Censure

Une semaine après les affrontements mortels, la ville de Touba toujours sous tension (de notre envoyé spécial)

Située à 542 km de Conakry, la sous-préfecture de Touba (relevant de
la préfecture de Gaoual),  a connu  des affrontements entre deux familles, dimanche 15, et mercredi 16 novembre dernier. Deux jeunes de Karambaya ont trouvé la mort lors de ses affrontements. Notre reporter s’y est rendu. Voici son reportage.

Lorsque nous arrivons dans la matinée du samedi 21 novembre dans la sous-préfecture de Touba, on peut constater  que les pick-up de la gendarmerie sont présents partout ou presque. Les activités s’y déroulent dans un calme qui semble précaire. Par rapport aux événements du dimanche 15 novembre et lundi 16 novembre, les deux familles donnent leurs versions des faits.

Le porte parole du khalife en bleu

Ainsi, El Hadj N’Famady Diaby, Porte-parole,  du Khalife général de Touba, revenant sur les origines du conflit entre les deux familles  précise: « M. Dienké Mady de Touréya est parti voir l’ancien préfet de Gaoual, M. Barboza pour lui dire qu’il veut diviser Touba en deux secteurs à savoir Touba 1 et Touba2. Et que les Karambaya resteront dans Touba 1 et lui il ne prendra jamais l’ordre Chez le Khalife général de Touba, chez qui tout le monde se réfère. Ce jour-là, Barboza lui a répondu qu’il fallait qu’il connaisse la démographie de Touba et que cette situation ne relevait pas de sa compétence, mais celui du ministère de la Décentralisation. Comme il a échoué à ce niveau, il a décidé de se tourner vers la construction d’une mosquée dans le secteur de Touréya pour diviser les populations de Touba. Et la population Diakha de Touba en général se doute de la provenance de son argent car il fait beaucoup de voyages au Mali, au Niger et en Mauritanie. Et la première mosquée de Touba a été construite par tous les enfants de Diakha et de Foutah, à l’intérieur de la Guinée et de la diaspora. Un seul individu ne peut pas prendre une décision depuis Conakry et  surpasser l’autorité du Khalife général, de la Sous-préfecture de Touba et la préfecture de Gaoual. C’est juste à trois jours de la construction de la mosquée, il y a environ quatre ans qu’il a annoncé la construction de la mosquée de Touréya. Il a tenu tête aux sages de Touba,  aux sages du Foutah et aux autorités guinéennes. Il y a deux ans, le secrétaire général de la ligue islamique s’est déplacé pour venir poser la première pierre de cette mosquée. Mais, la veille, El hadj Diassy a été accueilli par une foule en colère et ce dernier a compris qu’il n’avait pas toutes les informations par rapport à la construction de cette moquée. Et, il n’a pas posé la première pierre. Avant son départ, M. Dienké Mady et son clan ont dit qu’ils allaient lire le Coran le soir. Ils en ont profité pour faire un traçage de la mosquée. C’est de là qu’est parti le premier soulèvement. Et  juste avant les élections présidentielles de 2015, le président de la République, Alpha Condé, a dit à haute et intelligible voix que toute construction d’une mosquée doit avoir obligatoirement l’aval des sages. Mais dès son départ, M Dienké Mady et son clan ont augmenté le mur de la mosquée.»

Par rapport aux récents événements, N’Famady Diaby, explique : «  Le  dimanche 15 novembre aux environs de 15 heures, un garçon qui venait de la France en l’occurrence Djaninka Diaby de la famille Karambaya, accompagné de sa femme se rendaient à la rivière sacrée Santoba pour se laver. Mais, ils ont été repéré par les jeunes de Touraya  qui se sont précipités sur lui et l’ont agressé jusqu’à ce que mort s’en suive. Sa femme sous le choc a crié et on est venu à son secours. Ce qui lui a sauvé la vie. C’est de là que tout  est parti. La seconde victime Mouctar Diaby  a été tuée  lors des affrontement par une machette sur la tête. Il en est mort. Les enfants de Karambaya s’en sont pris aux maisons, boutiques et véhicules appartenant à la famille Touréyah. La mosquée en construction n’a pas été épargnée par les jeunes en colère. Les populations de Touba vivent dans l’insécurité
soutenue par le préfet de Gaoual. C’est-à-dire qu’il y a des corps habillés en uniforme de la police et de la gendarmerie, sans mandat et à chaque fois qui sont envoyés par le préfet de Gaoual pour voler, violenter, casser des voitures, lancer des gaz lacrymogènes dans la
grande mosquée de Touba. Ces hommes en uniformes de l’Etat insultent les imams de Touba, leur interdit d’aller à la mosquée. Ce qui est inacceptable.  C’est ce qui conduit à la colère des jeunes de Karambaya. Comme, les sages nous ont conseillés, on attend l’application de la loi. On commence à sentir les efforts de l’Etat par le limogeage du ministre de la Sécurité et du secrétaire  aux Affaires religieuses El. Hadj Diassy. »

