Censure

Quel dialogue ! Avec qui ! Et pourquoi ! (une analyse de Bah Oury)

Il est communĂ©ment admis qu’en GuinĂ©e «  la politique est l’art de mentir et de trahir ».Des gĂ©nĂ©rations de guinĂ©ens ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©es dans cette fausse croyance qui consacre le triomphe du cynisme et de l’amoralitĂ©. La parole d’honneur, la recherche de la vĂ©ritĂ©, l’amour de la justice, l’affirmation de convictions fortes en faveur de l’humain sont des valeurs qui dĂ©tonnent dans cet environnement oĂč rĂšgne en toute impunitĂ© « la loi du plus fort ». Dans cette jungle kafkaĂŻenne, la classe politique actuelle est le reprĂ©sentant le plus achevĂ©  de cette mentalitĂ© prĂ©datrice. Il est par consĂ©quent aisĂ© de comprendre pourquoi la GuinĂ©e est aujourd’hui en retard dans maints domaines : retard sur le plan Ă©conomique par l’insuffisance des infrastructures Ă©nergĂ©tiques, routiĂšres,  et d’eau courante et retard sur le plan social par la faiblesse de l’indice de dĂ©veloppement humain. Cette rĂ©alitĂ© est rĂ©voltante pour la majoritĂ© des guinĂ©ens qui accumulent frustrations et dĂ©sillusions  depuis l’indĂ©pendance nationale  en 1958. Ce paradoxe apparent met en Ă©vidence lĂ  oĂč le bĂąt blesse. En effet la premiĂšre richesse d’un pays n’est point ses potentialitĂ©s Ă©conomiques mais plutĂŽt la qualitĂ© des ressources humaines dont il regorge.

Une crise politique permanente en dĂ©phasage des intĂ©rĂȘts nationaux

Aujourd’hui une certaine classe politique menace encore d’organiser des manifestations de rue pour exiger dit-elle un dialogue avec le gouvernement. Durant cinq annĂ©es de 2011 Ă  2015, des manifestations monstrueuses ont Ă©tĂ© organisĂ©es. De nombreuses victimes ont jalonnĂ© ce parcours chaotique et violent de l’histoire rĂ©cente de notre pays.                  De 2011 Ă  2013, ces querelles se sont cristallisĂ©es autour des Ă©lections lĂ©gislatives, sur l’opĂ©rateur technique Waymark-Sabary Technology et sur la composition de la CENI.

