Censure

‘‘Un président de la République ne dénonce pas, mais il sanctionne’’, dixit Papa Koly Kourouma

Dans cet entretien accordé à notre rédaction, le président du GRUP s’en prend à la gouvernance actuelle. L’ancien ministre de l’Energie et de l’Hydraulique doute de la tenue des élections locales avant la fin de l’année, ainsi que l’ouverture du procès  28 septembre durant l’année 2017. Par ailleurs, pour Papa Koly Kourouma, c’est de la folie de parler d’un 3ème mandat d’Alpha Condé.

Comment se porte votre parti ?

Papa Koly Kourouma : Le parti se porte très bien. Il y a des choses qu’on n’a pas besoin de présenter.

Quelle lecture faites-vous du remaniement ministériel à minima?

Le président de la République a pris la décision de faire un remaniement de son gouvernement. Ce qui relève de son pouvoir discrétionnaire. Il n’y a pas de commentaire. Parce que ça doit être lié à la mise en œuvre de sa politique. C’est lui qui désigne les hommes qu’il faut pour la mise en œuvre de sa politique.

Quelle analyse faites-vous de cette guéguerre qui sévit au sein de l’opposition républicaine ?

Je ne sais pas ce que vous appelez guéguerre. Ce qui est évident, au niveau de l’opposition républicaine, il y a eu 2 camps quant à la tenue des manifestations qui devaient avoir lieu le 02 août de cette année. Il y a une partie de l’opposition républicaine qui ne trouvait pas nécessaire que ces manifestations aient lieu. Une seconde partie a estimé qu’il était opportun qu’on marche. Le fondement principal de la démocratie, c’est la contradiction.

Donc, nous respectons les avis des uns et des autres. Ce qu’on a déploré, c’est qu’après ces prises de positions, il y a eu des débats personnalisés. Mais il vous souviendra que lors de notre dernière plénière, nous nous sommes retrouvés tous, chacun a demandé pardon à chacun, tout le monde a demandé pardon à tout le monde, et on a pensé que désormais tout ça était derrière et qu’il fallait revenir sur la composition ancienne de l’opposition républicaine.

Il y avait eu avant ça, le point 2 des accords qui avait posé problème, là aussi, c’est désormais derrière nous. C’est devenu une loi, donc il n’y a plus raison qu’on reste divisés. J’entends dire qu’Aboubacar Sylla est de retour. Ce n’est pas un retour. Il n’était allé nulle part. La création du FAD, je crois qu’on diabolise inutilement. Le FAD est une alliance électorale. L’opposition républicaine est un espace de concertation.

Au sein de l’opposition républicaine, vous avez une alliance électorale entre l’UFDG et l’UDG de Mamadou Sylla. Il y a une alliance électorale entre le FND de Alhousseini Makanera et le parti GRUP de Papa Koly, qu’on appelle la coalition anti système. Donc si le FAD estime qu’il faut créer une troisième alliance, électorale, ça ne doit pas faire trop de bruits. Ceux qui ont créé le FAD ne sont pas des partants ou des exclus de l’opposition. Alors, il faut qu’on pèse les mots. Donc, ils sont revenus sur la table, parce que les marches sont derrière. Et il n’est pas exclu que demain si on décide de marcher, qu’ils s’associent à cette marche, s’ils trouvent opportun, mais s’ils trouvent que ce n’est pas opportun, ils peuvent encore se retenir.

Quel regard portez-vous sur la gouvernance actuelle du pays ?

La gouvernance actuelle du pays est négative. Nous assistons à une gouvernance qui n’a absolument rien à voir avec la bonne gouvernance. La bonne gouvernance est reléguée à l’arrière-plan, et ce sont des pratiques qui vont à l’encontre de la bonne gouvernance qui s’impose comme règle de gouvernance. On a l’impression, qu’on est dans un monde où il n’y a pas de tête, où il n’y a pas de pieds, chacun fait ce qu’il veut, comme il veut.

Aujourd’hui la gabegie financière, le vol,  c’est ce qui s’impose comme règle de la gouvernance. Il y a de quoi à penser que la mauvaise gouvernance a pris la place de la bonne gouvernance. Aussi longtemps que ça sera le moyen de gouvernance, aussi longtemps les populations continueront à souffrir, aussi longtemps, on ne décoléra pas de façon économique.

