Un jeune homme, communément appelé Abdallah, a été retrouvé mort dans la soirée du lundi 7 juillet 2025, sous le pont de Madina, au quartier Dixinn Mosquée dans la capitale Conakry. Le lieu, surnommé « Bawö Rails », qui signifie « derrière les rails » en langue poular, est réputé être un refuge de fortune pour des consommateurs de drogues et des personnes ayant rompu tout lien avec leur famille.
Lorsque les autorités sont arrivées sur place, le corps d’Abdallah portait des signes de blessures visibles à la vessie et aux cuisses, les jambes gonflées couvertes de plaies purulentes. Malgré ce tableau macabre, le colonel Mohamed N’Diaye, responsable de la police technique et scientifique, a confirmé après constat que le défunt était un consommateur de stupéfiants. Aucune information formelle n’a pu être recueillie sur son identité ou sur sa famille.
« Grand, je suis malade… »
Naby Samoura, témoin des derniers instants d’Abdallah, se souvient avec beaucoup de douleur : « Je travaillais dans la cour quand des enfants sont venus me prévenir qu’un homme était couché pas loin, avec un pied en état de putréfaction. Je suis allé le voir. Il m’a reconnu et m’a dit : Grand, je suis malade. Il m’a raconté qu’il avait été percuté par une voiture six jours plus tôt. Je lui ai fait la remarque qu’il soit resté dans cette difficulté sans aller vers sa famille. Mais il est resté muet sur ce sujet. À travers mes questions, il m’a dit que son père et sa mère sont tous les deux décédés. Mais qu’il a des frères et que la grande famille se trouve à l’aviation [aéroport]. »
Naby raconte avoir essayé d’aider Abdallah en proposant de l’argent pour qu’on le transporte vers sa famille : « il était avec un ami. J’ai dit à ce dernier d’essayer de le prendre sur une moto, afin de l’envoyer vers sa famille pendant qu’il est encore lucide. J’ai même proposé de lui remettre 20 mille francs comme frais de déplacement. »
Malgré les mises en garde de plusieurs riverains, dont une vendeuse de riz et Naby lui-même, l’homme a été abandonné dans un état critique, jusqu’à ce que les gendarmes soient alertés. « Six minutes après, j’ai vu que son ami le portait au dos et le faisait sortir hors de la cour. Il ne portait plus de culotte. J’ai demandé : Où est-ce qu’ils l’envoyaient ? Ce dernier a dit qu’il le faisait sortir de la cour pour le mettre près des rails. Je les ai mis en garde face au danger que représente le passage des trains. Mais ce dernier a insisté dans son dessein. Ils sont venus le mettre sous le pont. Son état s’était aggravé. La dame qui vend le riz ici les a également mis en garde. C’est ainsi que cette dernière est allée prévenir les gendarmes », a-t-il relaté.
L’anonymat tragique des marginaux
Abdallah n’était pas inconnu de tout le monde. À l’annonce de sa mort, plusieurs jeunes du quartier sont venus voir son corps : « Quand il est mort, il y a certains de ses amis qui venaient. Dès qu’ils voyaient son visage, ils disaient : Eh, c’est Abdallah ça ? Certains partaient en pleurant et d’autres en se tenant la tête. C’est ainsi que j’ai compris que son nom c’est Abdallah ».
« Cet endroit qu’on appelle Bawö Rails [derrière les rails traduit de la langue poular], il y a toute sorte de choses qui se passent là-bas. Il y a beaucoup de personnes qui ne sont plus en contact avec leurs familles qui sont là-bas », a relevé notre interlocuteur.
Mamadou Diallo, un autre témoin, raconte aussi un échange bouleversant avec le défunt : « Il m’a dit : “Mamadou, je souffre.” J’ai très mal aux jambes, mes bras sont endoloris. Il m’a demandé de prévenir son grand et son petit qui sont à Donka. Quand je suis allé là-bas, on m’a dit que ces derniers étaient allés travailler. J’ai transmis le message aux gens que j’ai trouvés là-bas. Mais à mon retour, on m’a annoncé sa mort. »
Un fléau connu mais difficile à éradiquer
Mohamed Bangoura, président du conseil de quartier de Dixinn Mosquée, ne cache pas son impuissance face à ce phénomène : « ce n’est pas la première fois. Il y a eu un cas similaire à 200 mètres d’ici. Mais la fois dernière, on avait retrouvé la famille du défunt. Mais ce cas-ci, il est impossible de retrouver la famille. Il n’avait ni téléphone ni carte d’identité. »
Il rappelle aussi que la zone est connue pour ses dérives : « Ce point noir est déjà signalé aux autorités. Mais c’est comme des rats : tu viens, tu les chasses, ils reviennent le lendemain. »
M. Bangoura rassure par ailleurs qu’ils font de leur mieux : « nous prenons soin. Puisque même dans le quartier, il y a des jeunes qui veillent à ce que des choses comme ça ne se passent pas ici. Mais ce n’est pas facile. Et nous collaborons avec la gendarmerie et la police. »
Laye Condé, un jeune engagé dans la lutte contre la délinquance dans la zone, émet des soupçons : « Abdallah était vendeur de sacs à la friperie Bordeaux. Je pense qu’il a été bastonné par des personnes. »
Inhumation dans la dignité
Face à l’absence de réaction de la part des proches du défunt, c’est le président du conseil de quartier qui a pris l’initiative de laver le corps, d’organiser la prière mortuaire, puis de procéder à son inhumation.
Abdoul Lory Sylla pour Guinée7.com