  • Cas de la CENI : La loi organique adoptĂ©e par le CNT(Conseil National de la Transition) en 2012 a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien de l’ensemble des forces politiques du pays. Cette acceptation consensuelle a Ă©tĂ© publiquement confirmĂ©e Ă  la dĂ©lĂ©gation de l’Union EuropĂ©enne en visite Ă  Conakry durant le dernier trimestre de 2012. Or cette loi avait apportĂ© une modification importante de la CENI. En effet la rĂšgle de dĂ©cision par consensus qui prĂ©valait auparavant oĂč chaque commissaire pouvait peser dans la balance a Ă©tĂ© remplacĂ©e par la rĂšgle de la majoritĂ© simple. DĂ©sormais peu importe la composition de cette institution dont l’indĂ©pendance est consacrĂ©e par la constitution. Il suffit Ă  l’une des composantes mouvance prĂ©sidentielle ou opposition de s’assurer d’une majoritĂ© confortable. En droit, chacune d’entre elle a dix commissaires, la sociĂ©tĂ© civile 3 et l’administration 2. Dans ce cas l’opposition s’est fait hara-kiri. Elle a acceptĂ© l’abandon de la rĂšgle consensuelle au profit de la rĂšgle de la majoritĂ© simple. Elle s’est dessaisie ainsi de la possibilitĂ© de peser dans les dĂ©cisions ultimes de la CENI. Elle doit par consĂ©quent en assumer l’entiĂšre responsabilitĂ©.
  • Cas de l’opĂ©rateur Waymark- Sabary : Beaucoup de guinĂ©ens sont descendus dans la rue Ă  l’appel des responsables de l’opposition pour exprimer leur refus de voir l’entreprise sud-africaine gĂ©rer le processus Ă©lectoral des lĂ©gislatives de septembre 2013. Plus d’une cinquantaine de manifestants tuĂ©s par balles, des commerces incendiĂ©s et pillĂ©s, des centaines de personnes interpellĂ©s et emprisonnĂ©s, des blessĂ©s par lĂ©gions et souffrent dans la solitude avec des handicaps irrĂ©versibles. Contre toute attente, Cellou Dalein DIALLO le prĂ©sident actuel de l’UFDG signe les accords du 13 juillet 2013 qui valident le maintien de l’opĂ©rateur technique Waymark. La question n’est pas pourquoi avoir signĂ©, mais pourquoi avoir engagĂ© alors des milliers de personnes dans une aventure politicienne avec un trĂšs lourd tribut et par la suite jeter le tout avec dĂ©sinvolture et sans regret. Pourquoi alors ne pas avoir Ă©pargnĂ© le pays de deux annĂ©es successives de crises politiques violentes et destructrices. Un responsable digne de ce nom, n’engage jamais Ă  la lĂ©gĂšre ceux qui lui font confiance. Un homme d’Etat privilĂ©gie avant tout l’intĂ©rĂȘt national avant l’intĂ©rĂȘt partisan. Mais celui qui sacrifie des vies, une cause juste et noble seulement pour assouvir des intĂ©rĂȘts personnels et mesquins perd la confiance et la considĂ©ration de ceux qui croyaient en lui. Les annĂ©es 2012 et 2013 ont Ă©tĂ© un vaste gĂąchis dont les dits responsables de l’opposition assument une part de la responsabilitĂ©. Quant Ă  moi, j’avais dĂ©clinĂ© l’invitation de figurer Ă  la deuxiĂšme place de la liste nationale de l’UFDG pour rester cohĂ©rent avec moi-mĂȘme et avec ma conscience.
  • Cas des Ă©lections communales avant les prĂ©sidentielles : Durant l’annĂ©e 2015, l’absence d’élus communaux Ă©lus cinq annĂ©es aprĂšs l’expiration du mandat devient subitement une prĂ©occupation Ă  la veille des prĂ©sidentielles. Est-ce la qualitĂ© de la gouvernance qui Ă©tait en jeu ! Non ! La prĂ©occupation Ă©tait strictement d’ordre Ă©lectoraliste. Ainsi, cette nouvelle flambĂ©e de la tension n’a pas pour origine une volontĂ© de faire respecter les fondements de l’Etat de droit, ni Ă©galement de permettre aux citoyens d’élire librement leurs reprĂ©sentants pour gouverner dĂ©mocratiquement les collectivitĂ©s locales. LĂ  aussi des milliers de personne sont appelĂ©es Ă  descendre dans la rue en Avril 2015 pour rĂ©clamer la tenue des Ă©lections communales avant les prĂ©sidentielles. Des morts et des destructions ont jalonnĂ© ces journĂ©es. Engager les jeunes gens Ă  affronter au pĂ©ril de leur vie les forces de l’ordre pendant ce temps se tapir chez soi en toute sĂ©curitĂ© n’est pas digne d’un responsable soucieux de l’intĂ©rĂȘt collectif de ses partisans. Les communales n’ont pas eu lieu avant les prĂ©sidentielles et comme lot de consolation, le partage du pouvoir au niveau des collectivitĂ©s territoriales est effectif au lendemain des prĂ©sidentielles par la mise en place de dĂ©lĂ©gations spĂ©ciales sur l’ensemble du territoire national. Ainsi l’objectif recherchĂ© n’est pas l’amĂ©lioration de la gouvernance du pays, il s’agit purement et simplement d’obtenir des postes et de s’en contenter. Depuis octobre 2015 des dĂ©lĂ©gations spĂ©ciales gouvernent toutes les collectivitĂ©s territoriales sur des fondements juridiques en contradiction avec les textes rĂ©glementaires et organiques.
  • L’élection prĂ©sidentielle du 11 octobre 2015 : Les risques d’implosion de la GuinĂ©e Ă©taient particuliĂšrement Ă©levĂ©s avec l’élection prĂ©sidentielle de 2015. Le lundi 12 octobre 2015, le candidat Cellou Dalein DIALLO lance un appel de mobilisation gĂ©nĂ©rale pour une descente dans les rues pour dit il « non reconnaissance des rĂ©sultats des Ă©lections prĂ©sidentielles en prĂ©cisant que celui qui perdra la vie dans ces manifestations le sera parce que DIEU l’aura voulu » ! Le 12 octobre 2015, de la France, je demande Ă  toute la population guinĂ©enne de s’abstenir de toute manifestation car «  beaucoup de vies humaines ont Ă©tĂ© perdues. Nous en avons assez de voir des jeunes gens sacrifier leur vie alors qu’aucune stratĂ©gie solide et fiable ne soutient l’action ». Par la grĂące de DIEU, l’appel relayĂ© par d’autres forces positives parvint Ă  prĂŽner le calme et la retenue. Par miracle, la GuinĂ©e fut Ă©pargnĂ©e d’une crise post-Ă©lectorale sanglante.

La  lutte pour le leadership et des manifestations pourquoi faire 

Le chef de file d’une certaine opposition rĂ©publicaine, Cellou Dalein DIALLO tente de revenir au premier plan de la scĂšne politique en lançant de sempiternelles manifestations de rue pour s’imposer auprĂšs de M. Alpha CONDE comme un interlocuteur incontournable. Or comment rĂ©clamer la tenue d’un dialogue avec le chef de l’ExĂ©cutif dont il a clamĂ© par hu et par dia «  ne pas reconnaĂźtre le rĂ©sultat de l’élection du 11 octobre 2015». Devant la gravitĂ© de cette dĂ©cision, il est indispensable de clarifier solennellement cette position en rĂ©clamant plus de sĂ©rieux  et de sens de responsabilitĂ© Ă  des personnes qui prĂ©tendent reprĂ©senter une partie de l’opinion nationale.