Que vous inspire la condamnation de l’ancien ministre des Mines, Mahmoud Thiam, par la justice américaine ?

Il ne faut pas confondre les choses. Il n’est pas condamné en tant qu’ancien ministre de la Guinée, il est condamné en tant qu’Américain. Un citoyen américain est en contradiction avec les lois américaines, il est jugé et condamné par les autorités américaines.

Pensez-vous à la tenue du procès du 28 septembre avant la fin de l’année 2017 ?

Je crois à la sincérité de Me Sako, mais j’ai un doute quant à la tenue de ce procès avant la fin de l’année dans la mesure où quand j’observais le budget, je ne voyais aucune inscription, en faveur de la tenue de ce procès. Alors ce qui me pose énormément de problème et ce qui fait que je porte des doutes quant à la tenue de ce procès. Mais puisque l’Assemblée va se retrouver dans le cadre de la loi de finance rectificative, peut-être, il y aura un amendement et le budget relatif à la tenue de ce procès sera apporté au niveau de la loi de finance rectificative à partir de ce mois, je peux croire. Jusqu’à preuve du contraire, je dirais que ce n’est pas possible. Certes, il y a la bonne volonté du ministre de pouvoir tenir ce procès, mais sans les moyens, on ne peut pas tenir ce procès. Jusqu’à ce que je voie cette inscription au niveau du budget, je prends des réserves.

Est-ce qu’il est possible d’avoir un procès équitable sans la présence de Moussa Dadis Camara ?

Je ne pense pas qu’on peut commencer un tel procès en l’absence des mis en cause, ce n’est pas possible. S’il y a effectivement procès, je pense qu’on trouvera les moyens pour que Dadis rentre.

L’installation des compteurs prépayés provoque des remous dans les quartiers. Etes-vous favorable à ces compteurs ?

Il n’y a pas plus juste, plus normal, que de mettre des appareils de comptage chez les abonnés pour qu’ils sachent, qu’est-ce qu’ils consomment, combien ça coute. C’est ce qui est tout à fait normal. Notre pays est un pays qui marche par la tête. Sinon comment un abonné peut se rebeller face à son prestataire de service qui vient lui dire je veux pour des raisons de clarté, de traçabilité de la facture, je veux poser un équipement de comptage pour que vous sachiez qu’est-ce que vous avez consommé, pourquoi on vous a facturé et qu’on se rebelle. Ce n’est que dans notre pays, on peut voir ça. C’est justement ça le contraste de la Guinée. Je suis abonné, et puis je m’oppose aux principes de mon fournisseur, c’est parce que la règle, c’était le vol, la facturation à main levée, c’est la perception illégale et frauduleuse. Maintenant, qu’on veut normaliser, le client se fâche. Donc, il faut qu’on l’explique aux gens et il faut qu’on prenne les dispositions pour qu’on pose les compteurs.

Quand j’étais ministre, j’ai l’habitude de dire quand on dit que le Guinéen ne paye pas l’électricité, je dis que c’est faux, le Guinéen paye l’électricité. Mais il paye aux mauvais endroits. Je suis certain même ces agents qui étaient là pour la perception frauduleuse, sont à la base de ces remous.

Sinon ce n’est pas le client, puisque lui, il paye. Si on veut te poser un compteur pour que tu payes ce que tu as l’habitude de payer, pourquoi tu vas te rebeller, il n’y a pas de raison. Alors qu’on accepte à ce qu’on installe les compteurs, ils vont voir qu’ils payeront moins que ce qu’ils ont l’habitude de donner à ces voleurs d’agents qui veuillent percevoir l’argent qui ne vont pas au bon endroit et qui empêchent aujourd’hui, le service de EDG de fournir le courant comme il veut. Parce que quand tu consommes le courant, tu ne payes pas, tu ne donnes pas la possibilité à EDG de fournir le courant, alors on veut une fourniture, régulière et de façon équitable. Il faut qu’on paye la consommation, ça c’est une obligation.

Quel est votre point de vue sur les velléités d’un 3ème mandat de Alpha Condé, affiché par certains cadres du parti au pouvoir ?