La version de la famille des Tourayah

El. Hadj Mamadou Diaby

Pour El. Hadj Mamadou Diaby qu’on a rencontré à Touraya, les événements se sont passés autrement. Et de préciser : « Le Fidâou (rencontre religieuse pour des prières) est passé le vendredi 13 novembre 2015 et le dimanche 15, nous avons été informés que les gens de Karambayah se préparent pour venir nous attaquer.  Nous avons voulu savoir pourquoi ils veulent nous attaquer. Nous avons appris par la suite qu’il y a eu des gens qui ont quitté Conakry pour venir spécifiquement pour nous tuer, casser notre mosquée et incendier nos domiciles. A notre tour, on a pris cela à la légère puisque nous estimions que le Fidâou venait de finir et que les étrangers ne sont mêmes pas rentrés. Par la suite, on a compris qu’une attaque était en préparation. Car les deux groupes qui nous ont attaqués sont venus le dimanche  aux environs de 15 heures. Les uns sont venus à Mastabamboya chez nous pour incendier nos véhicules et nos maisons  et les autres se sont attaqués à la mosquée. Nous étions au deuxième étage. Et  ces personnes ont  forcé le portail. Ils sont rentrés dans la cour et incendié les deux véhicules qui étaient au garage. Ils avaient des bidons d’essence avec eux. Nous, nous n’avions pas répliqué puisque nous étions en infériorité numérique. »
Qu’en est-il de la mort des deux personnes ? M. Diaby répond: « Quand la foule est venue pour attaquer la mosquée, le mur est tombé sur un homme qui est resté coincé entre les fers à béton. Les fers sont rentrés dans son ventre  et ses intestins sont sortis dehors. Il en est mort par la suite.    Pour preuve, il y a toujours les traces de sang sur les fers. Il n’a pas été tué par les citoyens de Tourayah. La deuxième victime n’a pas été tuée ici. Nous avons appris qu’il a succombé d’une blessure par balle. Mais on ne sait exactement ce qui s’est passé, ni qui a tiré ».

Et les dégâts matériels ? « Nous avons en première position la mosquée qui a été cassée. Ensuite, à Mastabamboya 6 immeubles avec trois voitures ont été complètement  calcinés. Après, il y a aussi l’immeuble de mon petit frère et sa voiture qui ont été incendiés. Le
coût  des dégâts est estimé à plus de 10 milliards de francs guinéens. Plus de 2milliards 800 millions FG qui ont été collectés pour la construction de la mosquée sont partis en fumée. Les assaillants ont tout volé. Rien n’est resté dans le coffre ».

Par ailleurs, M. Diaby, précise : « Nous avons le papier nous autorisant de construire la mosquée, délivré par la ligue islamique,   celui du ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation au temps d’Alhassane Condé qui avait également donné l’autorisation.  Nous avons même les documents fournis par  le gouverneur  de Boké et le préfet de Gaoual. Mais à notre grande surprise, le représentant de la ligue islamique à Touba, Elhadj Balamine Diaby  a refusé la validité de tous ces documents tout en les confisquant sous prétexte qu’il ne saurait y avoir deux mosquées ici.  Malgré cette prétendue interdiction, nous avions à l’époque, envoyé la cola à deux reprises chez le Khalife général de Touba pour l’informer de notre volonté de construire une mosquée à Tourayah.  Nous avions fait cela juste par respect parce que nous avions déjà tous les documents d’autorisation de construction ».

Qu’en dit le sous-préfet ?

