Censure

Satire à vue. Vœux imaginaires d’un président bien réel (Par Top)

Citoyennes, citoyens

Chers compatriotes

Nous nous apprêtons à mettre 2022 en bière, avant de faire couler à flots le champagne pour saluer l’année nouvelle qui pointe du nez.

Comme cela est devenu une tradition républicaine, c’est tout naturellement que je viens vous présenter mes vœux à travers ce speech. Vous pouvez l’appeler « adresse solennelle à la nation », « discours de nouvel an » ou comme bon vous semblera.

Chers compatriotes

Si des présidents comme Macron, Macky Sall, Ouattara et même le colonel Goita ont choisi des décors classiques (le mec est assis ou debout devant un prompteur dans un bureau, le drapeau national en arrière-plan…), ici nous avons été mieux inspirés. En faisant un clin d’œil au 7e art grâce à une mise en scène que ne renierait pas Steven Spielberg en personne.

C’est sûr que vous avez aimé le spectacle son et lumière (tamisée) sous un ciel étoilé. Notamment cette musique de générique digne du grand Ennio Morricone. Cela a possiblement réveillé chez certains d’entre vous, ceux qui affichent pas moins de trente hivernages au compteur, le souvenir de grandes œuvres telles « Il était une fois dans l’Ouest », « Commando », « La légion saute sur Kolwezi » « Mission impossible » ou encore « Supercopter ».

Avec comme acteur principal celui qui se tient en ce moment devant vous. Un casting à faire pâlir de jalousie Dwayne Johnson, Vin Diesel, Arnold Schwarzenegger et tous ces « bodybuildés » du cinéma hollywoodien. Quelqu’un n’a-t-il pas soutenu que « l’originalité n’est qu’une judicieuse imitation » ?

Et que dire de la scène juste avant le clap de fin, où votre modeste serviteur s’installe confortablement dans un hélico prêt à s’envoler ? Comme une allégorie du décollage du pays, fréquemment annoncé mais qui tarde toujours à se produire.

Génial  non ? Même si certains oiseaux de mauvais augure, eux, y ont vu probablement une prémonition, le signe annonciateur d’un départ définitif, prématuré et non souhaité d’un certain palais.

Chers compatriotes

Inutile d’insister sur le fait que 2022 a été rude pour tout le monde. Quasiment, tous les pays de la planète ont senti passer cette défunte année (fort peu regrettée) à laquelle nous  disons bye-bye.

Cependant notre beau pays a tenu bon, avec au gouvernail votre fidèle et inflexible serviteur, le seul maître à bord après Dieu du Navire national.

C’est vrai qu’au-delà des prouesses de mon gouvernement, que des mauvaises langues avaient vite fait de qualifier d’équipe de dilettantes,  il y a un fait qui a été déterminant : le mal-vivre ça nous connaît ! Depuis le temps que dure notre cohabitation avec la misère, on aurait même dû normalement développer une immunité collective à son encontre.

Chers compatriotes  

Nous avons engagé des réformes courageuses dans le cadre de la refondation et de la rectification institutionnelle. Je crois qu’elles commencent à porter fruits, même si personne ne sait exactement ce que veulent dire ces grandes notions dans le contexte qui est le nôtre. Peut-être de simples slogans. Qu’importe, d’autant que ça impressionne les cons(de)citoyens qui n’ont pas la lecture et l’écoute lucides.

Les assises nationales, quoique menées à la va-vite, ont réconcilié les citoyens et les communautés qui, paraît-il, étaient à couteaux tirés. À titre d’exemple, un pandore et un ministre déchu, tous deux en détention, auraient fumé le calumet de la paix au fond d’un bagne de Conakry. Ce n’est pas rien.

Plus que jamais, la croisade contre la corruption sera menée avec fermeté.

« Je n’ai pas d’amis ou de famille face à la corruption et le détournement de deniers publics ». Aïe ! Vous avez certainement corrigé de vous-mêmes cette étourderie de mes scribes officiels : entendez plutôt « (…) face à la corruption et AU détournement de deniers publics ».

Chers compatriotes

On ne peut qu’être satisfait du travail des limiers de la gendarmerie et du procureur chargés de mettre le grappin sur ceux qui, en puisant dans la tirelire de l’Etat, ne seraient pas allés de main morte. À leur égard, la mienne non plus ne tremblera pas.

Seul bémol sur cette partition idyllique, le procès des anciens dignitaires épinglés dans le cadre de l’opération mains propres, en tout cas selon certains détracteurs et autres frustrés, tarderait à se tenir par manque de preuves.

Mais rien ne presse, après tout c’est généralement la pratique dans notre bled : on te met d’abord au frais dans la fournaise d’un cachot, puis l’on commence à fouiner partout pour dénicher ce qu’on va te coller sur le dos.

Chers compatriotes

Grâce notamment à l’entregent de l’efficace ministre des Affaires étrangères,  où cependant il se passerait entre parenthèses d’étranges affaires, notre pays s’est bien repositionné dans le concert des nations.

En dépit de sa suspension de la CEDEAO et de l’Union africaine, suite à la salutaire prise du pouvoir par les vaillantes forces de défense et de sécurité. L’exclusion de notre pays de l’AGOA par les États-Unis et mon absence lors de la récente rencontre entre le président Biden et la quasi-totalité de mes homologues africains n’étant que des détails sans importance.

Après avoir élagué les vieilles branches de notre administration publique, je continue de donner la chance à la jeunesse, à travers un déluge de décrets qui sèment le bonheur à tout vent.

Ce qui pourrait, vu leur nombre astronomique, me valoir une place de choix dans le livre Guinness des records. Un bon point non, pour l’image du pays et le projet de Branding national ?

Chers compatriotes

Vous l’avez remarqué sans doute, mon laïus ressemble à s’y méprendre à celui tenu l’année dernière. Simplement parce qu’on reste, faute de résultats tangibles à brandir tel un trophée de guerre, dans le registre des vœux, des engagements et des promesses avec, il est vrai, de belles formules incantatoires pour susciter de l’espoir. Ne dit-on pas que celui-ci fait vivre ?

Je l’ai martelé devant le gouvernement : l’heure doit être maintenant aux résultats ! Les vrais, du genre de ceux qui crèvent les yeux et comblent les attentes.

Aux concitoyennes et concitoyens malades, alités dans nos hôpitaux puisque n’étant ni ministres ou suffisamment fortunés pour aller se faire soigner en Europe ou ailleurs, je dis courage et leur souhaite un prompt rétablissement.

À ceux qui ont du mal à mettre la marmite sur le feu, je suggère de serrer davantage la ceinture et méditer sur les bienfaits du jeûne intermittent.

À tout le monde je dis bonne année 2023 !

Votre Président-Soleil

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