Censure

Dors en paix, grand guerrier !

Parler de Bébel, Thiernodjo ou encore Thierno Sadou Diallo, c’est exactement comme parler de plusieurs personnes à la fois, à l’image de la multiplicité de noms que l’homme portait. Un homme simple, doux, et d’une grande générosité dans la vie quotidienne, mais pourtant dur, rigoureux et tenace sur le plan professionnel. Rarement journaliste guinéen aura été aussi courageux et combattif. Toujours proche des faibles et des opprimés, Bébel ne transigeait pas avec la vérité. D’ailleurs, c’est le nom qu’il choisira pour le journal qu’il créera avec Djouma Barry Djos, El Béchir Diallo et moi-même, en 1996. Nous venions de quitter le journal ‘’L’Indépendant’’, où nous avons constitué une des plus belles équipes avec O. Tity Faye, feu Biram Sacko, feu Aboubacar Condé, Abdoulaye Condé, Saliou Samb et bien d’autres grands combattants de la presse libre, dans ces années de braise des débuts de la liberté d’expression en Guinée. Dès la création de ‘’La Vérité’’, Bébel a donné une marque spéciale à ce journal. Il était totalement différent de ce qui existait alors. Journal très peu orthodoxe, on y retrouve des rubriques comme ‘’Le Coin de l’Aigri’’, ‘’Le Mauvais garçon’’, qui sortaient totalement de l’ordinaire avec un style utilisant aussi bien la satire que l’impertinence, voire l’irrévérence. Des dossiers comme Tombo IV ont fait la renommée de ce jeune canard qui venait à peine de naître. Pour la distribution de la presse, un gros problème se posait alors. Feu Siaka Kouyaté, fondateur du journal ’’Le Citoyen’’ (premier journal indépendant guinéen) et dont Bébel fut le collaborateur, eut l’initiative de créer une société de distribution de journaux avec la patronne de la Pension Doherty (SODIPRESSE). Il convia Bébel à participer à cette aventure et ainsi naquit le groupe de presse Le Citoyen-La Vérité. J’en fus le rédacteur en chef et Bébel excellait pour lever des lièvres. De nombreux jeunes journalistes firent leurs premiers pas là, dans les locaux situés à la Pension Doherty. L’aventure durera quelques temps, mais les difficultés s’accumulant, les deux journaux durent interrompre leur parution.

Plus tard, après avoir participé à la création du ‘’Nouvel Horizon’’, puis de ‘’La Nouvelle Tribune’’ avec Abdoulaye Condé et Abdoulaye Sankara dit Abou Maco, Bébel relance son journal ‘’La Vérité’’. Ayant acquis expérience et maturité, il en fait le journal le plus lu et le plus couru de Conakry. Avec Baïla Bah, Abou Maco et d’autres amis journalistes, il donne à l’hebdomadaire une stature de journal sérieux ; à tel point que les ministres et autres responsables de la gouvernance Conté le redoutaient à chaque parution. Il n’est point utile ici de rappeler tous les scandales que Bébel a révélés, citons-en juste quelques-uns comme le Fonds Kowétien, Futurelec-Etat guinéen, le Fer (Fonds d’entretien routier), Air Guinée, le scandale du scanner au port, Getma International, le PMU, les passeports, la 4ème licence téléphonique, Friguia-Anaim, etc. Cela ne fera que lui créer des ennemis et des ennuis, mais Bébel n’en avait cure. Tout ce qui comptait pour lui, c’était de révéler au public ce que les prédateurs de l’économie nationale faisaient. Et en cela, il n’a jamais transigé. Ainsi, ‘’La Vérité’’ a été le journal qui a le plus contribué à l’accompagnement du gouvernement de consensus, après avoir tout donné pour son avènement.

Bébel, était aussi un homme qui avait des amis qu’il aimait particulièrement. Combien de fois n’avons-nous pas ri de ses blagues et autres facéties ? Il aimait la plaisanterie et se moquait de tout et de tout le monde. Il s’était donné le titre de président du PRG (le parti de la rince et de la gnole) et tout le monde l’appelait ‘’prési Bébel’’. Mari et père attentionné, il ne manquait jamais à ses devoirs et tout le monde peut témoigner de l’importance qu’il accordait à sa famille. A tel point que son fils Junior le déifiait.

L’on l’oublie souvent, la première marche organisée par la presse a été de réclamer la libération de Bébel, alors arrêté par le Premier ministre Souaré parce que le journal s’était élevé contre la cession du port autonome de Conakry à Getma International.

Si Alpha Condé a fait le nécessaire pour son évacuation pour des soins au Maroc, c’est bien parce qu’il connaissait l’homme Bébel, qui l’a pris par la main et l’a fait marcher de la Pâtisserie Centrale au domicile de Drizo à qui il a présenté celui qui deviendra plus tard président de la République de Guinée et avec qui il avait des débats idéologiques de haut vol. C’est bien par reconnaissance et par humanisme pour ce grand cœur que fut Bébel qui n’eut jamais peur de faire du bien, car il savait qu’il était dans le juste.

Et juste était Bébel. Au terme d’une vie bien remplie, il a tiré sa révérence le 15 janvier 2014, discrètement et sans éclaboussures. Le sang l’a toujours dégoûté. Dors en paix guerrier. Tu n’auras pas vécu en vain et tes traces resteront à jamais. Requiescat in pace !

Daouda Tamsir Niane

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