de travaux, secteurs dans lesquels la plupart des anciens acteurs ont perdu du terrain face à l’agressivité mais surtout l’affairisme des nouveaux venus qui sont soutenus par les hauts cadres issus du parti présidentiel. A titre d’exemple, après le scandale de la construction du siège du Ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire en 2013-2014 (fissures et délabrement du bâtiment moins de 8 mois après sa mise en service avec le coût exorbitant qui avait été annoncé à l’époque) sans aucune inquiétude pour les prédateurs, ce département est encore secoué par 2 nouveaux scandales de corruptions : le premier est lié au budget des examens et le second à l’achat de 2 bus Tata pour le transport du personnel. Ce ministre qui a été imposé par le RPG pour ce second mandat continuera certainement ce genre de comportements sans inquiétude de la part du président surtout que la fronde au sein du parti présidentiel ne retombe pas.

L’implication de la famille présidentielle dans certaines entreprises est souvent évoquée dans les médias sans que cela ne soit démentie. Le fils est supposé être actionnaire ou intermédiaire des entreprises Brésiliennes AOS et  Asperbras et la première dame est accusée d’être la protectrice de GUITER SA qui, malgré son impuissance à faire le tronçon Dabola-Kouroussa en 5 ans a pris plus de grade en bénéficiant des travaux de la route Kankan-Mandiana et du barrage de Kogbèdou. Le président en personne est soupçonné de donner des ordres pour que des marchés soient accordés à des amis étrangers : Le Mauritanien qui intervient dans le secteur de l’énergie et qui a repris le contrat de Asperbras dans le domaine de l’énergie thermique et le fils de Albert Bourgi, le professeur de Droit et ami de longue date de Alpha. L’ami Guinéen de longue date (appelé Barry Angola) a créé KEBO Energie dans le but de rafler des concessions minières à travers le pays mais les premières tentatives n’ont pas connu le succès attendu. Au niveau du secteur minier, l’ombre du fils du président est souvent évoqué dans les négociations avec les majors et les juniors dans les attributions des permis et titres. Le président lui-même est soupçonné d’avoir eu des largesses des entreprises minières dans ses déplacements et ses détracteurs l’accusent de vouloir déshabiller Paul (Benny Steinmetz) pour habiller Pierre (Soros et Blair). Les révélations de Global Withness sur l’affaire Sable Mining donnent une idée de comment certaines concession minières se négocient.

Dans la pratique, l’agenda présidentiel est consacré en grande partie aux questions d’investissements et le volontarisme est nettement affiché à ce niveau. Le Président, par sa démarche et ses discours, fait savoir sa volonté de voir émerger des capitaines d’industrie qui peuvent tirer leur secteur. Ainsi, voyage-t-il avec des grands entrepreneurs du pays (toujours les mêmes me dira-t-on mais c’est quand même salutaire) ; il incite aussi à la coopération B2B du secteur privé Guinéen avec ceux des pays dont il reçoit les présidents (comme le Maroc). Mais le président oublie qu’on ne décrète pas dans ce genre de secteurs. L’Etat doit mettre en place un environnement juridique et sécuritaire propice au développement des affaires et favoriser une concurrence pure et saine ; les meilleurs émergeront naturellement. L’Autre point positif est le rattachement de l’APIP à la présidence et la visibilité que ce service commence à donner à la Guinée comme destination des investisseurs. Toutefois, cette structure est en train de déborder de son domaine pour s’accaparer la place de la chambre de commerce ; ce à quoi les autorités doivent rester vigilantes et éviter la concentration de tout dans les mains de l’APIP. Par ailleurs, la chambre de Commerce a été politisée au point que son  renouvellement entamé en 2014 n’est toujours pas arrivé à terme.

Pour résumer, les relations entre Alpha et le secteur privé Guinéen ont connu un début difficile avant d’être incestueuses comme par le passé. Les barons du régime sont accusés d’être des intermédiaires de grandes entreprise moyennant de commissions allant parfois jusqu’aux villas flambant neuves comme au temps du CNDD. La famille présidentielle est soupçonnée d’être liée à plusieurs entreprises qui gagnent des marchés de gré à gré suffisamment surfacturés et en cas de fiasco, l’Etat perd des milliards banalement (affaire Asperbras, route Dabola-Kouroussa, …). Les ministres en profitent pour s’enrichir, comme le suggère la dernière révélation du Président lui-même concernant des économies qu’il aurait permis de faire cette année sur le budget des examens nationaux (au lieu de fustiger la tentative de détournement de son ministre). Même si les questions d’investissement occupent une part privilégié dans l’agenda présidentiel et que la réforme des marchés publics a été courageusement mené à bout, des pesanteurs persistent et l’administration a du mal à se défaire des anciennes pratiques et tout cela sous l’œil impuissant de Alpha.

Après tous ces ratés et la prise de conscience que la Guinée ne peut devenir pays émergent sans  secteur privé dynamique, Alpha Condé est-il prêt à changer sa méthode de gouvernance du secteur privé national ? Nous essayerons de répondre à cette question dans la deuxième partie de la présente contribution.

Mamadou CISSE (Conakry)

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