L’adoption de la loi organique instituant la configuration et la composition de la CENI actuelle en 2012, la tenue des Ă©lections lĂ©gislatives en septembre 2013 et la mise en place des dĂ©lĂ©gations spĂ©ciales sur tout le pays en 2015 ont pu se faire avec l’accord du chef de file de l’opposition. Par consĂ©quent il est vital de l’interroger sur sa stratĂ©gie qui consiste Ă  crĂ©er un climat permanent de crises dans le pays.  Le nombre de victimes dans les rangs de l’UFDG ne L’émeut guĂšre. Il y a deux semaines il a encore rĂ©cidivĂ© avec des menaces du genre «  ils n’ont qu’à nous tuer tous !!! ». Il n’hĂ©site pas d’alimenter des tensions ethnocentriques en « ghettoĂŻsant l’UFDG en parti ethnique » et en allant puiser des soutiens qui mĂȘlent Ă  tort et Ă  raison religion et politique. Dans ce contexte, c’est la stabilitĂ© du pays, la cohĂ©sion nationale et la sĂ©curitĂ© sous rĂ©gionale qui sont menacĂ©es.

Cette agitation stérile, infantile mais dangereuse vise deux objectifs principaux :

  • Une poignĂ©e de main Alpha CONDE_ Cellou Dalein DIALLO pour rompre l’isolement politique et diplomatique du chef de file de l’opposition pour lui permettre de se repositionner sur l’échiquier national pour assouvir des intĂ©rĂȘts personnels qui n’ont rien Ă  voir avec les intĂ©rĂȘts vitaux des militants de l’UFDG.
  • Combattre BAH Oury le 1er Vice-PrĂ©sident et fondateur de l’UFDG qui a Ă©chappĂ© par miracle Ă  une conspiration tentant de l’assassiner le 05 fĂ©vrier dernier au siĂšge du parti. En effet, pour Cellou Dalein DIALLO il faut par tous les moyens Ă©teindre l’action pĂ©nale en cours qui le vise. Il faut aussi empĂȘcher la levĂ©e de son immunitĂ© parlementaire par l’AssemblĂ©e Nationale. La justice se trouve ainsi dĂ©fiĂ©e, faire triompher la vĂ©ritĂ© ou consacrer l’impunitĂ© des puissants fortunĂ©s. La lutte pour le leadership de l’UFDG est in fine l’explication principale de la dĂ©rive violente du clan Cellou Dalein DIALLO. La justice est ainsi dĂ©fiĂ©e et la RĂ©publique est Ă©galement en danger. Comment expliquer le refus d’engager le dĂ©bat dĂ©mocratique au sein du parlement oĂč les dĂ©putĂ©s de la mouvance Cellou Dalein sont lĂ©gions. Diverses commissions y existent qui mĂ©ritent d’ĂȘtre mises Ă  contribution pour apporter des pistes de rĂ©flexions et des propositions pour faire avancer la GuinĂ©e. Rien de tout cela n’est envisagĂ© pour consolider l’institution parlementaire. Donc Ă  quoi sert leur statut de dĂ©putĂ©s, accumuler des privilĂšges ou servir le pays. La justification de l’appel Ă  des manifestations de rue n’a dans ce contexte aucun fondement dĂ©mocratique mais revĂȘt une tentative de prendre en otage l’ensemble de la sociĂ©tĂ© guinĂ©enne pour bĂ©nĂ©ficier d’une forme d’impunitĂ©.

La gouvernance de la GuinĂ©e  mĂ©rite un changement qualitatif profond, c’est pour cela qu’il faut une opposition efficace, constructive, responsable, innovante et ouverte. Des rĂ©formes demeurent essentielles pour reconstruire le dispositif institutionnel du pays et faire Ă©voluer l’appareil administratif du pays. La CENI Ă  l’aune de plus d’une dĂ©cennie d’existence doit ĂȘtre repensĂ©e autrement. La fixation bipolaire (opposition- mouvance prĂ©sidentielle) doit cĂ©der la place Ă  une reprĂ©sentation au prorata du poids Ă©lectoral des partis. La GuinĂ©e a trop souffert de ses divisions, de ses dĂ©chirures et de la violence. L’action patriotique d’aujourd’hui nĂ©cessite un engagement ferme et dĂ©terminĂ© pour une dĂ©crispation en profondeur, de l’apaisement gĂ©nĂ©ral afin de construire un environ propice pour des investissements tant nationaux qu’étrangers pour la relance Ă©conomique et le recul de la pauvretĂ©. La responsabilitĂ© du gouvernement Ă  cet Ă©gard est prĂ©pondĂ©rante, car c’est lui qui a reçu le mandat populaire de gouverner !

BAH Oury

Ancien ministre

1er Vice-PrĂ©sident de l’UFDG