Censure

Pour un député guinéen: « Nos cadres ont utilisé des données anciennes à la COP21 »

L’impact du dérèglement climatique dans notre pays,  les articulations du sommet du Cop21 de Paris, en passant par le document qu’a produit la délégation guinéenne à l’occasion de ce sommet mondial sur le climat, sont autant de sujets abordés dans cet entretien par l’Honorable Alpha Mamadou Baldé, de la commission ressources naturelles, environnement et développement durable. Il assure que la Guinée devrait mieux faire pour se faire entendre, vu ses potentialités énormes naturelles. Lisez…

Pouvez-vous nous dire comment la Guinée subit-elle l’impact du  dérèglement climatique ?

Honorable Alpha Mamadou Baldé : C’est une question assez vaste, parce que le dérèglement climatique, à mon sens est observé à plusieurs niveaux. D’abord, nous avons la dégradation de l’écosystème. Aujourd’hui en Guinée, il ne s’agit pas d’être expert en environnement pour constater que notre écosystème (terrestre et marin), est complètement dégradé. De par le passé, on parlait de l’existence de 183 forêts classées à peu près. Aujourd’hui, je crois que si nous nous retournons à l’intérieur du pays pour faire l’inventaire, difficilement on peut retrouver une dizaine sur les 100 et quelques. Toutes les forêts ont disparu, il ya eu une exploitation abusive de ces ressources naturelles. Et il n’y a pas eu de politique de sauvegarde. Au niveau de l’hydrographie, les cours d’eau aussi, là aussi, on avait répertorié plus de 180 cours d’eau sur toute l’étendue du territoire. Aujourd’hui franchement, il est difficile de retrouver un cours d’eau qui est encore en état. Des années ‘’60’’ à maintenant, si l’on vous dit que les bateaux quittaient Bamako pour arriver à Kankan par le fleuve Niger, vous n’allez pas croire. Aujourd’hui, ce fleuve est complètement ensablé. Les enfants jouent au football sur ce fleuve actuellement. Il est menacé de disparition. Or, c’est un fleuve qui ravitaille en eau près de 9 pays de l’Afrique de l’Ouest. Au niveau de l’agriculture et de l’élevage, les rendements ont beaucoup baissé. Les conflits agriculteurs-éleveurs sont accentués du fait qu’il n’y a plus de zone d’élevage appropriée. Voilà entre autres les effets du dérèglement climatique en Guinée.

Pour palier à  ce fléau du dérèglement climatique, un sommet se tient en ce moment en France. Dans les conditions normales, les dirigeants doivent s’accorder sur un accord. Mais d’ores et déjà, des positions divergentes se font sentir. Quelle observation avez-vous là-dessus ?

Comme vous, je suis aussi les évènements. J’ai suivi les discours introductifs des leaders au niveau mondial. J’ai constaté effectivement que le monde par rapport au réchauffement climatique et la  convention cadre de préservation de notre environnement. Au minimum on peut constater qu’il ya trois catégories de pays.  Il ya les pays industrialisés qui sont les grands pollueurs. En leur sein, il ya un groupe qui est conscient des effets de leurs industrialisations sur l’environnement, et le danger qui pèse si on n’arrive pas à maintenir le réchauffement au maximum 2 degré Celsius. Mais quand même, il ya un  groupe qui est conscient de ce qu’ils font sur l’environnement. Ils se  sont engagés à financer des programmes environnementaux.

Dans la foulée, certains participants souhaitent qu’il y ait un document juridique, afin de contraindre les pollueurs à payer ou à réduire la pollution. Votre appréciation ?

Oui, le document juridique est absolument nécessaire parce que les conventions qu’on a déjà eues lors de la COP19, la COP20, il y avait des engagements. Il y’a des conventions mais tous les pays qui étaient présents à cette négociation n’ont pas respecté leurs engagements pris. Donc, si un document n’est pas élaboré pour engager les uns et des autres, on n’arrivera pas. Un document juridique est vraiment nécessaire pour arbitrer entre les pollueurs et les pays qui subissent les dérèglements climatiques. Nous les pays en voie de développement, nous subissons de plein fouet les dérèglements climatiques causés par les pays industrialisés, alors que nous polluions moins.

Certains pays ont annoncé certaines enveloppes, afin d’aider les pays en voie de développement. Mais certaines voix se sont fait entendre en déplorant que nos dirigeants ne font pas assez pour préserver les forêts. Qu’en dites-vous?

C’est vrai, il  y’a eu des annonces sur la  tribune, c’est très bien et le monde entier a apprécié. Mais maintenant, on va voir, parce que même quand on met de l’argent aujourd’hui, pour les pays africains. Il  faut savoir, qu’on a des capacités de décaissement différentes, il y’a des pays qui sont allés à la Cop21 avec des projets banquables. Si vous entendez la ceinture verte depuis le Cap Vert jusqu’à Djibouti. Donc, tous les pays traversés là, avaient des documents concrets. Les pays qui sont autours du lac Tchad, sont venus avec des projets banquables, au niveau de l’Afrique centrale, le bassin du  Congo. Je cite comme ça, des pays qui sont organisés. Si leurs dit envoyé vos projets, ils pourront décaisser. Mais certains pays n’ont pas de projets et on ne partage pas cet argent pour dire tel pays à deux milliards, ce n’est pas comme ça. Il faut avoir une bonne stratégie d’anticipation. Avoir des projets banquables et des projets ambitieux, on peut même parler de méga projet. Je cite par exemple la Guinée. Je vous ai parlé des bassins versants de la Moyenne Guinée, on pouvait élaborer des projets qui concernent la restauration et la gestion transfrontalière des ressources naturelles de la Moyenne Guinée. Parce que tous les pays dont, je vous ai parlé des fleuves Gambie et autres, prennent leurs sources chez nous ici. Il y’a des organisations telle que l’Omvs. Mais il faut dire que le Sénégal, le Mali, la Gambie bénéficient plus de l’Omvs que la Guinée.