Je ne sais pas pourquoi, on s’active à en parler. Ce qui n’existe pas, on ne doit pas en parler. C’est de la folie de parler d’un troisième mandat. La constitution ne permet pas de parler d’un troisième mandat. Maintenant ceux qui se donnent la liberté d’en parler, mais on est dans un pays où il y a la liberté d’expression. Penser, le dire, c’est leur droit, mais comment ils vont le faire, c’est là où il faut attendre. Je pense qu’il n’y a pas lieu de s’affoler. La constitution est claire là-dessus, on ne peut pas faire 3 mandats. C’est pourquoi, je n’en parle pas. En politique, il y a ce qu’on appelle faire courir le bruit et attendre le retour, mais ils n’ont qu’à faire courir le bruit. En politique, il y a ce qu’on appelle le ballon d’essai qu’on envoie pour voir où est ce que ça va atterrir, mais en tout cas au parti GRUP, le ballon n’atterrira pas. Il n’y aura aucun retour favorable de notre part.

Croyez-vous à la tenue des élections locales avant la fin de l’année 2017 ?

Non ! C’est le même cas que la tenue du procès du 28 septembre. J’aime me prononcer sur ce que je vois. A mon entendement, à la date d’aujourd’hui, le budget relatif à la tenue de ces élections locales n’est pas inscrit au budget de 2017. Maintenant peut être dans la loi de finance rectificative, on va penser à ce budget, pour qu’on puisse tenir ces élections avant la fin de cette année. Mais je doute. Nous sommes déjà au mois de septembre. Pratiquement, il nous reste 3 mois, s’il y a la volonté politique, c’est possible. Mais s’il n’y a pas la volonté politique, on l’attendra encore longtemps.

Quel est votre message à l’endroit des Guinéens ?

Le Guinéen est à la base de sa propre souffrance aujourd’hui. Il y a l’incohérence dans la gestion de la chose publique. Vous remarquerez, que M.  X ou P, habite dans le même quartier que vous, il est en location. Demain, il bénéficie d’un décret du président de la République, ou d’un arrêté de son ministre. Il occupe une fonction, où il y a à manipuler l’argent publique. En un mois, vous voyez le M. qui achète un terrain de 400 millions, il commence à ériger une maison de plusieurs milliards, vous vous êtes là, vous le voyez, vous l’applaudissez. Le problème, ce n’est pas le fait qu’il construit, ni le fait de l’applaudir, c’est le fait de ne pas savoir que l’argent qu’il est en train de mettre là, c’est votre argent, c’est l’argent public. Parce qu’il n’est pas commerçant, il n’est pas producteur ni pécheur. Mais vous admettez qu’il fasse une telle réalité sans vous soucier de l’origine de cet argent, ça c’est le Guinéen qui est à la base. Le système que nous nous engageons à combattre, se définit comme étant l’ensemble des comportements individuels, collectifs qui agissent contre la bonne gouvernance. C’est pourquoi, nous sommes antisystème.

Vous partez dans un département ministériel, je prends le ministère des Finances où circulent les dossiers des différents départements sectoriels. Vous verrez que chaque point de signature est un point de péage. Vous payez, vous passez, vous ne payez pas, vous ne passez pas, ça c’est érigé en règle. Il y a même des DAF qui osent dire M. le ministre le dossier est bloqué, il faut qu’on paye pour que ça passe. C’est antinomique. Tant qu’on n’a pas pris conscience de cela et qu’on se dise qu’on doit combattre ça, la Guinée ne pourra pas décoller de façon économique. Quand vous voyez le salaire du fonctionnaire, vous vous rendez compte que l’Etat fait semblant de les payer et quand c’est comme ça, eux aussi font semblant de travailler.

Il y a le fait également, que le président de la République est dépassé par les évènements. Il a certes la volonté de vouloir faire changer les choses, mais il ne peut pas. Vouloir et pouvoir font deux. Il ne peut pas, il n’a ni le cran, ni la méthode, ni la manière. A cela s’ajoute, l’impunité. Un président de la République ne dénonce pas, mais il sanctionne. Mais c’est lui le premier à dénoncer en longueur de journée, mais il ne sanctionne pas, ça veut dire qu’il encourage. Voilà ce à quoi nous vivons.

Il faudrait que les Guinéens comprennent dans notre élan, de la lutte contre le système qui doit nécessairement passer par la formation et l’information de nos populations, nous allons aller vers le peuple, pour expliquer pourquoi le retard pour que chacun comprenne le bien-fondé de la lutte contre le système.

Interview réalisée par Sadjo Diallo (L’Indépendant)

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