M. Sékou Sylla, le sous-préfet de Touba explique: « Lorsque nous avons appris ces affrontements, les forces de l’ordre qui étaient là étaient insuffisantes. Néanmoins, elles se sont interposées. Par la suite, les forces de l’ordre ont demandé des renforts qui sont venus de Boké, Mamou et Kindia. Grace à la volonté de Dieu, on a pu circonscrire les affrontements, le dimanche 15 novembre. Mais, le lendemain, il y a eu des personnes incontrôlées qui se sont livrées au saccage des boutiques, et maisons et ont incendié des véhicules. Je précise que ce problème a débuté il y a près de trois ans, mais moi je suis là depuis le mois de mars dernier.»

Le témoignage des familles des victimes

Le grand frère de Mouctar Diaby qui a été tué, El hadj Alkaly Diaby a affirmé que son frère était venu juste pour le Fidaou et il a été tué par un certain M’bemba qui habite à Touraya. Et de demander : « Nous voulons que justice soit faite et que les autorités jouent leur rôle
en nous sécurisant. Nous restons derrière la loi. »

Pour El hadj N’Famady, frère de la seconde victime, Djeninka Diaby, il faut que l’Etat punisse les coupables et que justice soit rendue. Et d’insister : « Nous, on a perdu des vies humaines et on a appelé au calme. On veut que le calme règne dans cette localité religieuse. On reste derrière l’Etat.»

El. Hadj Seck Oumar Diaby, blessé,  témoigne : «Nous étions à l’intérieur de la mosquée, lundi 16 novembre après la prière de 14 heures lorsque des hommes en uniforme ont jeté des gaz lacrymogènes dans l’enceinte de la mosquée centrale. J’ai été blessé comme vous le voyez. Je déplore ce comportement et j’espère que les autorités trouveront les coupables pour que justice soit faite.»

Et le Khalife général de Touba, El Hadj Soriba Diaby, dans tout ça ?

Le Khalife général de Touba qu’on a rencontré dans la matinée du dimanche 22 novembre s’est dit surpris de ce qui s’est passé. Et d’ajouter : «  Nous avons vraiment des difficultés ici. Depuis 200 ans, on n’a jamais eu ce genre de problème. On n’a jamais vécu ça.
Nous ne voulons pas de conflit ici. On ne répond pas aux provocations. Mais on a tué deux de nos enfants. Les autorités sont là et voient toute cette violence et ne disent rien. Il y a l’insécurité totale. Lorsque les autorités viennent, on leur donne des explications et elles
promettent de résoudre sans rien faire. J’ai toujours dit aux habitants de Karambaya de se calmer. Le jour où ces deux jeunes sont morts, il y avait les forces de l’ordre et cela nous a étonnés. Quand 1000 personnes viennent à Touba, 900 ont la bénédiction et leurs
prières se réalisent. Celui qui vient avec de mauvaises intentions, il récoltera la malédiction. Nous souhaitons que justice soit faite et nous restons derrière l’autorité de l’Etat. On a des parents qui sont emprisonnés et demandons leur libération.»

Les forces de l’ordre accusées de pillage

De nombreuses personnes que nous avons interrogées accusent les forces de l’ordre d’avoir participé aux pillages des magasins. Cependant, reconnaissent elles, ces actes ont été stoppés quand les gendarmes dépêchés de Conakry sont arrivés. Un de ces gendarmes reconnait, sous l’anonymat, que leur arrivée a permis d’arrêter les pillage de certains de leurs collègues qu’ils ont trouvé sur place.

Au finish, il faut dire que les populations vivent toujours dans la peur et craignent de nouvelles violences. D’un côté, ceux qui ont perdu des parents- qu’ils n’ont pas pu recupérer parce qu’enterrés par les autorités à Gaoual-exigent que justice soit rendue par les
autorités et que leur sécurité soit assurée par les autorités en place. De l’autre, où les dégâts sont importants, leurs responsables estiment qu’il ne peut y avoir la paix que lorsque leur
mosquée sera construite. C’est dire que jusqu’à présent, les positions n’ont pas changé.

El Hadj Mohamed Koula Diallo, envoyé spécial

Facebook Comments

Obtenez des mises à jour en temps réel directement sur votre appareil, abonnez-vous maintenant.