Comment ça ?

Parce qu’ils sont en avance. Ils ont la stratégie d’anticipation, la capacité de lever des fonds, de soumettre des projets, de rechercher les financements. Ils ont le souci de la gestion durable des ressources naturelles. Ce qui se passe là-bas n’est pas aujourd’hui visible chez nous ici. Moi, je ne sais pas  quel est le projet de gestion naturelle transfrontalier que nous avons ici. Or, si on n’a pas de projet transfrontalier qui couvre deux à quatre pays de la sous région, ça va être difficile de lever des fonds. Aujourd’hui, le monde est globalisé. Vous pouvez plus parler de Guinée simplement, il faut parler de Guinée automatiquement. Ajouter là-bas la Gambie, la Guinée Bissau, le Mali, le  Sénégal…. Les pays évoluent en réseau maintenant. J’ai vu le document que les cadres guinéens ont produit pour la COP21. Je l’ai parcouru, j’ai vu que c’est bien. Mais, j’ai constaté premièrement qu’ils ont utilisé des données très anciennes. On parle des données de 1994 et de 2000.

Pour vous, cela ne colle pas avec la réalité d’aujourd’hui ?

Il ne colle pas. Si ça collait à la  réalité en 1994 et en 2000, mais nous sommes en 2015. Les autres sont venus avec les préoccupations de 2015. Quand nous, nous sommes avec des repères de 1994 ou 2000, vous voyez comment nous sommes en retard. Deuxièmement, je ne crois pas, je ne crois pas s’ils on pu élaborer un projet comme je l’ai dit, sous régional pour montrer que la Guinée occupe une place de choix en matière de ressources naturelles. Quand on parle  de ressources naturelles. Nous sommes un leader dans la sous région ouest africaine, la Guinée on est incontournable. Je vous ai parlé du fleuve Niger qui ravitaille 8 pays en dehors de la Guinée. Et ces gens là dépendent directement de la Guinée. Si nous avons un projet qui implique le Mali, le Niger, le Nigeria et tous les autres pays de l’autre côté qui bénéficient du fleuve Niger, si on a un autre projet de réhabilitation des massifs du Fouta Djallon, qui font que la Guinée est qualifiée de château d’eau de l’Afrique de l’Ouest, alors là, les gens vont forcement nous écouter. Quand le projet est déposé, on dira le projet Guinée d’abord. Si les projets de la Guinée sont financés, les bénéficiaires sont nombreux. Or, on n’a pas ça aujourd’hui, je n’ai pas vu ça dans le document.

L’on a quand même entendu le Chef de l’Etat, qui demande à ce qu’il y ait une enveloppe pour la construction des barrages hydroélectriques. Quelle lecture faites-vous de cela?

Oui, regardez par exemple le barrage hydroélectrique de Koukoutamba, ça c’est dans la préfecture à Tougué. On parle de ce barrage depuis 1974, qui a 295 mégawatts donc beaucoup plus que Kaléta. Si l’on construit ce barrage, il pourra fournir du courant électrique à la Guinée, au Mali, au Sénégal et à la Guinée Bissau, dans le cadre de l’Omvs. Le financement normalement devrait être là disponible depuis 2013. Et c’est un compatriote guinéen qui est le coordinateur régional de l’Omvs, en la personne de M. Kabinet Komara, l’ex-premier ministre. Donc si lui est là-bas, on parle de ce barrage depuis au moins 2011, et on est en 2015, et rien n’est fait. Moi, je considère qu’on n’est pas suffisamment dans l’anticipation, pour que la Guinée fasse prévaloir sa place de choix. Il faut qu’on montre que nous sommes un leader en matière de ressources naturelles en Afrique de l’ouest ça, ça manque. En temps que député, je ne peux pas m’en passer. On a trop politisé nos comportements, nos pensées et on est limité. A l’Assemblée nationale, la dernière fois, quand on parlait de barrages, on a parlé de Koukoutamba, il ya un honorable qui a dit non. On ne parlera pas de Koukoutamba, tant qu’on n’aura pas un barrage qui donnera de l’électricité pour les préfectures de Kérouané, Kankan…

Mais de là, pourra-t-on transporter le courant, vers la Haute Guinée ?

Oui, et puis là. Au moins on a un partenariat qui est scellé avec l’Omvs. Depuis les années « 65 », on était membre de l’Oers (organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal), c’est  l’Oers qui est devenue l’Omvs, parce que nous, on avait démissionné, au temps de Sékou Touré dans les années « 70 ». On a démissionné de l’Oers pendant que les autres pays ont continué à bénéficier des financements des partenaires. Regardez le barrage de Manantali au Mali. Ce barrage bénéficie des eaux de Guinée. Si nous coupons certains robinets, ce barrage là, va avoir des problèmes.

Interview réalisée par Richard TAMONE in Le démocrate             

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